Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 116 II 103



116 II 103

20. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 18 janvier 1990 dans la
cause dame G. contre G. (recours en réforme) Regeste

    Art. 151 Abs. 1 ZGB.

    Gewährung einer zusätzlichen Entschädigung in Form einer
Kapitalabfindung zugunsten des schuldlosen Ehegatten zum Ausgleich des
Verlusts erbrechtlicher Vorteile.

Sachverhalt

    A.- a) G., né le 16 avril 1926, et dame D., née le 19 janvier 1923,
se sont mariés le 30 septembre 1966. Ils s'étaient soumis au régime de
la séparation de biens. Aucun enfant n'est issu de leur union.

    La vie commune a duré environ deux ans, jusqu'en 1968.

    b) Par jugement du 15 juin 1971, le Tribunal civil du district de
Lausanne a rejeté l'action en divorce introduite par G., admis l'action
reconventionnelle en séparation de corps formée par l'épouse et prononcé
pour une durée indéterminée la séparation de corps des conjoints. Le
Tribunal a retenu que le demandeur n'avait établi contre la défenderesse
aucune cause déterminée ou indéterminée de divorce, mais qu'en revanche
il avait rendu la vie conjugale insupportable à sa femme.

    Les époux n'ont pas repris la vie commune.

    c) Le 13 novembre 1986, G. a introduit une action en divorce. Par
jugement du 1er décembre 1988, le Tribunal civil du district de
Lausanne a admis l'action et rejeté les conclusions libératoires de la
défenderesse. Le Tribunal a ainsi prononcé le divorce des époux G.-D.,
dit que le demandeur verserait à la défenderesse, en vertu de l'art. 152
CC, une pension alimentaire de 1'800 francs par mois et déclaré dissous le
régime matrimonial. Ce faisant il a débouté implicitement la défenderesse
de sa prétention de recevoir du demandeur, outre une pension alimentaire,
une indemnité de 700'000 francs pour la perte des avantages successoraux,
fondée sur l'art. 151 al. 1 CC.

    B. - Statuant sur un recours de dame G., la Chambre des recours du
Tribunal cantonal du canton de Vaud a confirmé le jugement attaqué par
arrêt du 12 juin 1989.

    Cette décision est motivée comme il suit en ce qui concerne l'indemnité
en capital pour la perte du droit aux avantages successoraux, réclamée
par la recourante:

    L'indemnité en capital pour la perte du droit aux avantages
successoraux a un caractère exceptionnel: il faut des circonstances
particulières pour en justifier l'allocation.

    En l'espèce, c'est avec raison que les premiers juges ont estimé,
dans l'intérêt même de la recourante, qu'il convenait de lui allouer une
pension alimentaire, au sens de l'art. 152 CC, suffisante pour la mettre à
l'abri du besoin, au lieu de combiner cette pension avec un capital. Selon
le cours ordinaire des choses, les chances de la recourante de bénéficier
de son droit de succession réservataire sont aléatoires.

    L'épouse est plus âgée que le mari. Bien que l'intimé souffre
d'un cancer de la vessie et soit constamment en traitement, on ne peut
pas poser de pronostic. La recourante est également atteinte dans sa
santé. Son état est stationnaire et elle est toujours hospitalisée; elle
devra probablement le rester jusqu'à la fin de ses jours ou en tout cas
être assistée médicalement et socialement. De surcroît, bien qu'il soit
hors de doute que le mari a eu une part prépondérante dans l'échec de
l'union conjugale, l'épouse n'a personnellement contribué en rien à la
création et à l'amélioration de la fortune de l'intimé.

    C.- Dame G. a recouru en réforme au Tribunal fédéral, demandant,
principalement, que l'action en divorce de G. fût rejetée; subsidiairement,
pour le cas où cette action serait admise, que lui fût allouée, outre la
pension alimentaire de 1'800 francs par mois, une indemnité de 350'000
francs en vertu de l'art. 151 al. 1 CC.

    Le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours et réformé l'arrêt
attaqué en ce sens que le demandeur et intimé a été condamné à verser à
la défenderesse et recourante la somme de 50'000 francs, valeur échue.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

II

Erwägung 1

    1.- Il reste à examiner les conclusions subsidiaires, tendant à
l'allocation d'une indemnité en capital sur la base de l'art. 151 al. 1
CC, en plus de la pension alimentaire de 1'800 francs par mois accordée
à la recourante.

