Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 114 IA 209



114 Ia 209

34. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 8 juin 1988 dans la cause
X. et divers consorts contre Conseil d'Etat du canton de Genève (recours
de droit public) Regeste

    Baurecht: Zonenkonformität eines Bauvorhabens.

    Beschwerdelegitimation (E. 1a); Ausnahme von der bloss kassatorischen
Natur der staatsrechtlichen Beschwerde (E. 1b).

    Weigerung, auf ein Bauvorhaben des Dienstleistungssektors
Zonenvorschriften einer Industriezone anzuwenden, die für Industrie
(nichtverschmutzende Industrie), Handels- und Dienstleistungsbetriebe
bestimmt ist. Entscheid für willkürlich erklärt (E. 2); gleichzeitige
Feststellung eines Verstosses gegen das Prinzip des Vertrauensschutzes
(E. 3).

Sachverhalt

    A.- En décembre 1984 et janvier 1985, X. et consorts ont promis
d'acheter deux parcelles sises au lieu-dit "La Susette", sur le territoire
de la commune genevoise du Grand-Saconnex.

    Une loi cantonale du 14 septembre 1979 autorise à cet endroit
l'application, aux conditions fixées par la loi générale sur les zones de
développement du 29 juin 1957 (LGZD), des règles de la zone industrielle
au sens de la loi sur les constructions et installations diverses (LCI),
cela pour permettre la création d'un quartier destiné aux activités
industrielles non polluantes, commerciales et de service. L'art. 2 LGZD
subordonne la délivrance d'autorisations de construire à l'approbation
préalable par le Conseil d'Etat d'un plan localisé d'aménagement et des
conditions particulières applicables au projet présenté. A cet égard,
un plan d'aménagement du quartier de "La Susette" a été approuvé le 21
juillet 1982 et son règlement dispose que "les terrains sont réservés
aux activités industrielles non polluantes, commerciales ou de service"
(art. 2). Par ailleurs, la loi générale sur les zones de développement
industriel du 13 décembre 1984 (LGZDI) prévoit aussi, à son art. 4, qu'en
vue de la délivrance d'une autorisation de construire dans ces zones,
le Conseil d'Etat peut autoriser l'application des normes de la zone
industrielle, au sens de la LCI, à différentes conditions.

    Le 18 avril 1985, les promettants-acheteurs ont sollicité du
Département des travaux publics du canton de Genève une autorisation
préalable pour la construction d'un bâtiment destiné à recevoir
avant tout des bureaux, des entrepôts et un parking souterrain de 114
places. Le projet avait été établi en fonction du plan d'aménagement de
"La Susette". Après un échange de correspondances et l'établissement d'un
nouveau projet, le département leur délivra l'autorisation préalable le
29 octobre 1985; celle-ci portait sur l'implantation, la destination,
le gabarit, le volume et la dévestiture du projet. Elle précisait que
"les conditions d'application des normes de la zone de développement
seront observées".

    La vente des deux parcelles eut lieu le 3 décembre 1985 et les
acquéreurs ont été inscrits au registre foncier, comme propriétaires,
le 24 janvier 1986. Le 24 février suivant, le Conseiller d'Etat chargé
du Département des travaux publics leur fit toutefois savoir que le
Conseil d'Etat devait tout d'abord prendre un arrêté de déclassement
avant la délivrance de l'autorisation définitive de construire et que
l'autorisation préalable délivrée était donc censée l'avoir été à titre
de simple renseignement.

    Statuant sur la requête en autorisation de construire définitive le 21
octobre 1987, le Conseil d'Etat genevois refusa de lui appliquer les normes
de la zone industrielle, en bref pour les motifs suivants: les normes de
la zone de développement industriel de "La Susette" permettaient certes,
outre des activités du secteur secondaire, des activités commerciales ou
de service; toutefois, vu les projets déjà autorisés dans cette zone, en
particulier d'importants projets relevant du secteur tertiaire, le solde
des terrains non bâtis se devait désormais d'être réservé à des activités
industrielles ou artisanales; en conséquence, plus aucune dérogation
n'y serait accordée au profit d'activités hôtelières, commerciales ou de
service; des projets de modification des plans directeur et d'aménagement
de "La Susette" étaient d'ailleurs en cours, modifications qui n'avaient
cependant pas encore été adoptées.

