Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 115 IB 496



115 Ib 496

64. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 2 novembre 1989
dans la cause Ferdinand et Imelda Marcos contre Office fédéral de la police
(recours de droit administratif) Regeste

    Internationale Rechtshilfe in Strafsachen (USA); Wiener Übereinkommen
über diplomatische Beziehungen vom 18. April 1961 (SR 0.191.01);
diplomatische Immunität von Staatsoberhäuptern vor Strafgerichten.

    Staatsoberhäupter geniessen vor ausländischen Strafgerichten umfassende
Immunität. Dieses auf völkerrechtlichem Gewohnheitsrecht beruhende,
im Interesse des Staates liegende Vorrecht des Staatsoberhauptes wird
beschränkt durch den Willen dieses Staates und durch die Amtsdauer des
Staatsoberhauptes, wobei Art. 32 und 39 des Wiener Übereinkommens analog
anzuwenden sind. Aufhebung der Immunität im konkreten Fall durch eine
von einem leitenden Organ abgegebene entsprechende Erklärung, von der
die Schweiz annehmen darf, dass sie den vertretenen Staat bindet.

Sachverhalt

    A.- Le 2 février 1988, le Département de la justice des Etats-Unis
d'Amérique a adressé à l'Office fédéral de la police une demande d'entraide
judiciaire en matière pénale fondée sur le Traité conclu le 25 mai 1973
entre la Confédération suisse et les Etats-Unis d'Amérique (ci-après:
le Traité). Cette demande était faite pour les besoins d'une instruction
ouverte par le Ministère public des Etats-Unis pour le district méridional
de l'Etat de New York, entre autres contre les époux Ferdinand et Imelda
Marcos, citoyens philippins résidant à Honolulu (Hawaii) depuis le mois
de février 1986. Les infractions poursuivies consistaient en d'importants
détournements de fonds (notamment un remboursement illicite de bons du
trésor philippins) et d'oeuvres d'art (tableaux de la "Samuels Collection")
que Marcos et son épouse auraient commis au préjudice des Etats-Unis
d'Amérique et de la République des Philippines entre 1981 et 1986, alors
qu'ils exerçaient dans ce dernier Etat, respectivement, les fonctions de
Président de la République et celles de ministre des Affaires sociales
et de Gouverneur du district métropolitain de Manille.

    L'Etat requérant demandait en particulier à la Suisse de lui procurer
des documents détenus par des établissements bancaires, fiduciaires et
de courtage ayant leur siège à Genève, pour lui permettre de clarifier
les opérations sur lesquelles enquêtait le Ministère public américain.

    L'Office fédéral ayant décidé d'entrer en matière sur la demande
d'entraide, Marcos et son épouse ont fait opposition, en faisant valoir,
entre autres arguments, que les autorités américaines ne seraient pas
compétentes pour poursuivre les faits décrits dans la demande d'entraide.
Déboutés, ils se sont adressés au Tribunal fédéral par la voie d'un
recours de droit administratif.

    Invité en cours de procédure à vérifier si l'Etat requérant était au
bénéfice d'une déclaration des autorités compétentes de la République des
Philippines quant à la levée de l'immunité des époux Marcos, l'Office
fédéral de la police a déposé à cet égard une note du 17 octobre 1988
adressée à l'Ambassade des Etats-Unis à Manille, dont le texte sera
reproduit ci-après dans la mesure utile.

    Le Tribunal fédéral a admis partiellement le recours de droit
administratif au sens des considérants, admettant la demande d'entraide
dans la mesure où elle se rapportait à la répression des infractions
consistant dans le remboursement des bons du trésor philippins et dans
l'appropriation des tableaux appartenant à la République des Philippines
et se trouvant sur le territoire des Etats-Unis.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 5

    5.- Les recourants contestent la juridiction de l'Etat requérant en
se prévalant de l'immunité dont ils jouiraient en leur qualité d'anciens
dirigeants d'un Etat étranger.

