Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 114 IB 321



114 Ib 321

49. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 14 décembre 1988
dans la cause Masse en faillite de la succession répudiée F. et hoirs
B. contre Confédération suisse et Commission fédérale d'estimation du
1er arrondissement (recours de droit administratif) Regeste

    Enteignung: Entschädigung für die Auferlegung einer Dienstbarkeit.

    - Methode und Grundsätze der Berechnung einer Entschädigung für die
Auferlegung einer Dienstbarkeit (E. 3).

    - Art. 20 Abs. 1 EntG: Untersuchung der rechtlichen Situation der
umstrittenen Grundstücke am Stichtag und der möglichen zukünftigen
Entwicklungen (E. 4).

    - Art. 20 Abs. 3 EntG: Vorwirkungen des Werkes, die bei der
Entschädigungsfestsetzung ausser acht zu lassen sind; im vorliegenden Fall
sind im BMR und in einer gestützt auf diesen erlassenen provisorischen
Bausperre keine solchen Vorwirkungen zu erblicken (E. 5).

    - Verweigerung einer Entschädigung für Minderwert (Art. 19 lit. b EntG)
von landwirtschaftlichem Boden (E. 6).

    - Die Zusprechung einer Entschädigung für Projektierungskosten gestützt
auf Art. 19 lit. c EntG fällt ausser Betracht, wenn die Projekte nicht
auf die Erlangung einer Baubewilligung gemäss geltendem Recht, sondern
auf eine Änderung der rechtlichen Situation hinzielten (E. 7).

Sachverhalt

    A.- Le 17 septembre 1980, se fondant sur l'art. 15 de la loi
fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN; RS 451)
et sur l'art. 3 de la loi fédérale sur l'expropriation (LEx; RS 711),
le Conseil fédéral a décidé d'engager une procédure d'expropriation
contre les propriétaires de 12 parcelles sises sur le territoire de la
commune vaudoise de Buchillon. Le but de cette mesure était de protéger la
campagne de Chanivaz, vaste domaine compris entre le rivage du Léman et
le cours de l'Aubonne, à l'ouest du village de Buchillon, séparé de lui
par une forêt. Les fonds concernés devaient être grevés d'une servitude
d'interdiction de bâtir - constructions nécessaires à l'exploitation
agricole et installations d'utilité publique exceptées - et d'interdiction
d'utiliser le sol à des fins contraires à la protection du site. Le secteur
exproprié s'étend sur environ 79 ha, dont 27 ha de forêt. En font partie
les parcelles No 312, d'une superficie totale de 549493 m2, dont 166 136
m2 de forêt, et No 314 de 22658 m2 (21 696 m2 en nature de forêt).

    Sur la base de la décision du Conseil fédéral, l'Office fédéral
des forêts a requis, le 3 novembre 1980, du Président de la Commission
fédérale d'estimation du 1er arrondissement l'ouverture de la procédure
d'expropriation. Par décision du 2 décembre 1980, celui-ci admit la requête
et autorisa la Confédération à recourir à la procédure sommaire (art. 33
LEx). Les avis personnels furent notifiés aux expropriés le 6 février
1981. Le 6 mars suivant, les propriétaires des parcelles 312 et 314 ont
conclu à l'allocation d'une indemnité de 48'867'420 francs, sous déduction
de 5'000'000 francs à titre de frais d'équipement de leurs terrains, ainsi
qu'à l'allocation de 1'000'000 francs en compensation des frais entraînés
par la mise en valeur de ceux-ci. L'audience de conciliation eut lieu le
24 août 1981, mais ne déboucha sur aucun accord. Les expropriés ont donc
confirmé leurs conclusions. Quant à l'expropriante, elle nia tout droit
à indemnité pour expropriation, sous réserve éventuellement d'un montant
réduit pour les frais d'études engagés de bonne foi.