    Par la voie du recours de droit public, X. et consorts ont demandé
au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêté du Conseil d'Etat, en invoquant
la violation des art. 4, 22ter et 31 Cst. Le Tribunal fédéral a admis le
recours, annulé l'arrêté attaqué et invité le Conseil d'Etat à appliquer
les normes de la zone industrielle au projet des recourants.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) Le Conseil d'Etat fait valoir que les recourants ne sont pas
directement concernés par la décision attaquée, car ils n'auraient pas été
parties à la procédure cantonale, la requête d'autorisation de construire
définitive ayant été présentée au nom d'une société tierce.

    Aux termes de l'art. 88 OJ, ont qualité pour recourir les particuliers
ou les collectivités lésés par des arrêtés ou décisions qui les concernent
personnellement ou qui sont d'une portée générale. Est ainsi admise à
entreprendre une décision concrète par la voie du recours de droit public
toute personne que cette décision touche dans des intérêts juridiquement
protégés, c'est-à-dire ordinairement dans des intérêts privés dont le
droit constitutionnel invoqué assure la protection. Il importe peu que
la qualité de partie lui ait été ou non reconnue en procédure cantonale
(ATF 112 Ia 89 consid. 1b, 109 Ia 93, 172 consid. 4a, 107 Ia 74 consid. 2a
et les arrêts cités).

    En tant que propriétaires des parcelles litigieuses, les recourants
ont qualité pour entreprendre par la voie du recours de droit public une
décision de dernière instance cantonale qui les empêche de leur donner une
affectation prévue par la réglementation en vigueur. Au demeurant, et sans
que cela soit déterminant, le Département des travaux publics n'a à aucun
moment soulevé d'objection quant à la qualité pour agir des recourants
sur le plan cantonal. Au contraire, il les a manifestement considérés
comme instants à la demande de permis et l'ensemble des circonstances
démontre que telle était bien leur qualité, quel qu'ait pu être le rôle
joué par la société tierce, mentionnée il est vrai comme requérante dans
la demande d'autorisation de construire définitive.

    b) Outre l'annulation de la décision attaquée, les recourants
demandent qu'il soit ordonné au Conseil d'Etat d'autoriser l'application
des règles de la zone industrielle au projet qu'ils ont présenté. En
principe, le recours de droit public ne peut tendre qu'à l'annulation de
la décision cantonale (ATF 112 Ia 225 consid. 1c, 111 Ia 46 consid. 1c et
123 consid. 1b). Exceptionnellement, l'autorité cantonale peut cependant
être invitée à délivrer une autorisation de police refusée à tort, s'il
apparaît que toutes les conditions en sont remplies (ATF 100 Ia 158
consid. 1 et 174 consid. 2a).

    Le Conseil d'Etat invoque à l'appui de son refus uniquement
l'affectation prétendument incompatible du projet avec les règles de
la zone. En l'espèce, la situation en ce qui concerne les principes
d'application de ces règles est claire, et le fait que certaines mesures
concrètes soient encore indispensables en vue de la réalisation du projet
n'empêche pas de faire exception, dans les circonstances données, au
caractère cassatoire du recours de droit public.

Erwägung 2

    2.- Le Conseil d'Etat refuse d'appliquer les normes de la zone
industrielle au projet de construction litigieux au motif que celui-ci
serait contraire à ces normes. Si, par le passé, il a autorisé dans le
quartier de "La Susette" des constructions à but administratif et hôtelier,
il n'entend plus désormais y octroyer de dérogations en faveur d'activités
du secteur tertiaire. Il fait valoir son large pouvoir d'appréciation
dans ce domaine.

    Certes, selon l'art. 4 LGZDI, le Conseil d'Etat "peut", mais n'est pas
tenu, d'octroyer l'autorisation de déclassement. Il ne saurait toutefois
user de ses pouvoirs sans restriction et sa décision doit respecter les
droits constitutionnels, en particulier éviter l'arbitraire, c'est-à-dire
l'application déraisonnable des dispositions légales ou l'abus du pouvoir
d'appréciation (cf. arrêt non publié du 24 mai 1988, N. contre Conseil
d'Etat du canton de Genève, consid. 2).

