Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 116 IA 135



116 Ia 135

24. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 3 août 1990
dans la cause L. contre Jura, Chambre d'accusation du Tribunal cantonal
(recours de droit public) Regeste

    Art. 4, 58 BV; Ablehnung eines Richters und eines Experten.

    1. Durch Art. 58 Abs. 1 BV garantierter Schutz (E. 2).

    2. Ablehnung eines im Rahmen der Verhandlungsvorbereitung gestellten
und anlässlich der Gerichtsverhandlung wiederholten Beweisantrags durch den
Gerichtspräsidenten. Die Gesuchsverweigerung ist kein Grund zur Ablehnung
des Gerichtspräsidenten (E. 3b).

    3. Strafgericht, das von einem ausserordentlichen, sonst den
Anwaltsberuf ausübenden Richter präsidiert wird. Dieser Präsident scheint
befangen, wenn er als Anwalt ein bedeutendes Bankinstitut als Klienten
hat und dieses ein erhebliches finanzielles Interesse an einem mit dem
Strafverfahren konnexen Geschäft hat (E. 3c).

    4. Verwirkung des Rechts auf Ablehnung eines Experten (E. 4).

Sachverhalt

    A.- Accusé de divers délits qu'il aurait commis alors qu'il était
administrateur de la société Excelsior SA, déclarée en faillite, L. a
été renvoyé devant le Tribunal correctionnel du district de Delémont.

    Au cours de la préparation des débats, l'accusé a demandé au président
extraordinaire du Tribunal correctionnel, Me X., avocat, de citer sept
témoins et d'ordonner deux expertises. En outre, il a demandé la récusation
des auteurs d'un rapport d'expertise déposé au cours de l'instruction. Le
président a décidé d'entendre certains des témoins; pour le surplus,
il a rejeté les réquisitions de l'accusé.

    L'affaire a été appointée au 6 décembre 1989. A l'ouverture des
débats, L. a renouvelé ses réquisitions. Examinées à titre de questions
incidentes, le Tribunal correctionnel les a également rejetées. Il a jugé
que les demandes de mesures probatoires étaient prématurées et qu'elles
devraient, au besoin, être renouvelées au cours des débats; au contraire,
la demande de récusation a été tenue pour tardive.

    Estimant que ces décisions violaient la loi, L. a pris le Tribunal
correctionnel à partie (cf. art. 59 CPP jur.). Il a en outre demandé la
récusation du président extraordinaire X. au motif que le comportement de
celui-ci lui donnait l'apparence de la prévention. L'audience du Tribunal
correctionnel a été levée.

    La Chambre d'accusation du Tribunal cantonal du canton du Jura a
rejeté la demande de récusation et la prise à partie par arrêts du 31
janvier et du 1er février 1990, respectivement.

    L. a déposé deux recours de droit public pour violation des art. 58
Cst. et 6 ch. 1 CEDH, dirigés chacun contre l'un de ces arrêts.

    Alors que l'affaire était pendante devant la Chambre d'accusation,
L. a saisi cette autorité d'une seconde demande de récusation dirigée
contre le président X. Il faisait valoir que la masse en faillite
Excelsior SA exerce une action civile contre lui, fondée sur les mêmes
faits que l'action pénale, que la Banque cantonale du Jura, créancière de
la faillie pour des montants importants, est intéressée à l'issue de cette
procédure et que cet établissement bancaire est actuellement client de Me
X. Il soutenait qu'en raison de cette situation, en sus des motifs déjà
invoqués, ce dernier ne peut pas participer au jugement de la cause pénale.

    La Chambre d'accusation a également rejeté cette demande. Son arrêt,
rendu le 13 février 1990, a fait l'objet d'un troisième recours de droit
public, fondé sur les mêmes droits constitutionnels.

    L'instruction a établi que Me X. représente la Banque cantonale du
Jura dans deux procès en cours, et que l'un des employés supérieurs de
cette banque lui a aussi attribué un mandat, actuellement terminé.