    a) Dans l'arrêt de principe qu'il a rendu le 1er juillet 1987, sur
la base d'un recours de droit administratif déposé par les époux Marcos
contre des mesures provisoires adoptées conformément à l'art. 18 EIMP
à la suite d'une demande d'entraide de la République des Philippines,
le Tribunal fédéral s'est déjà penché sur le privilège de l'immunité
personnelle que le droit des gens reconnaît aux chefs d'Etat. Il a rappelé
que l'immunité personnelle est le pendant de l'immunité dont jouit l'Etat
étranger quand il agit "iure imperii", c'est-à-dire dans ses attributs de
puissance publique; la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques
du 18 avril 1961 [ci-après: la Convention de Vienne (RS 0.191.01)] traduit
simplement dans un acte normatif un concept issu du droit international
public coutumier. S'agissant à l'époque de l'immunité d'exécution dont un
ancien chef d'Etat et son épouse entendaient se prévaloir à l'encontre du
pays qu'ils avaient dirigé, il a considéré que ce privilège était reconnu
dans l'intérêt de cet Etat et qu'il serait contraire au système qu'un
particulier, qui n'est plus chargé de le représenter, puisse invoquer ce
privilège à l'encontre des intérêts mêmes de son pays. D'un autre point de
vue, le Tribunal fédéral a jugé dans le même arrêt qu'il n'appartenait pas
à l'Etat requis de dire si un ancien chef d'Etat bénéficie encore après
sa destitution de l'immunité que le droit de son pays lui garantissait
pour les actes officiels accomplis durant son mandat. C'est en effet là
une question qui ne peut être résolue qu'à la lumière du droit interne
autonome de l'Etat requérant (ATF 113 Ib 275 consid. 7).

    b) En l'espèce, il s'agit de savoir si les recourants jouissent
d'une immunité de juridiction Pénale faisant obstacle à la poursuite que
le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique entend conduire contre eux du
chef d'actes commis dans l'exercice des fonctions officielles dont ils
étaient titulaires dans la République des Philippines.

    Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse concernant l'immunité
de juridiction des Etats étrangers, les principes du droit des gens
font partie intégrante du droit interne suisse. Les tribunaux suisses
appliquent donc les règles du droit international coutumier de la même
manière que s'il s'agissait d'un traité international (ATF 106 Ia 142,
82 I 75, 56 I 237; cf. JEAN-FRANCOIS EGLI, L'immunité de juridiction et
d'exécution des Etats étrangers et de leurs agents dans la jurisprudence
du Tribunal fédéral, étude publiée dans Centenaire de la LP, Zurich 1989,
p. 201 ss, spéc. p. 202/203; L. CAFLISCH, La pratique suisse en matière
de droit international public, 1983, p. 183 ch. 5).

    Le droit international coutumier a de tout temps reconnu aux chefs
d'Etat - ainsi qu'aux membres de leur famille et à leur suite lorsqu'ils
séjournent dans un Etat étranger - les privilèges de l'inviolabilité
personnelle et de l'immunité de juridiction pénale (I. SEIDL-HOHENVELDERN,
Völkerrecht, 6e éd., Cologne ... 1987, p. 303 ss). Cette immunité de
juridiction est également reconnue au chef d'Etat qui séjourne dans
un Etat étranger à titre privé et s'étend, dans ces circonstances, aux
membres les plus proches de sa famille qui l'accompagnent, ainsi qu'aux
membres de sa suite ayant un rang élevé. Ces personnes ne peuvent par
conséquent faire l'objet de poursuites pénales ou même d'une assignation
à comparaître devant un tribunal (CAFLISCH, op.cit., p. 183). Le droit
international public coutumier a reconnu de tels privilèges "ratione
personae" aux chefs d'Etat autant pour tenir compte de leurs fonctions et
du symbole de souveraineté qu'ils portent qu'en raison de leur caractère
représentatif dans les relations interétatiques. Bien que la théorie de
l'exterritorialité ait été critiquée et abandonnée depuis longtemps comme
justification de l'immunité des chefs d'Etat ou des agents diplomatiques
(NGUYEN QUOC DINH, PATRICK DAILLIER et ALAIN PELLET, Droit international
public, 3e éd., Paris 1987, p. 661), les chefs d'Etat sont absolument
exempts, "ratione personae", de toute contrainte étatique et de toute
juridiction d'un Etat étranger en raison d'actes qu'ils auraient commis,
où que ce soit, dans l'exercice de fonctions officielles. Au contraire
de l'immunité de juridiction civile, toujours discutée et relativisée,
l'immunité de juridiction pénale du chef de l'Etat est totale (PHILIPPE
CAHIER, Le droit diplomatique contemporain, 2e éd., dans Publications de
l'Institut universitaire des Hautes Etudes Internationales, No 40, Genève
1964, p. 333 ss, spéc. p. 338/339; J. DELBRÜCK et R. WOLFRUM, Völkerrecht,
vol. I/1, Berlin et New York 1989, p. 253 ss). Cette immunité paraît
également englober, sans réserve, les activités privées des chefs d'Etat
(OTTO KIMMINICH, dans Archiv des Völkerrechts, vol. 26, Tübingen 1988,
p. 129 ss, spéc. p. 160; A. VERDROSS/B. SIMMA, Universelles Völkerrecht,
3e éd., Berlin 1984, p. 640 ss par. 1027; C. ROUSSEAU, Droit international
public, t. IV, Paris 1980, p. 124 à 126).