    Les normes applicables au secteur de "La Susette", plus précisément
l'art. 2 du règlement de ce quartier, autorisent expressément, outre
les activités industrielles non polluantes, les activités commerciales
et de service. Rien ne permet de dire que ces activités commerciales
et de service ne seraient admises qu'à titre exceptionnel. La
réglementation en question les met, au contraire, sur le même pied
que les activités industrielles. Le fait qu'elle exclue les activités
industrielles polluantes démontre d'ailleurs qu'il ne s'agit pas en
l'espèce d'une pure zone industrielle. On ne saurait dès lors refuser
un projet dans la zone incriminée pour le seul motif qu'il relèverait
du secteur tertiaire, alors que précisément les activités commerciales
et de service y sont expressément admises. A cet égard, la présente
espèce se distingue nettement de l'affaire N. déjà citée (arrêt du 24
mai 1988), où le terrain concerné se trouvait dans une zone réservée
exclusivement à des activités industrielles ou assimilées: l'autorité
cantonale pouvait alors sans arbitraire refuser un projet relevant du
secteur tertiaire. Ici, le Conseil d'Etat fait certes valoir qu'il existe
déjà assez de bâtiments voués au secteur tertiaire dans le quartier de
"La Susette" et qu'il faut consacrer les parcelles encore disponibles à
l'industrie, qui manque de terrains à Genève. On peut comprendre un tel
objectif. Cependant, l'autorité ne saurait en assurer la réalisation en
appliquant les règles déterminantes de façon contraire à leur texte clair,
sous peine de verser dans l'arbitraire. Une modification des dispositions
légales ou réglementaires en cause doit préalablement être décidée par
l'organe compétent, modification qui est précisément en cours dans le
cas particulier.

Erwägung 3

    3.- Il y a lieu d'examiner si, outre le caractère arbitraire qu'elle
revêt visiblement en l'espèce, la décision attaquée s'avère aussi
contraire au principe de la bonne foi, comme le font valoir par ailleurs
les recourants.

    a) Le principe de la bonne foi confère au citoyen, à certaines
conditions, le droit d'exiger de l'autorité qu'elle se conforme aux
promesses ou assurances précises qu'elle lui a faites et ne trompe
pas la confiance qu'à juste titre il a placée dans ces promesses et
assurances. Selon la jurisprudence (ATF 109 V 55 consid. 3, 108 Ib 385,
107 V 160/161; cf. ANDRE GRISEL, Traité de droit administratif, 1984,
I p. 390 ss), les conditions d'exercice de ce droit sont les suivantes:

    1) que l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à
l'égard de personnes déterminées;

    2) qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de
sa compétence;

    3) que l'administré ait eu de sérieuses raisons de croire à la validité
de l'acte suivant lequel il a réglé sa conduite;

    4) qu'il se soit fondé sur l'acte en question pour prendre des
dispositions qu'il ne saurait modifier sans subir un préjudice;

    5) que la loi n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a
été donnée.

    b) Il est manifeste que la première de ces conditions (1) est remplie
dans le cas particulier.

    Quant à la deuxième (2), le Conseil d'Etat soutient que la décision
d'autorisation préalable du 29 octobre 1985 émane du Département des
travaux publics et qu'elle ne le lie dès lors pas, puisque c'est à lui,
gouvernement cantonal, qu'il incombe d'autoriser ou non l'application
des normes de la zone industrielle. Certes, l'autorisation préalable
a été prise par le département et il fallait encore, au stade de la
demande définitive, une décision de déclassement du Conseil d'Etat. Il
s'agit toutefois de deux autorités de la police des constructions,
dont l'une est subordonnée à l'autre (cf. art. 2 et 6 al. 1 et 5 LGZD;
art. 4 et 5 al. 1 et 3 LGZDI, qui attestent de cette subordination pour
la délivrance des autorisations en zone de développement, respectivement
en zone de développement industriel). Le dossier révèle à ce propos que
si le Conseil d'Etat a décidé, en février 1986, de ne plus autoriser
d'activités du secteur tertiaire à "La Susette", c'est sur la proposition
du département qu'il a pris cette décision. L'arrêté attaqué se borne à
reprendre le point de vue de l'autorité subalterne, qui tend à remettre
en cause l'autorisation préalable du 29 octobre 1985. L'argument tiré
de la coexistence de deux autorités distinctes n'a donc, en l'espèce,
guère de poids. Au demeurant, l'administré peut également invoquer
sa bonne foi lorsqu'il n'a pas été en mesure, même avec l'attention
voulue, de se rendre compte de l'incompétence de l'autorité (cf. GRISEL,
op.cit., p. 391; WEBER-DÜRLER, Vertrauensschutz im öffentlichen Recht,
p. 110/111). Il faut admettre à cet égard que les autorités cantonales
ont fait preuve d'ambiguïté dans le cas particulier.

