Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 115 IA 224



115 Ia 224

41. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 29 novembre 1989
dans la cause Achtari contre Tribunal criminel de l'arrondissement de la
Glâne (recours de droit public) Regeste

    Art. 6 Ziff. 1 EMRK, 58 Abs. 1 BV; Anspruch auf ein unabhängiges und
unparteiisches Gericht; Ablehnung eines Richters.

    1. Zusammenfassung der Rechtsprechung zum Anspruch auf ein unabhängiges
und unparteiisches Gericht i.S. von Art. 6 Ziff. 1 EMRK und 58 Abs. 1 BV
(E. 5).

    2. Personalunion von Untersuchungsrichter und erkennendem Strafrichter
gemäss freiburgischem Recht (E. 6).

    3. Eine kantonale Bestimmung, wonach der Gerichtsschreiber zuerst im
Rahmen der Strafuntersuchung und anschliessend innerhalb des erkennenden
Organs mitwirken kann, verstösst gegen Art. 6 Ziff. 1 EMRK und 58
Abs. 1 BV, insbesondere dann, wenn sie einem juristisch geschulten
Gerichtsschreiber, der an wichtigen Untersuchungshandlungen mitgewirkt
hat, erlaubt, an dem zur Mehrheit von Laien besetzten Gericht teilzunehmen
und das Urteil abzufassen (E. 7a-b).

Sachverhalt

    A.- Par arrêt du 13 avril 1989, la Chambre d'accusation du Tribunal
cantonal de Fribourg a renvoyé Marc Achtari, pharmacien à Romont, devant
le Tribunal criminel de l'arrondissement de la Glâne, sous la prévention
de meurtre, éventuellement d'assassinat commis sur la personne de son
associé Marc Frey. Cette décision a été prise au terme de l'enquête
conduite par le juge Dumas, président du Tribunal de la Glâne. Les débats
ont été fixés au 19 juin 1989.

    Le 23 mai 1989, le prévenu a demandé la récusation des juges assesseurs
et du greffier.

    Par jugement du 5 juin 1989, le Tribunal criminel de l'arrondissement
de la Glâne a rejeté la demande de récusation. S'agissant du greffier,
ni la Constitution, ni la Convention européenne des droits de l'homme,
ni le droit cantonal de procédure n'obligeraient ce fonctionnaire à se
récuser au motif qu'il avait déjà fonctionné au cours de l'instruction
dans la même affaire.

    Le 29 juin 1989, le Tribunal criminel de l'arrondissement de la Glâne a
reconnu Achtari coupable d'assassinat et l'a condamné à la réclusion à vie.

    Agissant par la voie du recours de droit public, Achtari demande
au Tribunal fédéral d'annuler le jugement rendu le 5 juin 1989 par le
Tribunal criminel de l'arrondissement de la Glâne. Il invoque la violation
des art. 6 par. 1 CEDH et 58 al. 1 Cst.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours dans la mesure où il était
recevable.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 5

