Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 110 IV 20



110 IV 20

9. Arrêt de la Cour de cassation pénale du 28 septembre 1984 dans la cause
M. c. Ministère public du canton de Vaud (pourvoi en nullité) Regeste

    Art. 148 StGB; missbräuchliche Verwendung einer Kreditkarte;
arglistige Täuschung.

    Wer in Kenntnis seiner Zahlungsunfähigkeit seine Kreditkarte behält
und weiterhin davon Gebrauch macht, begeht allein deshalb - trotz des dem
Kreditinstitut zugefügten Schadens - noch keine arglistige Täuschung im
Sinne von Art. 148 StGB.

Sachverhalt

    A.- M. est descendu le 15 octobre 1982 en compagnie de sa maîtresse
à l'hôtel Continental à Lausanne, il a payé la note au moyen d'une carte
de crédit du Diner's club. Se renseignant le lendemain, l'hôtelier a
appris qu'il n'honorait plus ses factures et que, notamment, il n'avait
pas réglé les relevés mensuels du Diner's club depuis trois mois.

    M. en effet avait cessé toute activité à la suite d'une fracture et
n'avait pas repris son travail d'appareilleur après son rétablissement au
début d'octobre 1982. Il dépensait passablement d'argent pour vivre avec sa
maîtresse. A court de liquidités, après avoir encaissé une assurance-vie
et vendu sa voiture, il utilisait sa carte de crédit, seul moyen pour
lui de faire face à sa situation matérielle. Il avait reçu une mise en
garde du Diner's club et il savait, lorsqu'il utilisait sa carte, qu'il
n'était pas en mesure d'honorer les relevés.

    A fin janvier 1983, il avait pour 8'000 à 9'000 francs de dettes,
dont environ 3'000 francs envers le Diner's club. Cette dernière dette
a été remboursée depuis lors.

    B.- Dénoncé à la police de sûreté, M. a été condamné, le 14 septembre
1983, par le Tribunal de police du district de Lausanne, à un peine ferme
de deux mois d'emprisonnement pour escroquerie.

    Les recours en nullité et en réforme qu'il avait déposés auprès de la
Cour de cassation du Tribunal cantonal vaudois ayant été rejetés le 12
décembre 1983, M. se pourvoit en nullité auprès de la Cour de cassation
du Tribunal fédéral; il conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et
demande à bénéficier de l'effet suspensif.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Le recourant se plaint de la violation de l'art. 148 CP; il
soutient que, vu la nature de la carte de crédit dont il disposait, il
n'a pas induit astucieusement une personne en erreur par des affirmations
fallacieuses et n'a partant pas déterminé cette personne à des actes
préjudiciables à ses intérêts. Il reproche aux autorités cantonales leur
tendance, manifestée dans la décision attaquée, à étendre abusivement la
protection du droit pénal à tous les systèmes qui encouragent les dépenses
excessives ou prématurées, comme, selon lui, la carte de crédit. Faisant
état d'un domicile fixe, et d'un salaire régulier, il affirme qu'il ne
fait pas courir davantage de risques à un organisme de crédit que celui
qui emprunte en recourant au petit crédit. L'art. 148 CP, selon lui,
ne serait en aucun cas applicable à celui qui, bénéficiant d'un système
de crédit quelconque, se trouve avoir dépassé la limite du crédit qui
lui aurait été octroyée. Il affirme aussi qu'il n'avait pas l'intention,
ni d'ailleurs la possibilité, de se soustraire au paiement de son dû.

Erwägung 2

    2.- Il importe de rappeler que le Tribunal fédéral est lié par les
considérations de fait de l'autorité cantonale (art. 273 al. 1 lettre b et
277 bis al. 1 PPF). Font précisément partie des faits l'intention de même
que la conscience et la volonté de l'auteur (ATF 107 IV 30 consid. 2a,
106 IV 114, 105 IV 246 consid. 2c et jurisprudence citée). Le recourant
ne saurait dès lors remettre en cause de telles constatations, parmi
lesquelles on relève qu'il savait, lorsqu'il utilisait sa carte, qu'il
n'était pas en mesure d'honorer les relevés et qu'il a utilisé sa carte
pour la seule raison que, n'ayant plus d'argent et plus aucun revenu,
c'était pour lui la dernière possibilité de faire face à ses besoins
matériels d'ailleurs fortement accrus par les dépenses extraordinaires
qu'il était amené à faire en faveur de sa maîtresse. De même, il est
admis en fait que le recourant s'était abstenu volontairement de faire
part de sa situation nouvelle au Diner's club, comme il aurait dû le
faire en vertu des conditions générales d'octroi de la carte de crédit.