    Par jugement du 31 octobre 1986, la Commission d'estimation a condamné
la Confédération suisse à verser aux propriétaires précités une indemnité
de 656'753 francs pour autres préjudices au sens de l'art. 19 lettre c
LEx et une somme de 5'000 francs à titre de dépens; elle a rejeté toutes
autres ou plus amples conclusions. S'écartant de l'opinion des experts
qu'elle avait désignés, elle a retenu en substance que l'imposition de
l'interdiction de bâtir et des autres restrictions demandée par voie
d'expropriation n'avait entraîné aucune moins-value des biens-fonds en
cause, de nature agricole; elle a par contre estimé qu'il se justifiait
de rembourser les dépenses engagées par les propriétaires en vue de mettre
leurs terrains en valeur.

    Agissant par la voie d'un recours de droit administratif, les
expropriés ont demandé au Tribunal fédéral de réformer le jugement de la
Commission d'estimation et de condamner la Confédération suisse à leur
verser un montant supplémentaire de 8'781'750 francs à titre d'indemnité de
moins-value de leurs terrains, montant correspondant à celui retenu par les
deux experts désignés par la Commission d'estimation. Les recourants ont
conclu en outre à ce que la somme allouée à titre de dépens soit augmentée
à 30'000 francs. La Confédération suisse a présenté des observations et
formé un recours joint. Elle a conclu au rejet du recours principal et
à l'admission de son recours joint, l'indemnité due aux deux expropriés
devant être réduite à 74'285 fr. 85. La Commission fédérale d'estimation a
renoncé à se déterminer sur les recours et s'est référée aux considérants
de son jugement. Les expropriés ont conclu au rejet du recours joint. Le
Tribunal fédéral a rejeté le recours principal et admis le recours joint.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 3

    3.- L'objet de l'expropriation (art. 5 LEx) consiste en l'espèce en une
servitude - créée en faveur de la Confédération - d'interdiction d'ériger
sur les parcelles 312 et 314 des constructions ou installations étrangères
à l'exploitation agricole, et d'utiliser leur sol à des fins contraires
aux buts de protection du site de Chanivaz. Comme de tels droits réels
restreints ne sont pas des objets de commerce et que l'imposition forcée
d'une servitude sur un fonds constitue juridiquement une expropriation
partielle (ATF 111 Ib 288 consid. 1; 106 Ib 245 consid. 3, 103 Ib 99
consid. 3b, 102 Ib 176 consid. 2), l'indemnité pleine et entière à verser
au propriétaire grevé (art. 16 LEx) correspond à la moins-value prévue
à l'art. 19 lettre b LEx. Elle se calcule selon la méthode dite de la
différence, laquelle consiste à déduire de la valeur vénale du fonds libre
de servitude celle du fonds grevé de la servitude (cf. arrêts précités).
L'estimation de la valeur vénale doit tenir compte dans une juste mesure de
la possibilité de mieux utiliser l'immeuble (art. 20 al. 1 LEx), à des fins
de construction notamment (cf. ATF 97 I 602; voir pour l'expropriation
matérielle ATF 113 Ib 135 consid. 4b; 112 Ib 401 ss consid. 6, 491
consid. 5; 109 Ib 17/18 consid. 4b). Selon la jurisprudence constante,
une meilleure utilisation au sens de l'art. 20 al. 1 LEx n'est prise en
considération que si elle apparaît hautement vraisemblable dans un proche
avenir (ATF 113 Ib 43, 45; 112 Ib 533 consid. 3; 97 I 602 ss, ZBl 69/1968,
p. 98). La date déterminante pour l'estimation de la valeur vénale et des
perspectives de meilleure utilisation possible opération qui requiert la
prise en considération tant de la situation de fait et des caractéristiques
physiques des fonds en question que de leur statut juridique (ATF 112
Ib 533) - est celle de l'audience de conciliation (art. 19bis LEx). La
valeur vénale doit être fixée en faisant abstraction aussi bien des
plus-values que des moins-values que l'ouvrage de l'expropriation entraîne
généralement pour les fonds expropriés (art. 20 al. 3, 1re phrase, LEx):
de tels avantages ou inconvénients n'ont pas à être pris en considération,
même s'ils se sont manifestés déjà avant l'ouverture de la procédure et
constituent un effet anticipé favorable ou défavorable - de l'entreprise
de l'expropriant (ATF 110 Ib 47/48 consid. 3, 104 Ia 470). La notion
d'"entreprise" de l'expropriant recouvre non seulement les ouvrages
et installations matériels, mais aussi les objets de caractère idéal,
notamment comme en l'espèce la protection de la nature, du paysage et de
biotopes déterminés, ou autres buts semblables. En cas d'expropriation
partielle, il faut tenir compte du dommage résultant de la perte ou de
la diminution d'avantages - même simplement de fait - influant sur la
valeur vénale et que la partie restante aurait, selon toute vraisemblance,
conservés s'il n'y avait pas eu d'expropriation (art. 22 al. 2 LEx); un
lien de causalité adéquate doit toutefois exister entre l'expropriation
et une telle perte (ATF 106 Ib 385 consid. 2b, 386 consid. 3a; 100 Ib
196 consid. 8, 200; 98 Ib 207/208).