    Le Département des travaux publics avait constaté, en délivrant
l'autorisation préalable, que l'affectation projetée était conforme aux
règles de la zone de développement en cause. Dans sa lettre du 24 février
1986, il a cependant estimé que cette autorisation devait être considérée
comme une prise de position sans portée juridique sur une simple demande
de renseignements. Il faut ainsi examiner si les recourants avaient de
sérieuses raisons de croire à la validité de l'acte du 29 octobre 1985
(condition 3). Conformément à l'art. 5 al. 1 LCI, la demande préalable tend
à obtenir du département une réponse sur, notamment, l'implantation et
la destination du projet présenté. Régulièrement publiée dans la Feuille
d'avis officielle, cette réponse vaut décision et entre définitivement
en force, faute de recours, sur les objets qu'elle agrée (art. 5 al. 5 et
214 al. 1 LCI). L'autorisation préalable délivrée en l'espèce constatait
expressément et sans réserve que le projet soumis était conforme du point
de vue de sa destination. La thèse selon laquelle cette autorisation
n'aurait constitué en fait qu'une réponse sans engagement à une demande
de renseignements n'est pas soutenable. La demande préalable a en effet
été traitée comme telle et a fait l'objet, comme on vient de le voir,
d'une décision qui n'a du reste pas été attaquée. Rien ne laissait
apparaître qu'il pût s'agir d'un simple renseignement ne liant pas
l'administration. Le Conseil d'Etat admet d'ailleurs, dans sa réponse
au recours, que pour éviter d'induire en erreur les administrés, le
département a été amené à traiter comme demandes de renseignements des
requêtes préalables lorsqu'une décision de déclassement était ensuite
encore nécessaire. Mais alors, ce fait ressortait clairement de la
réponse du département, comme dans le cas N. susmentionné (arrêt du 24 mai
1988). En l'espèce, les recourants pouvaient donc se fier au contenu de
l'autorisation préalable du 29 octobre 1985 pour prendre des dispositions
en vue de la réalisation de leur projet. De fait, ils ont mis à exécution
leur promesse d'achat des deux parcelles en signant les contrats de vente
du 3 décembre 1985, et il n'est pas contesté qu'ils ne sauraient modifier
les dispositions ainsi prises sans subir un préjudice (condition 4).

    Quant à la dernière condition (5), on relève que la situation juridique
n'a pas changé entre le moment où l'autorisation préalable a été délivrée
et le déclassement refusé. Certes, il existe un projet de modification des
règles de la zone; il a toutefois été soumis à l'enquête publique après
que la décision a été rendue, et le Conseil d'Etat ne prétend d'ailleurs
pas que ce projet pourrait être opposé à la demande des recourants.

    c) Enfin, l'intérêt public poursuivi en l'espèce ne l'emporte
pas manifestement sur l'intérêt privé des recourants à réaliser leur
projet. Les autorités cantonales ne sauraient donc, exceptionnellement,
se délier de leurs engagements (cf. GRISEL, op.cit. p. 397). Il en va
ici différemment du cas, jugé par le Tribunal fédéral, où l'autorisation
préalable avait été délivrée et le déclassement refusé par le Conseil
d'Etat, parce que le bâtiment envisagé entrait en conflit avec un projet
de construction de route nationale et qu'il n'eût pas été raisonnable
d'autoriser une construction pour risquer de devoir la démolir par la
suite (arrêt S.I. Perly-Soleil du 19 novembre 1975, publié dans SJ 1976,
p. 545 ss, consid. 6).

Erwägung 4

    4.- Les considérations qui précédent permettent d'admettre, dans
les circonstances du cas particulier, l'existence d'une violation à la
fois de l'interdiction de l'arbitraire (consid. 2) et du principe de
la bonne foi (consid. 3). Cela étant, le Tribunal fédéral peut admettre
le recours et inviter l'autorité intimée, conformément au consid. 1b, à
appliquer les normes de la zone industrielle au projet des recourants. Un
examen particulier des autres griefs soulevés (violation du principe de
la légalité, inégalité de traitement, détournement de pouvoirs, atteinte
à la liberté du commerce et de l'industrie, ainsi qu'à la garantie de la
propriété) s'avère dès lors superflu.