    Dans la mesure où ils étaient recevables, le Tribunal fédéral a rejeté
les recours formés contre les arrêts du 31 janvier et du 1er février 1990;
il a admis celui qui était dirigé contre l'arrêt du 13 février 1990 et
il a annulé ce dernier prononcé.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- a) La garantie du juge naturel (art. 58 Cst.) permet au plaideur
de s'opposer à une application arbitraire des règles cantonales sur
l'organisation et la composition des tribunaux, qui comprennent les
prescriptions relatives à la récusation des juges (ATF 105 Ia 174
consid. 3a, 98 Ia 359 consid. 2).

    b) Cette garantie permet aussi, indépendamment du droit cantonal,
d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement
est de nature à faire naître un doute sur son impartialité; elle
tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause
ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une
partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention
effective du juge est établie, car une disposition interne de sa part
ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent
l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du
magistrat. Seules des circonstances constatées objectivement doivent être
prises en considération; les impressions purement individuelles d'une
des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 115 Ia 175 consid. 3,
226 consid. 5, 114 Ia 53 consid. 3b).

    c) A l'encontre d'un expert, le justiciable ne peut pas invoquer
l'art. 58 Cst. Il peut seulement exiger une application du droit cantonal
exempte d'arbitraire, ainsi que le respect des garanties minimums
d'indépendance et d'impartialité assurées par l'art. 4 Cst. (cf. ATF 114
V 62 consid. a in fine, 112 Ia 147 consid. d).

    d) Toutes ces prétentions se périment lorsque le plaideur procède
devant un juge, ou tolère le concours d'un expert, alors qu'il a
déjà connaissance de faits qui pourraient justifier une demande de
récusation. En effet, l'intéressé accepte ainsi, de manière tacite,
que la personne récusable exerce néanmoins ses fonctions (ATF 114 Ia 280
consid. e, 350; 112 Ia 340 consid. c).

    e) L'art. 6 ch. 1 CEDH ne confère pas une protection plus étendue
que la garantie d'un juge indépendant et impartial assurée directement
par l'art. 58 Cst. (ATF 115 Ia 226 consid. 5, 114 Ia 53 consid. a, 113
Ia 63 consid. a). Il en est de même de l'art. 28 CPP jur., prévoyant que
tout juge est récusable s'il existe des faits propres à faire naître la
méfiance sur son impartialité.

Erwägung 3

    3.- a) Le recourant soutient qu'en rejetant avant les débats des
réquisitions dont le bien-fondé était prétendument évident, le président X.
aurait manifesté sa partialité en faveur de la partie adverse.

    En principe, des erreurs de procédure ou d'appréciation commises
par un juge ne suffisent pas à fonder objectivement un soupçon de
prévention. Seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées,
qui doivent être considérées comme des violations graves de ses devoirs,
peuvent avoir cette conséquence. En effet, la fonction judiciaire oblige
le magistrat à se déterminer sur des éléments souvent contestés et
délicats. Même si elles se révèlent viciées, des mesures inhérentes à
l'exercice normal de la charge du juge ne permettent pas de suspecter
celui-ci de partialité. En outre, c'est aux juridictions de recours
normalement compétentes qu'il appartient de constater et de redresser
les erreurs éventuellement commises; le juge de la récusation ne saurait
donc examiner la conduite du procès à la façon d'une instance d'appel
(ATF 114 Ia 158 consid. bb).

    Le président du Tribunal correctionnel est chargé de prendre,
pour le jour des débats, toutes les mesures qu'exige l'administration
des preuves; en particulier, il désigne les témoins à entendre et, s'il
l'estime indispensable, il cite également les experts. Chaque partie peut
lui demander, avec motifs à l'appui, de citer d'autres témoins encore, et
de prendre toute autre mesure relative à la preuve. Le président statue
librement sur l'utilité des preuves requises; les demandes rejetées
peuvent être renouvelées aux débats (art. 234, 235 al. 1 et 2 CPP jur.).

    Les décisions critiquées ont ainsi été prises dans le cadre tracé par
la loi. Elles n'ont nullement privé l'accusé de son droit d'offrir des
preuves, car ce droit peut être exercé jusqu'à la clôture des débats,
qui sont au besoin ajournés (art. 254 CPP jur.). Même s'il fallait
admettre que des mesures différentes eussent été préférables pour les
motifs exposés dans le recours, les décisions en cause ne constitueraient
pas une violation grave des devoirs du président, qui soit l'expression
d'une prévention contre L. C'est en vain que ce dernier reproche au
président X. d'avoir indiqué à une personne qui n'était pas mentionnée
dans la réquisition de preuves, mais qui avait été interrogée par le Juge
d'instruction, que sa comparution aux débats était exigée par l'accusé. La
réquisition tendait à l'audition "de tous les témoins déjà entendus
en instruction, ou du moins la majorité de ceux-ci"; cette ambiguïté
explique la déclaration du président. Celle-ci ne dénote en tout cas
aucune partialité.

    b) Le recourant conteste qu'après avoir rejeté les demandes qui
lui avaient été présentées, le président pût valablement participer
à la décision du Tribunal correctionnel relative aux mêmes demandes,
renouvelées à l'ouverture des débats.

