Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 113 IA 325



113 Ia 325

49. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 30 septembre 1987
dans la cause dame T. et consorts contre Conseil d'Etat du canton de Vaud
(recours de droit public) Regeste

    Persönliche Freiheit; Vollzug der Untersuchungshaft; Reglement, das
die Sendung von Nahrungsmitteln an Untersuchungshäftlinge ausserhalb der
Weihnachts- und Osternzeit verbietet.

    Tragweite der persönlichen Freiheit hinsichtlich der Ausgestaltung
der Untersuchungshaft (E. 4).

    Die angefochtene Massnahme ist durch das öffentliche Interesse
gerechtfertigt (E. 5), doch die Begrenzung der Anzahl Sendungen verstösst
gegen das Verhältnismässigkeitsprinzip. Untersuchungshäftlinge müssen
grundsätzlich aufs ganze Jahr verteilt wenigstens sechs, in speziellen
Fällen vier, Nahrungsmittelpakete empfangen dürfen (E. 6).

Sachverhalt

    A.- Par trois règlements adoptés le 6 mars 1987, le Conseil d'Etat
du canton de Vaud a modifié le règlement du 9 septembre 1977 des maisons
d'arrêts et de détention préventive d'Echallens, Morges, Orbe, Vevey et
des salles d'arrêts de Lausanne, le règlement du 9 septembre 1977 de la
prison du Bois-Mermet à Lausanne et le règlement du 20 janvier 1982 des
Etablissements de la Plaine de l'Orbe.

    Ces révisions avaient pour objet de supprimer le droit des détenus de
recevoir des colis contenant des denrées alimentaires en dehors des fêtes
de Noël et de Pâques, en compensant cette restriction par une précision de
leur droit de s'approvisionner à la "cantine" de l'établissement en denrées
alimentaires et autres objets. En ce qui concerne les Etablissements de la
Plaine de l'Orbe, la limitation du droit de recevoir des colis contenant
des denrées alimentaires, qui était déjà applicable aux condamnés, a été
étendue aux prévenus.

    Les trois règlements du 6 mars 1987 ont été publiés le 13 mars 1987
dans la Feuille des avis officiels du canton de Vaud.

    Le Tribunal fédéral a été saisi de deux recours de droit public
formés l'un par dame T., la Section vaudoise de la Ligue suisse des
droits de l'homme et l'Association de défense des prisonniers de Suisse,
l'autre par B. Les recourants demandaient au Tribunal fédéral d'annuler
les nouvelles dispositions dans la mesure où celles-ci visaient les
personnes en détention préventive. Ils invoquaient une violation du droit
constitutionnel non écrit à la liberté personnelle, de l'art. 4 Cst. et
de l'art. 3 CEDH. Le Tribunal fédéral a admis les recours dans la mesure
où ils étaient recevables; il a annulé les dispositions litigieuses.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- Selon l'art. 88 OJ, la qualité pour former un recours de droit
public appartient aux particuliers et aux collectivités lésés par des
arrêtés ou des décisions qui sont de portée générale ou qui les concernent
personnellement.

    a) Lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'attaquer un arrêté de portée
générale, la qualité pour recourir est reconnue à toute personne à qui
les dispositions prétendument inconstitutionnelles pourraient s'appliquer
un jour; une atteinte simplement virtuelle aux intérêts juridiquement
protégés du recourant suffit, à la condition toutefois qu'elle puisse
être envisagée avec une certaine vraisemblance (ATF 110 Ia 10 consid. 1a,
106 Ia 357 consid. 1a, 104 Ia 307 consid. 1a). On ne saurait exclure
d'emblée que B. et dame T. soient un jour soumis aux dispositions dont
ils invoquent l'inconstitutionnalité. Il faut dès lors leur reconnaître
la qualité pour attaquer ces dispositions.

    b) Une association a qualité pour entreprendre un arrêté de portée
générale à condition qu'elle ait la personnalité juridique, que ses
membres pris individuellement aient eux-mêmes qualité pour recourir,
que la défense de leurs intérêts constitutionnellement protégés figure
parmi ses buts statutaires et qu'enfin l'acte attaqué lèse objectivement
les membres dans leur majorité ou du moins en grand nombre (ATF 106 Ia
357 consid. 1a, 103 Ia 68 consid. b, 102 Ia 374 consid. 1).