Erwägung 2

    2.- Aux termes de la disposition légale précitée, l'époux innocent
dont les intérêts pécuniaires, même éventuels, sont compromis par le
divorce a droit à une équitable indemnité de la part du conjoint coupable.

    a) Vu ce qui précède, il y a lieu de reconnaître à la recourante la
qualité d'épouse innocente et à l'intimé celle de conjoint coupable. La
cour cantonale et les parties l'admettent d'ailleurs implicitement...

    b) La recourante fait valoir que, par suite du divorce, elle perdra ses
droits légaux dans la succession de l'intimé (art. 154 al. 2 CC). D'après
ses calculs, ses espérances successorales en tant qu'héritière réservataire
oscillent entre 700'000 francs et 350'000 francs. C'est ce dernier montant
que, comme en seconde instance cantonale, elle réclame à titre d'équitable
indemnité en capital, affirmant que la Chambre des recours le lui a refusé
à tort.

    c) Le principe de l'indemnisation de la perte des avantages
successoraux est unanimement admis par la jurisprudence et la doctrine
(cf. TERCIER, L'indemnisation de la perte des avantages successoraux en
cas de divorce (art. 151 al. 1 CC) in Festschrift für Cyril Hegnauer zum
65. Geburtstag, Berne 1986, p. 553 ss, sp. p. 555-557. Pour la doctrine,
voir les auteurs cités p. 555 n. 3 et p. 556 n. 4 et 5. On peut relever
notamment: HINDERLING, Ehescheidungsrecht, 3e éd., p. 129; TUOR/SCHNYDER,
Das schweizerische Zivilgesetzbuch, 10e éd., p. 171; BÜHLER/SPÜHLER,
n. 28 ad art. 151 CC; DESCHENAUX/TERCIER, Le mariage et le divorce,
3e éd., n. 651-652, p. 125/126).

    Les arrêts fédéraux publiés allouant une indemnité pour la perte des
avantages successoraux sont au nombre de deux seulement et anciens. En
1912, puis en 1913, le Tribunal fédéral a octroyé de telles indemnités,
qui couvraient également la réparation morale (ATF 38 II 54/55; JdT
1914 I 293 consid. 2 = SJ 1914 p. 36/37). D'autre part, en 1959 et
en 1968, il a retenu implicitement l'indemnisation de la perte des
avantages successoraux dans deux arrêts qui ne traitent de la question
qu'indirectement (ATF 85 II 77 ss, 94 II 217 ss). Enfin, en 1982, il a dit
expressément, dans un arrêt relatif à l'opposition abusive au divorce sur
la base de l'art. 142 al. 2 CC, que l'art. 151 al. 1 CC vise à assurer
au conjoint innocent la réparation du dommage pécuniaire résultant pour
lui du divorce, en particulier de la perte du droit à l'entretien et des
espérances successorales (ATF 108 II 29 consid. 3a). Il faut préciser la
portée de ce principe à la lumière de la jurisprudence fédérale relative
à l'art. 151 al. 1 CC.

    En 1912-1913, la fonction de cette disposition légale était,
selon la conception adoptée par le législateur, de garantir à l'épouse
innocente une situation comparable à celle qu'elle aurait eue sans le
divorce (cf. TERCIER, op.cit., p. 559): il était donc normal de lui
assurer la réparation du préjudice pécuniaire futur, dans la mesure où
il était prévisible (TERCIER, op.cit., p. 563/564). Mais, tel qu'il a
été interprété ultérieurement par le Tribunal fédéral, l'art. 151 al. 1
CC permet avant tout à la femme d'obtenir, généralement sous la forme
d'une rente, une indemnité pour la perte du droit à l'entretien: il se
justifie de garantir à l'épouse - sa vie durant (ATF 108 II 81 et les
arrêts cités) ou, selon la jurisprudence récente, temporairement (ATF 114
II 11 consid. 7a, 111 II 306 et les arrêts cités) - un statut comparable à
celui qu'elle avait avant le divorce. Ces principes, dégagés sous l'empire
de l'art. 160 al. 2 aCC, demeurent applicables dans le droit matrimonial
actuel, en vertu des règles de la bonne foi, quand, dans un mariage de
longue durée, la femme s'est consacrée à la tenue du ménage (cf. ATF 115
II 12/13 consid. 5b et les références). Selon une telle interprétation
de l'indemnité, les droits successoraux jouent un rôle subsidiaire,
voire extraordinaire. La perte de ces droits peut entrer en ligne de
compte comme élément complémentaire dans la fixation de l'indemnité due
au titre de la perte du droit à l'entretien, pour autant que l'épouse
établit avec une certaine vraisemblance qu'elle en aurait bénéficié;
en revanche, une indemnité supplémentaire et autonome de ce chef ne
doit être accordée que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque
le postulent la situation personnelle des époux et les conditions dans
lesquelles intervient le divorce (TERCIER, op.cit., p. 560 ss, sp. p. 566
et p. 571). La cour cantonale s'est à juste titre fondée sur ces prémisses.