Erwägung 4

    4.- Il convient de déterminer tout d'abord quels étaient le statut
juridique et les perspectives de développement futur des terrains à la
date déterminante du 24 août 1981.

    a) Le 1er janvier 1980 est entrée en vigueur la loi fédérale
sur l'aménagement du territoire (LAT). Cette loi prescrit notamment
aux cantons de régler le mode d'utilisation du sol au moyen de plans
d'affectation. selon certains principes adoptés en exécution du mandat
constitutionnel contenu à l'art. 22quater Cst. Ces plans doivent délimiter
en premier lieu les zones à bâtir et le territoire inconstructible,
soit les zones agricoles et les zones a protéger (art. 14 LAT). Sont à
classer dans les zones à bâtir: les terrains propres à la construction
déjà largement bâtis ou probablement nécessaires à la construction dans
les quinze ans à venir et qui seront équipés dans ce laps de temps (art. 15
LAT); dans les zones à protéger: les cours d'eau, les lacs et leurs rives,
ainsi que les paysages d'une beauté particulière et d'un grand intérêt
pour les sciences naturelles (art. 17 al. 1 lettres a et b LAT); dans les
zones agricoles: les terrains qui se prêtent à l'exploitation agricole
ou horticole et qui, dans l'intérêt général, doivent être utilisés par
l'agriculture, les cantons devant, dans la mesure du possible, délimiter
des surfaces cohérentes d'une certaine étendue (art. 16 LAT). Comme le
spécifie l'art. 35 al. 3 LAT, les plans d'affectation cantonaux en force au
moment de l'entrée en vigueur de la LAT conservent leur validité selon le
droit cantonal jusqu'à l'approbation par l'autorité compétente des plans
établis conformément au nouveau droit fédéral, ce dans un délai de huit
ans au plus tard à compter de l'entrée en vigueur de la loi (art. 35 al. 1
lettre b LAT). Mais pour éviter que des lenteurs dans l'adoption de ces
derniers ne puissent compromettre, par la politique du fait accompli, la
réalisation des intentions d'aménagement consacrées par le droit fédéral,
les gouvernements cantonaux sont autorisés, en vertu de l'art. 36 al. 2
LAT, à prendre des mesures provisionnelles, en particulier à prévoir
des zones réservées (art. 27 LAT), et cela aussi longtemps que le droit
cantonal n'aura pas désigné d'autres autorités compétentes (cf. ATF 110
Ib 139 ss et les références citées, 114 Ib 183 consid. 2a). En l'absence
de zones à bâtir, et sauf disposition contraire du droit cantonal, est
réputée zone à bâtir provisoire la partie de l'agglomération qui est déjà
largement bâtie (art. 36 al. 3 LAT).