    La Section vaudoise de la Ligue suisse des droits de l'homme n'est
pas statutairement chargée de la défense des intérêts de ses membres;
au surplus, ceux-ci ne sont pas nécessairement, tout au moins dans leur
majorité, des personnes en détention. Il faut par conséquent constater
que du point de vue de l'art. 88 OJ, cette association n'a pas qualité
pour agir en l'espèce.

    L'Association de défense des prisonniers de Suisse réunit en priorité
des détenus et ex-détenus des prisons suisses, quelle que soit leur
nationalité. Elle a notamment pour but de défendre les intérêts de ses
membres. Elle allègue qu'un grand nombre de ceux-ci sont effectivement
lésés par les dispositions attaquées. Elle ne tente cependant pas de le
démontrer, par exemple en présentant une liste de ses membres dont il
ressortirait qu'un grand nombre d'entre eux sont actuellement détenus
dans les prisons concernées. Il lui incombait pourtant de le faire. Le
Tribunal fédéral examine certes d'office la qualité pour agir au sens
de l'art. 88 OJ, mais il appartient au recourant de lui fournir les
éléments de fait propres à permettre cet examen en toute connaissance
de cause. La question de la recevabilité du recours de l'Association
de défense des prisonniers de Suisse peut cependant rester indécise,
du moment que celle-ci agit conjointement avec dame T.

Erwägung 4

    4.- La constitutionnalité d'un règlement cantonal sur le régime de
détention dans une prison doit d'abord être examinée sous l'angle de la
liberté personnelle, garantie par le droit constitutionnel non écrit
de la Confédération. Outre le droit d'aller et venir et le droit au
respect de l'intégrité corporelle, toutes les libertés élémentaires dont
l'exercice est indispensable à l'épanouissement de la personne humaine sont
garanties à l'individu, à titre subsidiaire et dans la mesure où elles ne
font pas déjà l'objet de garanties particulières. La liberté personnelle
peut être restreinte à certaines conditions, mais elle ne doit pas être
complètement supprimée ou vidée de tout contenu (ATF 112 Ia 162 consid. a,
249 consid. 3, 111 Ia 232 consid. 3a, 106 Ia 280 consid. a).

    Les personnes détenues peuvent invoquer la garantie de la liberté
personnelle, mais elles ne jouissent pas de ce droit constitutionnel
dans tous ses aspects. La mesure d'incarcération qui les frappe doit
certes reposer sur une base légale et être ordonnée dans l'intérêt
public. Cependant, une fois incarcérés, les intéressés sont soumis
aux restrictions qui découlent de la mesure de contrainte qui leur est
imposée. En vertu du principe de la proportionnalité, ces contraintes
ne doivent toutefois pas aller au-delà de ce qui est nécessaire au but
de l'incarcération et au fonctionnement normal de l'établissement de
détention (ATF 106 Ia 280 consid. a, 103 Ia 295 consid. a). A l'égard
de personnes détenues préventivement, les exigences inhérentes au but de
la détention doivent être examinées dans chaque cas, les restrictions
imposées pouvant être d'autant plus sévères que le risque de fuite,
de collusion ou de désordre interne apparaît plus élevé. D'une manière
générale, il se justifie de garantir la sécurité de chaque détenu et
celle du personnel de surveillance.