    d) Examinant à quelles conditions l'épouse peut prétendre à une
indemnité pour la perte des avantages successoraux, TERCIER (op.cit.,
p. 566-569) énumère les trois conditions suivantes:

    aa) Il faut que l'épouse établisse que, sans le divorce, elle aurait
effectivement bénéficié de droits dans la succession de son mari. Il en
est ainsi sans aucun doute pour la part réservataire (art. 471 ch. 3 CC).

    bb) Il faut en outre que la concrétisation du droit soit vraisemblable,
à savoir qu'il y ait des chances sérieuses, selon le cours ordinaire des
choses, que l'époux demandeur eût pu effectivement en bénéficier si le
divorce n'avait pas mis fin au mariage. Tel est le cas, d'une part, si les
âges respectifs des conjoints paraissent le permettre et, d'autre part,
si, selon les données communément admises, l'ouverture de la succession
n'aurait pas été reportée à un terme trop lointain: si l'époux recherché
est relativement âgé, les facteurs d'incertitude sont plus réduits que
s'il est jeune.

    cc) Enfin, l'indemnisation doit être justifiée. Comme elle a
un caractère complémentaire, le juge tiendra compte de l'ensemble
des prestations que le mari débiteur est amené à faire par suite du
divorce. Il prendra en considération d'abord les montants que l'épouse
reçoit dans la liquidation du régime matrimonial. Il tiendra compte
ensuite des sommes allouées au titre de la perte du droit à l'entretien:
plus ces sommes seront importantes, moins il y aura de motifs de faire
intervenir en outre d'autres facteurs, dès lors que le but premier
visé par l'art. 151 al. 1 CC est de garantir à l'épouse un niveau de vie
comparable à celui dont elle bénéficiait durant le mariage. L'indemnisation
de la perte des avantages successoraux peut être prise en compte dans
cette perspective pour compléter, après le décès de l'époux, la perte
du droit à l'entretien, passivement intransmissible (ATF 100 II 2 et
les références). D'autre part, comme l'indemnisation de la perte des
avantages successoraux a un caractère exceptionnel, il faut en outre
que des circonstances particulières justifient l'octroi de l'indemnité:
tel pourra être le cas, en particulier, lorsque l'époux recherché a eu
un rôle prépondérant dans l'échec de l'union conjugale.

    On peut se rallier à ce raisonnement et adopter les critères proposés,
dans la mesure où ils sont reproduits ci-dessus.
   e) En l'espèce, on constate ce qui suit:

    aa) Il existe des droits successoraux dont la recourante ne pouvait
être privée: elle était héritière réservataire.