    b) Le Conseil d'Etat vaudois, au lieu de légiférer par voie
d'ordonnance comme le lui aurait permis l'art. 36 al. 2 LAT, a préféré s'en
tenir à ce qu'avait ordonné le parlement cantonal: le 11 septembre 1979
déjà, celui-ci avait adopté un décret "prolongeant les mesures provisoires
urgentes en matière d'aménagement du territoire", lequel est entré en
vigueur le 1er janvier 1980, simultanément à la LAT, et était destiné à
le rester jusqu'au 31 décembre 1981. Aux termes de ce décret, les plans
et règlements établis en application de l'arrêté fédéral du 17 mars 1972
instituant des mesures urgentes en matière d'aménagement du territoire
(AFU) et du règlement cantonal d'application de cet arrêté du 12 juillet
1972, étaient maintenus en vigueur à titre provisoire dans la mesure où
ils ne seraient pas abrogés ou modifiés - par le Conseil d'Etat jusqu'au
31 décembre 1979 (cf. RLV 176, 1979, p. 344; art. 1er, 2, 5). Ainsi que
cela résulte clairement de la systématique dudit décret et de la date de
son entrée en vigueur, et comme le confirment les travaux préparatoires
(cf. l'exposé des motifs dans le Bulletin des séances du Grand Conseil
du canton de Vaud, session extraordinaire de septembre 1979, p. 1398 ss,
en particulier VI, p. 1402; exposé du rapporteur Liron, p. 1405 ss), ces
dispositions cantonales constituaient, bien qu'adoptées avant l'entrée
en vigueur de la LAT, des mesures prises en application de l'art. 36 de
cette loi afin de garantir que l'aménagement en cours d'adoption ne soit
compromis; elles transformaient ainsi les zones de protection établies
en vertu de l'AFU, et devenues caduques avec ce dernier le 31 décembre
1979, en zones de protection provisoire de droit cantonal instituées en
application de la LAT. Il n'est pas contesté en l'espèce que les deux
parcelles 312 et 314 étaient comprises dans une telle zone de protection
au dies aestimandi (24 août 1981) et qu'en application du décret cantonal
elles étaient alors inconstructibles.

    c) Certes, le 11 novembre 1973, soit durant la période de validité
de l'AFU, le Conseil d'Etat vaudois avait approuvé un plan d'extension
partiel de Chanivaz, concernant le seul secteur de Séréna, objet d'un
plan de quartier approuvé le 9 mars 1973 par le Conseil général de
Buchillon. Situé au milieu du domaine de Chanivaz, le secteur de Séréna,
d'une superficie de 6,6 ha environ, était destiné à accueillir, selon
les intentions des propriétaires aujourd'hui expropriés, un véritable
village de 400 habitants jouissant d'un accès aux rives du lac et doté
d'un port. Le 9 avril 1975, toutefois, statuant sur un recours des Ligues
suisse et vaudoise pour la protection de la nature, le Conseil fédéral
a annulé la décision d'approbation du Conseil d'Etat vaudois et ordonné
que le périmètre en question reste incorporé parmi les zones et régions
protégées à titre provisoire au sens de l'art. 2 al. 1, lettres a, b et d
AFU. En cours de procédure, le département fédéral compétent avait octroyé
l'effet suspensif au recours. Annulée par le Conseil fédéral comme étant
contraire au droit fédéral alors en vigueur, la décision du Conseil d'Etat
vaudois de 1973, favorable à la création du nouveau village de Séréna,
n'a donc jamais déployé d'effets.

    Au moment où les mesures de protection de l'AFU sont tombées, le
Conseil d'Etat vaudois aurait pu réexaminer la question. En effet, si le
décret du Grand Conseil du 11 septembre 1979 maintenait bien en vigueur
sur le plan cantonal les zones de protection instituées en vertu de l'AFU,
il autorisait néanmoins également le Conseil d'Etat à les supprimer ou à
les modifier le 31 décembre 1979 (art. 2 et 5 dudit décret). Cette autorité
aurait donc eu la faculté de remodeler la zone protégée de Chanivaz et, en
particulier, d'affecter à nouveau le centre de celle-ci à la construction,
en vue de réaliser le village de Séréna projeté auparavant. Le Conseil
d'Etat ne prit toutefois aucune mesure. Il n'est par ailleurs pas établi
qu'à ce moment-là (fin 1979) les expropriés l'auraient sollicité de faire
quelque chose dans ce sens, ni que des démarches auraient été entreprises
à cette fin par les autorités communales.
   ...