    Les restrictions de la liberté personnelle que comporte le régime
de détention doivent aussi être compatibles avec les garanties données
par la Convention européenne des droits de l'homme. Celle-ci ne
confère cependant pas, dans ce domaine, des garanties plus étendues
que le principe constitutionnel de la liberté personnelle (ATF 106
Ia 281 consid. b, 102 Ia 283 consid. 2b). L'un des recourants invoque
dès lors en vain l'art. 3 CEDH relatif à la torture et aux peines ou
traitements inhumains ou dégradants. En outre, contrairement à l'opinion
des recourants, les restrictions contestées ne concernent nullement la
présomption d'innocence consacrée à l'art. 6 ch. 2 CEDH, dont bénéficient
les prévenus. La privation du droit de recevoir des denrées alimentaires
n'est en effet pas imposée à ceux-ci en fonction de leur culpabilité,
mais seulement parce qu'il n'est pas possible d'exclure d'emblée que leur
comportement puisse troubler l'ordre de l'établissement.

    L'un des recourants invoque une violation de l'art. 4 Cst.; il ne
prétend cependant pas que cette disposition confère aux détenus des
droits plus étendus que ceux que leur offre la garantie de la liberté
personnelle. Celle-ci est donc seule en cause.

Erwägung 5

    5.- Le Conseil d'Etat fait valoir que la prison du Bois-Mermet
fournit à ses prisonniers des menus variés et adaptés aux besoins
particuliers des intéressés (régimes alimentaires) ainsi que des
possibilités étendues de faire acheter des aliments à l'extérieur
("cantine"). Dans ces conditions, à son avis, la privation du droit de
se faire envoyer des denrées alimentaires en dehors des fêtes de Noël et
de Pâques n'est qu'une atteinte peu grave à la liberté personnelle. Il ne
prétend cependant pas que tous les détenus des prisons concernées soient
placés dans des conditions aussi favorables. De toute manière, quelle que
soit la qualité de l'alimentation fournie par l'établissement, l'envoi de
denrées alimentaires à des détenus constitue pour ceux-ci un témoignage de
l'affection qui leur est portée par leurs parents et leurs amis; c'est par
conséquent un moyen de maintenir des liens concrets avec la société dont
ils sont séparés depuis leur arrestation. Des restrictions semblables
à celles instituées dans les textes critiqués sont dès lors de nature à
aggraver les effets psychologiques de la détention en développant chez les
personnes incarcérées le sentiment de leur isolement. Ces restrictions
peuvent, selon les circonstances, compromettre la réinsertion sociale
de ces personnes après leur libération. On doit donc admettre que les
dispositions attaquées apportent une restriction importante à la liberté
personnelle des détenus.

    Le Tribunal fédéral a examiné la régularité, au regard de la liberté
personnelle, de deux ordonnances zurichoises limitant les denrées
alimentaires admises à certaines marchandises dont le contrôle était
facile ou qui pouvaient n'être pas contrôlées. La deuxième ordonnance
a été annulée parce que l'autorité intimée n'avait pas démontré que
la liste des denrées autorisées, prétendument exhaustive, n'aurait pu
être étendue à d'autres denrées pouvant être contrôlées sans difficulté
(ATF 102 Ia 288 consid. 6, 99 Ia 279 consid. 7). Cependant, depuis le
prononcé de ces arrêts, la population pénitentiaire a augmenté de façon
importante en Suisse et sa structure s'est profondément modifiée. Sur la
base d'éléments précis, le Conseil d'Etat explique qu'il est contraint
d'adopter les mesures litigieuses parce qu'il ne lui est plus possible
d'effectuer les vérifications indispensables au maintien de l'ordre dans
les établissements pénitentiaires. Ces vérifications étaient aisées à une
époque encore récente où les envois étaient beaucoup moins nombreux. Les
objets dont on cherchait à éviter l'introduction clandestine étaient au
premier chef des objets métalliques qu'il est techniquement possible de
repérer sans endommager la marchandise destinée aux détenus. Aujourd'hui,
la tâche du personnel affecté au contrôle des envois consiste avant tout
dans la recherche de stupéfiants; or ceux-ci ne peuvent être détectés
sans détérioration des marchandises.