    c) Le privilège de l'immunité de juridiction pénale des chefs d'Etat,
dégagé par la coutume internationale, n'a pas été repris en toutes lettres
dans la Convention de Vienne. Les art. 31 ss de celle-ci traitent en
effet exclusivement de l'immunité de juridiction des agents diplomatiques,
c'est-à-dire, en vertu de la règle interprétative contenue à l'art. 1er
let. e, des chefs de missions ou des membres du personnel diplomatique de
ces dernières. On ne saurait en déduire que les textes normatifs élaborés
sous l'égide des Nations-Unies établiraient pour les chefs d'Etat étrangers
une protection inférieure à celle des représentants diplomatiques de l'Etat
qu'ils dirigent ou qu'ils représentent universellement. La Convention sur
les missions spéciales conclue à New York le 8 décembre 1969, ratifiée par
la Suisse le 3 novembre 1977 et entrée en vigueur pour elle le 21 juin
1985, désigne par exemple nommément, à son art. 21, le chef de l'Etat
d'envoi comme l'un des titulaires de l'immunité de juridiction pénale à
l'égard des autorités de l'Etat de réception (art. 31) lorsqu'il est en
visite officielle (RS 0.191.2). La Convention sur la prévention et la
répression des infractions contre les personnes jouissant d'une protection
internationale, y compris les agents diplomatiques, signée à New York
le 14 décembre 1973, entend par "personne jouissant d'une protection
internationale" tout chef d'Etat, y compris chaque membre d'un organe
collégial remplissant en vertu de la Constitution de l'Etat considéré
les fonctions de chef d'Etat (art. 1er ch. 1 let. a, 1re phrase; voir
commentaire de cette disposition dans Annuaire de la Commission du droit
international des Nations-Unies, 1972, vol. 2, p. 339/340). Dans le rapport
qu'elle a présenté en 1986 à l'Assemblée générale sur sa trente-huitième
session consacrée en partie aux "immunités juridictionnelles des Etats
et de leurs biens", la Commission du droit international a souligné,
en commentant l'art. 4 de son avant-projet sur ce problème, l'étendue
des privilèges et immunités que le droit international reconnaît
"ratione personae" aux chefs d'Etat et que cet article du projet réserve
expressément (Annuaire de la Commission du droit international, 1986,
vol. 2, 2e partie, p. 7 ss, spéc. p. 15/16). Les chefs d'Etat bénéficient
donc d'une immunité de juridiction totale dans les Etats étrangers pour
tous les actes qui tomberaient ordinairement sous la juridiction de ces
Etats, quel que soit le critère de rattachement des actes incriminés. Ce
privilège, reconnu pour le profit de l'Etat étranger à son plus haut
dignitaire, trouve ses limites, d'une part, dans la volonté de cet Etat et,
d'autre part, dans la durée des fonctions du chef d'Etat. Les art. 32 et
39 de la Convention de Vienne doivent donc s'appliquer par analogie aux
chefs d'Etat. Aux termes de l'art. 32, l'Etat accréditant peut renoncer à
l'immunité de juridiction de ses agents, mais il doit toujours le faire
expressément, des actes concluants étant insuffisants. Selon l'art. 39,
lorsque les fonctions d'une personne bénéficiant de privilèges et
immunités prennent fin, ces privilèges et immunités cessent au moment
où cette personne quitte le pays de réception, mais l'immunité subsiste
en ce qui concerne les actes qu'elle a accomplis dans l'exercice de ses
fonctions comme membre de la mission diplomatique (ch. 2). Les conditions
dans lesquelles un chef d'Etat a abandonné le pouvoir et le fait qu'il a
quitté l'Etat qu'il dirigeait, même pour vivre en exil dans l'Etat qui
entend le poursuivre, sont sans importance (voir à ce propos EMMANUEL
DECAUX, Le statut du chef d'Etat déchu, dans Annuaire français de droit
international, vol. 26, 1980, p. 101 ss, spéc. p. 101 à 104 et 138/139;
WILFRIED FIEDLER, Das Staatsoberhaupt im Exil, dans Archiv des Völkerrechts
1988, vol. 26, p. 181 ss).