    Au dies aestimandi, les terrains litigieux ne pouvaient donc pas
recevoir de constructions autres que celles liées à leur exploitation
agricole, en vertu du décret du Grand Conseil vaudois du 11 septembre
1979, édicté en application de l'art. 36 LAT, et dont l'échéance était
fixée au 31 décembre 1981.

    d) Abstraction faite du décret précité, les terrains en question
devaient de toute façon être considérés comme inconstructibles au dies
aestimandi, et même au cours des années précédentes.

    Certes, selon le Règlement communal sur le plan d'extension et la
police des constructions adopté le 24 novembre 1971 par le Conseil général
de Buchillon et approuvé le 10 mars 1972 par le Conseil d'Etat vaudois,
l'ensemble de la campagne de Chanivaz, à l'exception de l'aire forestière,
était attribuée à la zone sans affectation spéciale; d'après le droit
cantonal alors en vigueur, il était possible, à certaines conditions,
d'y construire une habitation par 4500 m2 de terrain (art. 56 septies
lettre a LCAT dans sa version de la novelle du 26 février 1964 modifiant
le texte original du 5 février 1941; RLV 1964, p. 77 ss). Mais, à partir
du 1er juillet 1972, date de l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur
la protection des eaux contre la pollution du 8 octobre 1971 (LPEP),
les permis de construire n'étaient généralement délivrés que dans les
zones à bâtir ou, lorsque celles-ci faisaient défaut, dans le périmètre
du plan directeur des égouts, si le déversement des eaux usées dans les
canalisations était assuré. En revanche, en dehors de ce périmètre,
des permis ne pouvaient être délivrés que dans la mesure où le requérant
pouvait démontrer objectivement l'existence d'un besoin (ATF 102 Ib
213 consid. 1a et les références), et à la condition qu'un système
d'évacuation et d'épuration approuvé par le service technique cantonal
de la protection des eaux ait été prévu (art. 20 LPEP). D'après ces
dispositions - qui, à côté des buts de police, poursuivaient également
des objectifs d'aménagement du territoire (ATF 103 Ib 215 consid. 1d;
101 Ib 195 consid. 2c, 304 consid. 2b; 100 Ib 91 consid. 4), - un besoin
objectivement fondé pour de nouvelles constructions ne pouvait être reconnu
que si leur implantation était imposée par leur destination (art. 27
OLPEP; ATF 102 Ib 79 consid. 4a), exigence à laquelle il ne pouvait pas
être renoncé même dans les cas où le raccordement à une canalisation
aurait été techniquement possible (ATF 107 Ib 224/225 consid. 3c aa,
106 Ia 186 consid. 4b aa). Or, à supposer que les biens-fonds des
expropriés eussent été précédemment constructibles en vertu du droit
cantonal précité, ils auraient cessé de l'être le 1er juillet 1972 en
application des dispositions du droit fédéral alors en vigueur (LPEP),
car ils étaient situés en dehors du périmètre du plan directeur des égouts
et l'implantation des constructions projetées n'était manifestement pas
imposée par leur destination.
   ...

    Quant au droit fédéral, s'il est vrai que les art. 19 et 20 LPEP
ont été abrogés le 31 décembre 1979 et remplacés depuis par d'autres
dispositions, leur rôle joué en matière d'aménagement a cependant été
repris sans solution de continuité dans la LAT entrée en vigueur le 1er
janvier 1980: des autorisations de construire ne peuvent être délivrées
que si les constructions ou installations projetées sont conformes à
l'affectation de la zone et si le terrain est équipé (art. 22 al. 2
LAT); en dehors des zones à bâtir - comme en l'espèce - il faut que
l'implantation de ces constructions ou installations soit imposée par
leur destination et qu'aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose (art. 24
al. 1 LAT). Il est manifeste, et par ailleurs incontesté, qu'au dies
aestimandi ces conditions n'étaient pas remplies pour les fonds ici en
cause, auxquels seule une vocation agricole pouvait être reconnue.
   ...

    e) La constructibilité des terrains en cause au moment déterminant
étant exclue, une possibilité de meilleur usage au sens de l'art. 20 al. 1
LEx pouvait être admise seulement si l'on devait retenir comme hautement
probable que, le 31 décembre 1981, a l'expiration de la validité du décret
du Grand Conseil du 11 septembre 1979, les terrains en question auraient
été inclus à brève échéance dans une zone à bâtir, sur la base d'un plan
d'affectation analogue à celui adopté et approuvé en 1973, mais annulé
par le Conseil fédéral en application de l'AFU.