    Un juge a une apparence de prévention et peut donc être récusé sur la
base de l'art. 58 Cst. s'il a déjà participé à des décisions dans l'affaire
qui fait l'objet du procès, pour autant qu'il ait alors pris position au
sujet de certaines questions de manière telle qu'il ne semble plus exempt
de préjugés. On peut craindre, en effet, que ce juge ne projette dans la
procédure en cours les opinions qu'il a déjà acquises, voire déjà émises,
à propos de l'affaire, qu'il ne résolve les questions à trancher selon
ces opinions et, surtout, qu'il ne discerne pas des questions que se
poserait un juge non prévenu.

    L'art. 58 Cst. exige donc de vérifier que l'issue de la cause ne soit
pas prédéterminée, en dépit de la participation du juge à une décision
préalable, et qu'elle demeure au contraire indécise relativement à
la constatation des faits et à la solution des questions juridiques à
résoudre. Il faut notamment examiner les fonctions procédurales que le
juge a été appelé à exercer lors de son intervention antérieure, prendre
en considération les questions successives à trancher à chaque stade
de la procédure et mettre en évidence leur éventuelle analogie ou leur
interdépendance, ainsi que l'étendue de pouvoir de décision du juge à leur
sujet. Il peut aussi se justifier de prendre en considération l'importance
de chaque décision pour la suite de l'affaire (ATF 115 Ia 37 consid. aa;
114 Ia 57 consid. d, 145 consid. c).

    Conformément à la loi, la réquisition de preuve présentée par L. a
fait l'objet de deux décisions successives. La première a été prise par
le président statuant seul; la seconde a été adoptée par le Tribunal
correctionnel, avec la participation du président. L'objet des décisions
et le pouvoir d'examen des magistrats étaient exactement identiques; en
particulier, ils appréciaient librement, par anticipation, les preuves
proposées. Le président avait ainsi, lors de la décision du tribunal,
une opinion préformée qui portait exactement sur les questions à trancher.

    Cependant, les décisions respectives du président et du Tribunal
correctionnel ne sont pas prises dans le même contexte. Le président statue
uniquement sur la base du dossier constitué par le Juge d'instruction. Il
ne dispose que de preuves et de déclarations qu'il n'a pas recueillies
lui-même. Au surplus, il n'a pas la possibilité d'interroger l'accusé et
de l'inviter à prendre position de façon détaillée sur les preuves déjà
rassemblées, et à préciser les motifs de sa réquisition. La situation est
tout à fait différente devant le tribunal, qui entend directement les
témoins et les experts. Toutes les preuves peuvent alors faire l'objet
d'une discussion contradictoire, en présence de l'accusé et des autres
parties, de sorte que le tribunal est en mesure d'apprécier ces preuves
d'une manière plus nuancée et plus complète. Il peut en résulter que
des preuves supplémentaires demandées par l'accusé, qui paraissaient
superflues à l'examen du dossier, se révèlent opportunes au cours des
débats. Ceux-ci peuvent d'ailleurs être rouverts après que les parties
ont plaidé, pour l'administration de nouvelles preuves (GÉRARD PIQUEREZ,
Traité de procédure pénale bernoise et jurassienne, tome II, ch. 848).

    Le président du tribunal, au moment où il délibère et statue avec les
autres juges sur des demandes de mesures probatoires, est ainsi placé dans
une situation complètement différente de la préparation des débats. La
décision à prendre n'a qu'une similitude purement théorique avec celle
qu'il a rendue auparavant. L'opinion qu'il a déjà acquise relativement
à la réquisition de preuves ne saurait l'empêcher de réexaminer cette
requête d'une façon exempte de parti pris, en considérant la cause telle
qu'elle lui est apparue à l'audience. La décision du tribunal n'est donc
pas prédéterminée par celle du président, de sorte que la participation de
ce dernier n'est pas contraire à l'art. 58 Cst. Le rôle du président est
étroitement analogue à celui d'un juge qui connaît deux fois de l'action
pénale, d'abord dans une procédure par défaut, puis, après qu'une demande
de relief a été admise, à l'issue de débats ordinaires; or, le Tribunal
fédéral a jugé que cette participation répétée est compatible avec
l'art. 58 Cst. (ATF 116 Ia 35 consid. b).