    bb) Contrairement à ce que dit la cour cantonale, la concrétisation
de ces droits est vraisemblable. Certes, la recourante est plus âgée
que l'intimé et ce facteur peut, selon les circonstances, amener à
refuser toute indemnisation de la perte des avantages futurs: ainsi,
la Chambre civile d'appel du Tribunal cantonal du canton du Tessin
n'a pas alloué d'indemnité pour la perte des avantages successoraux à
une femme âgée de 57 ans alors que son mari n'en avait pas encore 46;
elle a estimé que les probabilités que l'épouse survécût à son conjoint
étaient théoriquement minimes et pratiquement nulles (arrêt du 4 juin 1968,
Rep. 1968 p. 49 consid. 4; cité par TERCIER, op.cit., p. 557 n. 12 et p.
568 n. 47). Mais, en l'espèce, la différence d'âge n'est que de trois
ans, entre époux âgés actuellement de 67 et de 64 ans. Or, l'espérance
de vie de la femme est plus longue que celle de l'homme (pour une femme
de 67 ans, elle est de 19,77; pour un homme de 64 ans, elle n'est que de
17,32: STAUFFER/SCHAETZLE, Tables de capitalisation, 4e éd., trad. fr.,
Zurich 1990, table 42). De surcroît, l'intimé souffre depuis 1980 d'un
cancer de la vessie nécessitant un traitement constant, tandis que la
recourante est atteinte essentiellement dans sa santé psychique.

    Dame G. avait donc des chances sérieuses de succéder à son mari:
non seulement les âges respectifs des époux paraissaient le permettre,
mais, étant donné la maladie grave dont souffre l'intimé, l'ouverture de
la succession n'aurait, selon les données communément admises, pas été
reportée à un terme trop lointain.

    cc) L'indemnisation est justifiée. La recourante ne retirera aucun
avantage de la liquidation du régime matrimonial des parties, puisque
celles-ci étaient soumises au régime de la séparation de biens. La pension
alimentaire allouée couvre la différence entre les dépenses incompressibles
de la femme et ses ressources mensuelles, mais la recourante n'y aura
plus droit en cas de décès de l'intimé. Par ailleurs, l'intimé jouit
d'une fortune importante, tandis que la recourante n'en a aucune. Enfin,
le mari a l'entière responsabilité de l'échec de l'union conjugale.

    Au rebours de ce que pense la cour cantonale, il importe peu que la
recourante n'ait pas contribué à la création ou à l'amélioration de la
fortune de l'intimé: ce facteur ne saurait l'emporter sur l'existence des
droits réservataires. TERCIER (op.cit., p. 569) raisonne dans une autre
optique, prenant en considération l'éventualité où la femme a contribué
personnellement, dans une large mesure, à l'amélioration de la situation
de son mari et en a peu profité durant le mariage ou dans la liquidation
du régime matrimonial: dans ce cas, dit-il, l'indemnité allouée permettrait
de rétablir la situation.

    Vu ce qui précède, les conclusions subsidiaires doivent être admises
dans leur principe.

    f) Le montant de l'équitable indemnité à laquelle la recourante peut
prétendre relève de l'appréciation du juge (art. 4 CC), qui doit examiner
d'une manière objective tous les éléments pertinents et rechercher la
solution adéquate aux circonstances spéciales du cas particulier (ATF
101 Ia 550 consid. 2d). La somme de 350'000 francs réclamée apparaît
nettement excessive au vu des données de l'espèce.

    aa) L'intimé, qui exerçait une profession libérale, a dû arrêter de
travailler: il en est réduit aux revenus de sa fortune et à une rente
de l'assurance-invalidité. En raison de ses charges, et notamment de la
pension alimentaire due à la recourante (qui représente plus d'un tiers de
ses ressources), il est obligé d'entamer son capital pour vivre. Certes,
sa fortune est importante et, contrairement à ce qu'il affirme, elle
n'est pas uniquement de nature immobilière: il fait donc vainement
valoir que "toute indemnité en capital allouée à la recourante aurait
pour conséquence d'accroître ses dettes". Il n'en reste pas moins que
le capital diminuera. Dès lors, on ne saurait déterminer l'indemnité en
fonction de la fortune actuelle; ce critère est inadéquat en l'espèce.

    bb) La pension alimentaire permet à la recourante de couvrir
la différence entre ses dépenses incompressibles et ses ressources
mensuelles. Le montant de 1'800 francs alloué est mieux proportionné aux
besoins de l'épouse qu'aux ressources du mari, qu'il grève lourdement,
comme on l'a vu.
   cc) Si le mariage a duré vingt ans, la vie commune n'a été que de
   deux ans.

    Eu égard à ces circonstances, il apparaît équitable de fixer à 50'000
francs, valeur échue, l'indemnité allouée à la recourante pour la perte des
avantages successoraux. Le recours doit donc être admis dans cette mesure.