    Une telle perspective devait manifestement apparaître comme extrêmement
improbable, voire même exclue, compte tenu des critères fixés par la
LAT en matière d'aménagement du territoire ... et eu égard aussi aux
exigences de développement limitées de la petite commune de Buchillon,
ainsi qu'à la nature, à la situation, au caractère agricole homogène de
la campagne de Chanivaz, à l'absence d'infrastructure élémentaire et
à l'éloignement de l'agglomération villageoise. La prise en compte de
l'ensemble de ces éléments - indépendamment de toute considération de
protection du paysage - suffisait pour conclure que les perspectives
d'une insertion future, à brève échéance, de la campagne de Chanivaz
dans la zone constructible étaient au dies aestimandi - elles le sont
toujours - totalement aléatoires, pour ne pas dire inexistantes. Rien,
en d'autres termes, ne permettait de distinguer le sort qui serait fait
à ces terrains dans le futur - même à moyen ou long terme - de celui des
très nombreux fonds agricoles sis autour du village et dotés de qualités
comparables pour ce qui est de la tranquillité, de la vue ou du cadre
champêtre agréable. Des perspectives d'avenir aussi incertaines, purement
aléatoires, sortent du cadre de l'art. 20 al. 1 LEx et ne sauraient être
prises en considération pour déterminer la valeur vénale.

    En excluant la possibilité d'un meilleur usage, la Commission fédérale
d'estimation n'a donc pas violé le droit fédéral...

Erwägung 5

    5.- Les recourants soutiennent cependant que si le Conseil fédéral
n'avait pas, le 9 avril 1975, annulé le plan de quartier de Séréna adopté
par les autorités communales le 9 mars 1973 et approuvé par le Conseil
d'Etat vaudois le 11 novembre de la même année, leurs terrains seraient
devenus et restés constructibles, et eux-mêmes auraient vraisemblablement
pu réaliser dans l'intervalle leurs projets de construction. Cette
objection doit être examinée sous l'angle de l'art. 20 al. 3 LEx, même
si les recourants ne mentionnent pas expressément cette disposition,
car le Tribunal fédéral applique le droit d'office.

    a) L'art. 20 al. 3 LEx exprime un principe général qui découle de
l'art. 22ter Cst. Il commande de ne pas tenir compte, dans la fixation
de l'indemnité d'expropriation, des effets positifs ou négatifs que
l'ouvrage de l'expropriant peut avoir exercés sur la valeur vénale
des fonds expropriés, même si cette influence s'est manifestée avant
l'ouverture de la procédure, voire avant la publication du projet. Ces
effets anticipés, favorables ou défavorables, peuvent se traduire par une
variation du niveau des prix de terrains déterminés, sans changement du
régime juridique de ceux-ci (ATF 104 Ia 470 s. consid. 5b et c), ou par
une modification temporaire ou durable du statut juridique des fonds à
exproprier (création de zones réservées pour les routes nationales, par
exemple), ou encore parfois par une modification de mesures d'aménagement
adoptées ou à adopter par d'autres organes de la planification locale
(par exemple lorsque la prise en considération d'une future autoroute
conduit à modifier la limite d'une zone à bâtir communale). Si des
mesures d'aménagement préparatoires constituent en elles-mêmes déjà
une expropriation matérielle, le propriétaire peut et doit même faire
valoir ses prétentions à ce titre devant l'autorité compétente, sans
attendre l'ouverture subséquente de la procédure d'expropriation. En
dehors de cette hypothèse, les effets anticipés défavorables - ou même
favorables: cf. arrêt X. c. commune de Cumbels du 15 juin 1983, publié
dans ZBl 86/1985, p. 63 ss - n'ont pas à être pris en considération dans la
procédure d'expropriation formelle ouverte aux fins de réaliser l'ouvrage
de l'expropriant; l'indemnité se doit alors d'être fixée en fonction de
la situation qui aurait existe, selon le cours ordinaire des choses,
sans la mesure en cause (ATF 112 Ib 495, 110 Ib 47 s. consid. 3; voir
également l'arrêt canton des Grisons c. Viamala Garage AG du 15 décembre
1982, consid. 2 publié dans ZBl 84/1983, p. 176/177 et l'arrêt X. contre
commune de Cumbels du 15 juin 1983 déjà cité, ZBl 86/1985, p. 63 ss).