    d) L'immunité de fonction dont jouissaient ainsi les recourants
a donc perduré pour les actes délictueux éventuellement commis alors
qu'ils exerçaient encore le pouvoir dans la République des Philippines.
Leur mise en accusation devant les juridictions américaines ne pouvait et
ne peut entrer en ligne de compte qu'en vertu d'une renonciation expresse
de l'Etat philippin à l'immunité que le droit international public leur a
reconnue non comme un avantage personnel, mais en faveur de l'Etat qu'ils
dirigeaient (cf. DELBRÜCK/WOLFRUM, op.cit., p. 254). C'est la raison
pour laquelle le Tribunal fédéral a, le 7 juillet 1989, invité l'Office
fédéral de la police à vérifier si les Etats-Unis d'Amérique étaient au
bénéfice d'une déclaration des autorités compétentes de la République des
Philippines quant à la levée de l'immunité des époux Marcos. Interpellé
à ce sujet par l'autorité intimée, l'Etat requérant a produit une note
verbale adressée le 17 octobre 1988 par le Département des affaires
étrangères de la République des Philippines à l'Ambassade des Etats-Unis
d'Amérique à Manille, note dont il convient d'extraire le passage suivant
(traduction):

    "...

    Prenant note de ce Traité (d'entraide judiciaire conclu entre les deux

    Etats), le gouvernement philippin renonce par la présente à toute
immunité
   (1) d'Etat, (2) de chef d'Etat ou (3) diplomatique, dont l'ancien

    Président philippin Ferdinand Marcos et son épouse Imelda Marcos
   pourraient jouir ou dont ils pourraient avoir joui sur la base du droit
   américain ou du droit international, y compris, mais non exclusivement,
   sur la base de l'art. 39 al. 2 de la Convention de Vienne, en vertu des
   fonctions que ces personnes ont exercées naguère dans le gouvernement
   de la République des Philippines. Cette renonciation s'étend à la
   poursuite de Ferdinand et Imelda Marcos dans l'affaire mentionnée
   ci-dessus (enquête conduite dans le district méridional de l'Etat
   de New York), ainsi qu'à tout acte criminel ou à toute autre affaire
   connexe dans lesquels ces personnes tenteraient de se référer à leur
   immunité. Elle ne touche pas en revanche le gouvernement philippin
   lui-même ou tout membre ancien ou actuel de ce gouvernement.

    En ce qui concerne l'application éventuelle de la doctrine américaine
de
   l'acte d'Etat, le gouvernement philippin tient à souligner qu'à son
   point de vue toute acquisition de richesses personnelles par les époux
   Marcos ne saurait constituer des actes publics, gouvernementaux ou
   officiels du gouvernement philippin, même si de tels enrichissements
   ont été réalisés par l'utilisation ou la prétendue utilisation de
   l'autorité gouvernementale.

    Il relève qu'il serait contraire aux intérêts des Philippins et de la
   justice que ces personnes puissent bénéficier de la doctrine de l'acte
   d'Etat..."

    Cette déclaration a été transmise au mandataire des recourants. Dans
leur détermination du 1er septembre 1989, ceux-ci font valoir que la
levée d'immunité est intervenue selon une procédure irrégulière, que cet
acte est de toute façon contraire à la Constitution philippine et aux
principes du droit international coutumier, qu'il n'indique pas que les
autorités philippines auraient renoncé à leur juridiction pour les actes
énoncés dans la demande d'entraide américaine et que la déclaration de
levée d'immunité n'a pas été produite par le Gouvernement des Etats-Unis
dans le cadre de la procédure actuellement pendante devant le Tribunal
fédéral du district méridional de l'Etat de New York.

    Ces objections ne sont pas pertinentes. Du point de vue matériel,
la déclaration contenue dans la note diplomatique du 17 octobre 1988
répond au souci qu'a exprimé le Tribunal fédéral lors de sa délibération
du 28 juin 1989 de ne pas coopérer à une violation éventuelle du droit
des gens par l'Etat requérant. Du point de vue formel, il est décisif que
cette déclaration émane de l'un des organes dirigeants des Philippines,
que le Tribunal fédéral peut considérer comme un représentant qualifié de
cet Etat. Le point de savoir si cette renonciation est conforme au droit
formel et matériel de la République des Philippines est une question de
droit étranger que le Tribunal fédéral n'a pas à résoudre. Il en va de
même du problème de la portée que les juridictions américaines entendent
donner à la déclaration en question. C'est devant le juge du fond que
les parties devront développer de tels arguments en se prévalant, le cas
échéant, des jugements qui auront été rendus entre-temps à ce propos.