    En revanche, les décisions successives sur la récusation d'un expert
ne présentent guère de différence. D'ordinaire, les débats n'influencent
pas le sort de cette question; en l'espèce, le Tribunal correctionnel l'a
d'ailleurs tranchée définitivement, d'entrée de cause. Le président aurait
sans doute pu considérer que la demande dirigée contre l'expert sortait du
cadre de la réquisition de preuves prévue par l'art. 235 al. 1 CPP jur.,
et réserver d'emblée la décision du tribunal; il aurait ainsi évité que sa
propre récusation ne pût éventuellement être requise. Cependant, de toute
manière, L. a renouvelé sa demande alors qu'il connaissait, évidemment,
la décision du président; il est donc déchu du droit d'invoquer cette
prise de position à l'appui d'une demande de récusation (consid. 2d).

    c) Dès qu'il en a été informé, L. s'est prévalu des liens
professionnels existant entre le président X. et la Banque cantonale
du Jura, créancière de la masse en faillite Excelsior SA. La somme
des créances ordinaires produites envers la faillie s'élève à environ
3'800'000 francs, dont plus de 1'000'000 francs qui restent dus à la
Banque cantonale du Jura après réalisation de ses gages. La masse en
faillite réclame 500'000 francs à l'ancien administrateur, en raison des
faits qui font l'objet de la poursuite pénale. Le cas échéant, et pour
autant que les créanciers privilégiés aient déjà été satisfaits, plus du
quart du montant payé par L. profiterait à la Banque cantonale du Jura.
Celle-ci a donc un intérêt pécuniaire important au succès de l'action
civile qui est exercée par la masse en faillite, et qui est étroitement
connexe à l'action pénale.

    Par ailleurs, la banque et l'un de ses dirigeants sont actuellement
ou ont été les clients de Me X.

    Le recourant se réfère à l'art. 27 al. 1 ch. 6 et 9 CPP jur., prévoyant
qu'un juge est récusable s'il occupe ou a occupé dans la cause comme avocat
ou représentant, ou si certains de ses parents ou alliés ont un procès
avec l'une des parties. Or, la Chambre d'accusation n'est pas tombée dans
l'arbitraire en jugeant qu'aucune de ces hypothèses n'est réalisée.

    Néanmoins, une entreprise telle que la banque cantonale est souvent
un client important pour l'avocat chargé de la représenter, en raison
du nombre, de l'ampleur et de l'intérêt des mandats qu'il peut en
espérer si les relations d'affaires existant entre eux se poursuivent.
C'est pourquoi il est possible que l'avocat soit tenté, même en dehors
de l'exercice de son mandat, si l'occasion s'en présente, d'agir d'une
façon propre à maintenir son client dans des dispositions favorables
envers lui. Au regard de ces circonstances, L. est fondé à craindre que
le président du Tribunal correctionnel, qui est avocat, ne se trouve
placé dans un conflit opposant l'intérêt d'une administration impartiale
de la justice à l'intérêt d'un de ses clients importants, et qu'il ne
se laisse influencer par cette dernière tendance. En d'autres termes,
l'accusé a des raisons objectives de redouter un jugement partial,
destiné à favoriser la Banque cantonale du Jura.

    Sa demande de récusation aurait donc dû être admise; il est sans
importance que la banque ne soit pas partie aux procès pénal et civil
en cours contre lui. Il est également indifférent que les mandats de la
banque actuellement confiés à Me X. soient dépourvus de tout rapport avec
ces procès. L'arrêt du 13 février 1990 se révèle contraire à l'art. 58
Cst.; il doit être annulé.

Erwägung 4

    4.- Les critiques dirigées contre les experts sont fondées,
essentiellement, sur la manière dont ceux-ci ont accompli leur mission.

    Un rapport d'expertise a été déposé le 22 avril 1987. L. a présenté,
par écrit, de nombreuses critiques; celles-ci ont donné lieu à un rapport
complémentaire déposé le 30 novembre 1987. C'est au plus tard en consultant
ce dernier document que le prévenu a eu connaissance de tous les faits et
circonstances qu'il invoque pour récuser les auteurs de l'expertise. Il
ne les a fait valoir que le 13 novembre 1989, quand il a su que l'un
des experts serait entendu à l'audience du Tribunal correctionnel. Rien
ne l'empêchait d'agir plus tôt; en particulier, il importait peu que le
mandat d'expertise fût terminé. Il aurait pu récuser les experts devant
le Juge d'instruction, pour que celui-ci ordonnât, au besoin, une autre
expertise. Au lieu de cela, il a laissé le Juge d'instruction continuer
l'enquête sur la base des rapports tenus pour viciés, et il a aussi toléré
que ces documents fussent pris en considération par l'instance compétente
pour ordonner son renvoi devant le Tribunal correctionnel. Ce comportement
a entraîné la péremption du droit de récusation qui pouvait éventuellement
être exercé sur la base du droit cantonal ou de l'art. 4 Cst.