    b) En l'espèce, l'on ne saurait voir dans l'arrêté fédéral du 17
mai 1972 instituant des mesures urgentes en matière d'aménagement du
territoire (AFU) une mesure préparatoire en vue de l'expropriation
aujourd'hui en discussion. L'AFU a instauré sous forme de normes
générales et abstraites des mesures d'aménagement du territoire de nature
transitoire, en application de l'art. 22quater Cst., redéfinissant
du même coup le contenu du droit de propriété selon l'art. 22ter Cst.,
norme constitutionnelle de même rang.

    Entré immédiatement en vigueur, ce droit fédéral liait les autorités
communales de Buchillon et le Conseil d'Etat vaudois avant déjà la
publication du plan de quartier de Séréna et son approbation par les
autorités communale et cantonale, intervenue en violation du droit fédéral
et annulée pour ce motif par le Conseil fédéral. Même si l'on voulait
en faire abstraction, et considérer l'annulation de l'approbation du
plan de quartier de Séréna comme une mesure de blocage provisoire, les
recourants n'en pourraient tirer aucun profit. En effet, le refus d'inclure
leurs fonds - inconstructibles en vertu de la LPEP (cf. supra, consid. 4,
lettre d) - dans une nouvelle zone à bâtir n'a rien changé à la situation
juridique des propriétaires concernés, qui ont tout au plus vu fondre
un espoir de mener à bien un projet d'aménagement qu'ils envisageaient,
mais à la réalisation duquel ils n'avaient aucun droit. En d'autres
termes, les recourants ne sauraient tirer davantage argument du défaut
d'approbation du plan de 1973 que du refus précédemment opposé par les
autorités communales de Buchillon à leur premier et plus ambitieux projet
présenté le 13 mars 1969. Il n'en irait différemment à cet égard que s'il
était manifeste qu'une inclusion des terrains litigieux en zone à bâtir
s'imposait alors nettement et s'imposerait aujourd'hui du point de vue de
l'aménagement, compte tenu de leur emplacement et de leur aptitude, d'une
part, et des besoins de développement de la commune, d'autre part. C'était
le cas, par exemple, dans l'affaire de la commune grisonne de Soglio,
où il était question de la protection des jardins Salis, adossés au vieux
village et constituant l'aire la plus indiquée et quasi obligée pour une
extension, nécessaire, de la zone à bâtir: avec raison, la Commission
fédérale d'estimation du 13e arrondissement avait tenu pour hautement
vraisemblable in casu un classement en zone à bâtir dans un proche avenir,
pronostic partagé par la délégation du Tribunal fédéral et les experts qui
s'étaient rendus sur place (cause Confédération suisse c. B. et Commission
fédérale d'estimation du 13e arrondissement, rayée du rôle le 26 mars
1986 ensuite de transaction). On ne se trouve, dans le cas particulier,
en présence d'aucun de ces éléments et la référence à l'art. 20 al. 1 et
3 LEx n'est donc d'aucun secours aux recourants.