    5.- Aux termes de l'art. 6 par. 1 CEDH, toute personne a droit à
ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial
établi par la loi. Cette garantie a en principe la même portée que celle
offerte par l'art. 58 al. 1 Cst. (ATF 114 Ia 53 consid. 3a, 113 Ia 416,
112 Ia 293 consid. 3b). Le droit à un juge indépendant et impartial
fait obstacle à ce que des circonstances extérieures au procès puissent
influer sur le jugement d'une manière qui ne serait pas objective, en
faveur ou au préjudice d'une partie: celui qui se trouve sous de telles
influences ne peut être un "juste médiateur" (ATF 114 Ia 54, 112 Ia
292/293 consid. 3a). Cette garantie est assurée en premier lieu par les
règles cantonales relatives à la récusation. Mais, indépendamment de ces
dispositions cantonales, la Convention et la Constitution garantissent
à chacun que seuls des juges non prévenus statuent sur son litige,
c'est-à-dire des juges qui offrent la certitude d'une appréciation
indépendante et impartiale. Si la simple affirmation de la partialité
ne suffit pas, mais doit reposer sur des faits objectifs, il n'est pas
nécessaire non plus que le juge soit effectivement prévenu; la suspicion
est légitime même si elle ne se fonde que sur des apparences, pour autant
que celles-ci résultent de circonstances examinées objectivement. Selon
la jurisprudence, l'impartialité peut s'apprécier selon une démarche
subjective, qui conduit à déterminer ce que tel juge pensait dans son for
intérieur en telle circonstance, et une démarche objective, qui consiste
à rechercher si ce juge offrait des garanties pour exclure tout doute
légitime à ce sujet. Sous ce dernier aspect, il y a lieu de prendre en
compte des considérations de caractère fonctionnel et organique, en mettant
l'accent sur l'importance que les apparences mêmes peuvent revêtir. Ne
peut dès lors fonctionner un juge dont on peut légitimement craindre un
manque d'impartialité; il y va de la confiance que les tribunaux d'une
société démocratique se doivent d'inspirer au justiciable (ATF 114 Ia 53
s. consid. 3b et c, 112 Ia 292 s. consid. 3a et b, et les références à
la doctrine et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme, notamment l'arrêt du 1er octobre 1982 en la cause Piersack,
série A, vol. 53, par. 30). Sur cette base, le Tribunal fédéral a jugé
que les fonctions de juge d'instruction et de juge du fond ne peuvent pas
être exercées successivement par un même magistrat dans une même affaire.
Dans un système d'union personnelle, seule la récusation obligatoire
peut constituer un correctif idoine et suffisant au regard de la garantie
du juge indépendant et impartial consacrée aux art. 6 par. 1 CEDH et 58
al. 1 Cst. (ATF 114 Ia 72 consid. 5c, 112 Ia 304).

Erwägung 6

    6.- Le Tribunal fédéral a déjà jugé que les règles du droit
fribourgeois qui instituaient l'union personnelle entre le président
du tribunal d'arrondissement et le juge d'instruction pour connaître
de la même affaire violaient la garantie du juge naturel et le droit à
un tribunal indépendant et impartial offerts par les art. 6 par. 1 CEDH
et 58 al. 1 Cst. (ATF 113 Ia 73; arrêt non publié du 22 décembre 1986,
en la cause F., consid. 3). Le Grand Conseil fribourgeois a dès lors
adopté, le 21 mai 1987, une loi modifiant l'organisation de la justice
pénale cantonale. Selon ce régime transitoire, applicable jusqu'à
l'entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale, la fonction du
juge d'instruction est dorénavant séparée de celle du juge du fond. Le
président du tribunal d'arrondissement - siégeant comme tribunal criminel
et composé d'un juge président et de quatre juges (art. 159 LOJ frib.) -
continue certes à exercer des fonctions de juge d'instruction en matière
pénale (art. 166 LOJ frib.); il ne peut cependant présider le tribunal
dans une affaire qu'il a instruite.

    L'art. 6 al. 1, 2e phrase, de cette novelle précise que le fait de
s'être occupé antérieurement de l'affaire comme greffier n'est pas un
motif de récusation. Ainsi, le greffier qui a participé à l'instruction
peut, selon cette disposition, siéger au sein de l'autorité de jugement.

Erwägung 7

    7.- Le recourant fait valoir que la présence au sein de l'autorité
de jugement du greffier qui a participé à l'enquête pénale porterait
atteinte à l'indépendance et à l'impartialité du tribunal, partant,
violerait les art. 6 par. 1 CEDH et 58 al. 1 Cst.

    a) L'art. 6 al. 1 de la loi du 21 mai 1987 est entré en vigueur le 1er
janvier 1988. Le délai pour agir directement contre cette règle cantonale
était écoulé au moment du dépôt du recours; elle ne peut donc plus être
entreprise comme telle ni être annulée par le Tribunal fédéral. Celui-ci
en examine la constitutionnalité dans le cadre du contrôle concret de
normes; s'il aboutit à la conclusion que le grief est fondé, il doit
annuler uniquement la décision attaquée, la norme subsistant en tant que
telle, bien qu'elle devienne ipso facto inapplicable dans le sens critiqué
(ATF 114 Ia 52 consid. 2a, 113 Ia 204/205).

    b) Modifiant une pratique antérieure, le Tribunal fédéral a jugé que
la garantie du juge naturel ne vise pas seulement le juge au sens étroit,
mais aussi les magistrats de l'accusation ou de l'instruction, dans la
mesure où ils exercent des fonctions juridictionnelles, à l'instar, par
exemple, des représentants du Ministère public du canton de Zurich quand
ils délivrent des mandats de répression, exercent un droit de recours ou
mettent fin au procès (ATF 112 Ia 142). Il n'a cependant pas eu à résoudre
jusqu'ici la question de savoir si la participation à l'enquête pénale du
greffier qui siège ensuite, és qualités, au sein de l'autorité de jugement
est un motif de récusation obligatoire sur la base de la garantie d'un
tribunal indépendant et impartial.