    Compte tenu des expériences générales faites en matière de détention et
des faits allégués par le Conseil d'Etat, que les recourants ne contestent
pas et que le Tribunal fédéral n'a aucune raison de mettre en doute,
l'ordre des prisons est exposé à de graves perturbations, causées par
l'introduction et la circulation de stupéfiants au moyen de combinaisons
alimentaires ingénieuses. Il est également concevable que les denrées
adressées aux détenus camouflent d'autres substances toxiques immédiatement
dangereuses pour eux-mêmes ou pour le personnel de surveillance. Seul un
contrôle sérieux et approfondi, impliquant l'ouverture ou le découpage
de ces denrées, est propre à prévenir ces dangers. De telles inspections
des aliments réduisent considérablement l'agrément que leur envoi devrait
procurer aux destinataires. Elles constituent une source de conflit entre
ceux-ci et le personnel de surveillance. Qu'il s'agisse de produits
naturels (fruits) ou manufacturés (gâteaux, préparations carnées), il
a été constaté que des cachettes sont parfois aménagées dans certains
d'entre eux; une vérification sûre impliquerait souvent leur destruction
irrémédiable. Il en résulte que les dispositions attaquées sont justifiées
par un intérêt public certain; il reste à examiner si elles ne vont pas
au-delà de ce qui est nécessaire à sa sauvegarde.

Erwägung 6

    6.- Le principe de la proportionnalité n'est pas violé du seul
fait que les restrictions critiquées s'appliquent à tous les détenus et
qu'elles visent toutes les denrées alimentaires. En effet, l'ordre des
prisons pourrait être compromis si les règles de contrôle n'étaient
applicables qu'aux seuls condamnés, à l'exclusion des personnes en
détention préventive. Il risquerait aussi d'être menacé si ces règles
n'étaient imposées qu'aux consommateurs de stupéfiants, présumés ou avérés,
car il est fréquent que des stupéfiants soient envoyés à d'autres détenus
chargés de les leur transmettre. Enfin, en raison de l'ingéniosité dont
les trafiquants de stupéfiants font constamment preuve, un contrôle limité
à une liste de denrées alimentaires déterminées serait illusoire.

    En revanche, la limitation apportée au nombre des envois ne respecte
pas le principe de la proportionnalité. Le Conseil d'Etat a décidé
une interdiction presque absolue, tempérée par la seule possibilité de
recevoir des denrées alimentaires à Noël et à Pâques. Il a simplement
étendu à l'ensemble des détenus le régime antérieurement applicable aux
condamnés, sans examiner la possibilité d'une solution plus souple pour
les prévenus. Ce système implique par exemple qu'une personne incarcérée
peu après Pâques ne pourrait recevoir aucun envoi de denrées alimentaires
avant d'avoir été détenue durant près de huit mois; une telle situation est
excessivement rigoureuse. Or, compte tenu de l'importance de l'atteinte
apportée à la liberté des détenus en détention préventive, on peut
raisonnablement attendre du canton qu'il aménage un système de contrôle
leur permettant de recevoir, en règle générale, au moins six envois de
denrées alimentaires répartis dans l'année, voire, dans certains cas
spéciaux, quatre envois par an.

    A cet égard, il n'appartient pas à la juridiction fédérale de se
substituer au législateur cantonal. Pour autant que l'exigence minimale
indiquée ci-dessus soit respectée, le droit constitutionnel ne s'oppose pas
à ce que la réglementation cantonale soit uniforme pour tous les détenus
ou qu'elle fasse au contraire des distinctions, par exemple en fonction
de la cause de la détention (condamnés ou détenus en détention préventive)
ou du risque spécifique que pourraient présenter certains types de détenus
(consommateurs ou diffuseurs de stupéfiants).

    Violant ainsi la liberté personnelle des personnes en détention
préventive, les dispositions attaquées doivent être annulées.