Erwägung 6

    6.- Par ailleurs, il n'est pas contesté en l'espèce que la constitution
de la servitude litigieuse ne compromet pas dans une mesure appréciable
l'usage agricole actuel et futur des fonds en cause; partant, en l'absence
de préjudice patrimonial, l'imposition de cette servitude n'entraîne pas
le versement d'une indemnité de moins-value au sens de l'art. 19 lettre
b LEx. On ne fait pas valoir non plus que cette mesure, équivalant à une
expropriation partielle, comporterait la perte d'avantages de pur fait
dont les fonds auraient continué à bénéficier selon le cours ordinaire des
choses et dont il y aurait lieu de tenir compte aux termes de l'art. 22
al. 2 LEx. Une prise en considération d'un meilleur usage futur étant
exclue, ainsi qu'on l'a vu, le recours principal des expropriés ne peut
qu'être rejeté.

Erwägung 7

    7.- Dans son recours joint, l'expropriante conclut à la réforme de la
décision de la Commission fédérale d'estimation sur la question du montant
des autres préjudices au sens de l'art. 19 lettre c LEx. L'indemnité
accordée à ce titre devrait être réduite de 656'733 francs à 74'285
fr. 85. Il s'agit des frais supportés par les expropriés de 1961 à 1980
en vue de la réalisation du projet de village Séréna et de ses annexes.

    Dans sa décision, la Commission fédérale d'estimation a rappelé
fidèlement la jurisprudence du Tribunal fédéral qui commande de rembourser
les frais de projets ou autres dépenses semblables que l'expropriation
a rendus inutiles, à condition toutefois que celle-ci n'ait pas été
prévisible pour l'exproprié au moment où ces dépenses ont été faites
(cf. ATF 102 Ia 252 consid. 7, 101 Ib 290 s. consid. d). Elle a par
ailleurs relevé à juste titre que les frais de plans engagés pour la
mise sur pied d'un projet pour lequel le permis de construire aurait dû
être refusé en application des dispositions légales applicables n'ont
pas à être remboursés (ATF 108 Ib 351 consid. 5c, 357), car l'absence
d'expropriation n'aurait rien changé à l'inutilité de ces dépenses. Le
jugement attaqué a fait toutefois de ces principes, en soi exacts, une
application erronée, que le Tribunal fédéral ne saurait avaliser.

    La Commission fédérale d'estimation a en effet omis de considérer que,
dès le début, les projets et études faits par les expropriés tendaient
non pas à l'obtention d'un permis de construire conforme au droit alors
en vigueur, mais à la modification de ce droit. Ils visaient en réalité
à faire adopter des mesures d'aménagement (plan d'extension, plan de
quartier) qui auraient permis une utilisation à des fins de construction
plus intensive que ne le permettait le droit cantonal avant l'entrée en
vigueur, le 1er juillet 1972, des dispositions restrictives de la LPEP,
ou qui auraient rétabli la constructibilité que cette loi fédérale avait
exclue à partir du 1er juillet 1972, suivie en cela, quelques années
plus tard, également par le droit cantonal. De ce point de vue, il est
sans importance que les autorités communales aient appuyé le projet des
promoteurs: ces derniers savaient ou devaient de toute façon savoir que
le succès définitif de leurs démarches ne dépendait pas seulement des
décisions des autorités communales, mais aussi de l'accord des autorités
cantonales et fédérales, accord à l'obtention duquel ils n'avaient aucun
droit. L'éventualité que leur initiative ne soit pas menée à bien, à
cause de décisions négatives des autorités compétentes pour connaître
des modifications qu'ils souhaitaient voir apporter à la planification
locale, faisait partie du risque normal de l'entrepreneur, assumé par les
promoteurs. Il s'ajoute à cela que les frais en question se sont avérés
inutiles avant déjà l'ouverture de la procédure d'expropriation, et qu'ils
ne présentent donc avec celle-ci aucun lien de causalité adéquate. Le fait
que les promoteurs ont agi de bonne foi - ce que personne ne conteste -
ne saurait suppléer au défaut d'un tel lien de causalité.

    Par conséquent, le recours joint de l'expropriante doit être admis
et l'indemnité due aux expropriés réduite dans la mesure requise par la
Confédération, dont les conclusions au demeurant lient le Tribunal fédéral
(art. 114 al. 1 OJ; ATF 109 Ib 31 consid. 1b et les références).