    Dans le canton de Fribourg, le greffier du tribunal d'arrondissement
est un fonctionnaire du pouvoir judiciaire nommé par le Conseil d'Etat
(art. 20 LOJ frib.). Il est soumis à l'autorité à laquelle il est attaché
et à son président; il doit se conformer à leurs directions (art. 85
al. 3 LOJ frib.). Licencié ou docteur en droit (art. 15 LOJ frib.),
il est membre à part entière du tribunal, qui ne peut siéger en son
absence. Il rédige le jugement, qui doit porter sa signature pour être
valable (art. 85 al. 2 LOJ frib.). Les causes de récusation prévues par
la loi s'appliquent aux magistrats comme aux fonctionnaires judiciaires
(art. 53 et 54 LOJ frib.). En particulier, ils doivent obligatoirement
se récuser s'ils ont eu à s'occuper précédemment de l'affaire à un autre
titre (art. 53 let. c LOJ frib.).

    aa) Le greffier appelé à rédiger un jugement exprime par là la volonté
du tribunal. Il n'est pas exclu qu'il puisse, en raison de la connaissance
approfondie qu'il doit avoir du dossier, être appelé au cours des audiences
et des délibérations à attirer l'attention des juges sur des éléments de
fait ou de droit importants pour la décision à prendre, voire à renseigner
les juges sur la procédure et l'évolution du droit positif. Plusieurs
législations cantonales lui accordent voix consultative, comme le fait,
pour les rédacteurs du Tribunal fédéral, l'art. 12 al. 2 dernière phrase du
règlement du 14 décembre 1978 (Zurich, art. 134 et 138 GVG; Schwyz, art. 90
al. 1 GO; Nidwald, art. 46 al. 2 GerG; Glaris, art. 32 al. 2 GOG; Soleure,
art. 204 al. 3 ZPO; Bâle-Ville, art. 89 al. 4 ZPO; Bâle-Campagne, art. 40
al. 3 GVG; Schaffhouse, art. 27 al. 2 ZPO; Saint-Gall, art. 67 let. b GerG;
Argovie, art. 57 al. 3 GOG; Thurgovie, art. 104 al. 1 ZPO). Le canton de
Fribourg a aussi prévu cette faculté à l'art. 20 al. 2 du règlement du
Tribunal cantonal, pour ce qui concerne cette juridiction.

    A la différence de leurs collègues étrangers, la plupart des juges
suisses, en règle générale, ne rédigent pas eux-mêmes les considérants des
jugements auxquels ils ont participé; cette tâche revient au greffier. La
position particulière de ce juriste rédacteur d'arrêts relève d'une
longue tradition; elle remonte à l'époque où les juges confiaient à un
auxiliaire le soin de motiver juridiquement les décisions qu'ils fondaient
sur l'équité (ANDRE GRISEL, Le Tribunal fédéral suisse, RDS 90/1971 I
p. 385 s., 399; CHRISTOPH LEUENBERGER, Die Zusammenarbeit von Richter
und Gerichtsschreiber, ZBl 87/1986 p. 97 s., 97/99). En ce qui concerne
le Tribunal fédéral, il est notoire que le greffier peut contribuer au
développement de la jurisprudence, que ce soit par le biais du rapport
qui fournit la base de la discussion du tribunal, par sa participation à
la délibération, ou encore par le fait qu'il rédige les considérants de
l'arrêt (ANDRE GRISEL, op.cit., p. 399; CHRISTOPH LEUENBERGER, op.cit.,
p. 100; cf. aussi le Message du Conseil fédéral concernant le nombre des
greffiers et des secrétaires du Tribunal fédéral, du 29 novembre 1955,
FF 1955 II p. 1377 s.).

    La tâche du greffier qui rédige le jugement est donc de premier
ordre. Il lui incombe de mettre en forme les constatations de fait retenues
par le tribunal et le raisonnement juridique qu'il a suivi. Il exprime la
motivation du jugement sous une forme qui, une fois approuvée, constitue
l'opinion des juges, et offre la base de la discussion juridique qui
s'engagera dans une procédure de recours éventuelle. Ce dernier élément
est d'autant plus significatif en droit fribourgeois que le jugement ainsi
rédigé ne peut être attaqué que par la voie restreinte de la cassation
au sens des art. 54 s. CPP frib.

    bb) La présence au sein de l'autorité de jugement du collaborateur
immédiat du magistrat instructeur ne comporte certes pas un risque
d'une confusion des fonctions aussi net que celui qui résulte de l'union
personnelle entre le juge d'instruction et le juge du fond. Ce danger
ne peut toutefois être écarté de manière complète lorsque, selon la
pratique qui a été mise en oeuvre en l'espèce, un lien entre la phase
de l'enquête et celle du jugement est assuré par l'intermédiaire du
greffier. Une telle situation est en effet propre à faire naître dans
l'esprit de l'accusé, voire dans l'opinion publique, le sentiment que,
de façon occulte, les impressions acquises lors de l'instruction ont
pu influencer le jugement. Or, ce sont justement là les raisons qui ont
conduit le Tribunal fédéral à interdire en principe le cumul des fonctions
du juge d'instruction et du juge du fond.

    Il y a lieu de tenir compte du fait que le Tribunal criminel est
composé d'un magistrat professionnel présidant la cour, de quatre juges
laïcs et d'un greffier juriste. Or, l'influence du greffier est d'autant
plus grande que le tribunal est formé de laïcs (cf. JEAN GAUTHIER, Rapport
sur l'enquête relative à l'organisation et à la composition des tribunaux
qui statuent en matière civile contentieuse, RDS 88/1969 II p. 513 s.,
525/526; CHRISTOPH LEUENBERGER, op.cit., p. 99). Même si l'aptitude des
juges échevins à se prononcer de façon indépendante et impartiale ne
saurait être mise en doute par principe, il n'est pas exclu d'emblée que
l'un d'eux s'adresse au greffier pour obtenir un avis propre à confirmer
ou à infirmer l'opinion juridique émise par le président. Il est, dans
les mêmes circonstances, concevable que le président, seul juriste avec
le greffier, s'appuie sur ce dernier pour conforter une opinion juridique
déterminée.

    En conclusion, il apparaît que la solution retenue par le législateur
fribourgeois à l'art. 6 al. 1 de la novelle du 21 mai 1987 viole la
garantie du tribunal indépendant et impartial offerte par les art. 6
par. 1 CEDH et 58 al. 1 Cst., dans la mesure où cette disposition permet,
dans le système du droit fribourgeois, au même greffier, de fonctionner
successivement au cours de l'enquête pénale, puis au sein de l'autorité
de jugement.

    Ce vice n'a au demeurant pas échappé au représentant du Ministère
public. Dans ses observations sur la demande de récusation, ce magistrat
avait émis l'opinion qu'il pourrait être opportun de désigner un autre
greffier.

    cc) Cette solution s'imposait aussi sur le vu des circonstances
particulières de l'espèce. Le greffier était le seul membre du Tribunal
criminel de la Glâne à avoir participé à l'enquête pénale. Sans doute, son
concours s'est-il limité aux deux reconstitutions des faits et à la tenue
du procès-verbal de ces audiences. La lecture du jugement condamnant le
recourant, à l'état de fait très élaboré, révèle toutefois que ces mesures
d'instruction ont joué un grand rôle dans le déroulement de l'enquête et
dans la suite du procès. De nombreuses références y ont été faites tout
au long des débats. La chronologie des événements, notamment l'ouverture
et l'échange de la bouteille de bière empoisonnée, les allées et venues
des différents protagonistes du drame, le comportement de l'accusé et
de la victime immédiatement avant celui-ci, ont en particulier occupe
l'essentiel des délibérations du tribunal. Aux yeux de tiers, il n'était
donc pas possible d'exclure que les juges, qui ont eux-mêmes procédé à une
inspection locale, aient pu trouver dans le greffier un témoin privilégié
de l'enquête pénale, voire qu'ils lui aient demandé des renseignements
sur le déroulement des deux reconstitutions, leur contenu et leur résultat.

    Il leur eût en tout cas été loisible d'obtenir par son intermédiaire
des informations de première main sur des points décisifs discutés au
cours de ces audiences, notamment ceux qui ne ressortaient pas expressément
du procès-verbal.