Erwägung 3

    3.- Le système de remboursement utilisé dans la carte de crédit
en cause consiste dans les facilités de remboursement échelonnées
dans le temps accordées aux bénéficiaires dans les limites d'un
découvert préalablement déterminé et reconstitué au fur et à mesure des
paiements selon un système "revolving". En d'autres termes l'émetteur
(en l'occurrence Diner's club) accorde à l'adhérent (le recourant) la
possibilité de lui rembourser de manière échelonnée les sommes qu'il a
payées au fournisseur (en l'occurrence l'hôtel Continental), et cela dans
la limite d'un découvert convenu qui se renouvelle automatiquement au
fur et à mesure des remboursements. En pratique, et en ce qui concerne
toujours la carte Diner's club, il est prescrit dans les conditions
générales, qu'au lieu d'avoir affaire à une limite de découvert convenue,
l'hôtelier, au cas où les dépenses de l'adhérent dépassent une certaine
somme, est tenu d'aviser l'émetteur dans les 24 heures suivant le départ
de l'adhérent. Dans ce cas, il n'y a pas d'examen de la liste de blocage,
l'émetteur assumant le risque vis-à-vis de l'adhérent et vis-à-vis du
fournisseur, à moins que ce dernier n'ait dû avoir des soupçons en ce
qui concerne les possibilités de remboursement (cf. ALFRED KELLER,
Kreditkarten, 1981, p. 43). La facture constatant la transaction
(appelée en pratique "billing form") et sur laquelle sont reproduites
les mentions de la carte, est adressée par le fournisseur à l'émetteur
qui paie le fournisseur affilié et se retourne ensuite vers l'adhérent
pour le remboursement. Cette facture portant les mentions précitées
et la signature de l'adhérent constitue une reconnaissance de dette de
l'adhérent à l'encontre de l'émetteur (voir KELLER, op.cit., pp. 238/239,
n. 94, et Neue Juristische Wochenschrift 1983/36 vol. I. p. 1289). Il
s'agit d'une institution apparentée à l'assignation (art. 466 ss CO).

Erwägung 4

    4.- La seule question qui se pose en l'espèce, dans le cadre de
l'application de l'art. 148 CP pour sanctionner l'indélicatesse du
recourant, est celle de savoir s'il a commis une tromperie astucieuse.

    Il y a astuce, au sens de la jurisprudence (ATF 107 IV 170, 100 IV 274,
99 IV 75), lorsque l'auteur dissuade sa victime de contrôler l'exactitude
de ses affirmations ou s'il prévoit qu'en raison des circonstances, sa
victime s'abstiendra d'un tel contrôle ou encore lorsqu'un tel contrôle
ne pourrait se faire sans grande peine, ainsi qu'en cas de mise en scène,
de manoeuvres frauduleuses ou d'un échafaudage de mensonges. Le fait de se
taire peut constituer la tromperie astucieuse constitutive d'escroquerie
lorsqu'il existe un devoir de renseigner, comme par exemple dans le cas
où, peut-être involontairement, l'auteur ou son complice est à l'origine
de l'erreur qui déterminera la victime aux actes préjudiciables à ses
intérêts, qu'il prend conscience de celle-ci et qu'il lui est encore
possible de la dissiper avant que le dommage ne survienne. En revanche,
il n'existe pas d'obligation générale du débiteur d'exposer sa propre
situation financière (GERMANN, Das Verbrechen im neuen Strafrecht, Zurich
1942 p. 275 ss). D'une manière générale, il y a lieu de se fonder sur le
principe de la bonne foi (ARDINAY, Der Betrug nach dem schweizerischen
Strafgesetzbuch in RPS 1970 p. 235, STRATENWERTH, Bes. Teil I 3e éd.,
p. 237).

    In casu, on ne saurait reprocher au recourant d'avoir trompé
l'hôtelier, puisque celui-ci n'aurait subi aucun préjudice s'il
s'était conformé aux instructions figurant sur la facture constatant la
transaction. Or il n'est ni établi, ni même soutenu, que l'hôtelier aurait
été détourné par le recourant de se conformer à ces prescriptions. En
revanche, il n'est pas douteux que le recourant a trahi la confiance mise
en lui par le Diner's club; mais on ne saurait dire qu'il a bénéficié
d'une erreur dans laquelle celui-ci se serait trouvé quant à sa capacité
de paiement, puisque précisément il avait été mis en garde pour les
retards qu'il accumulait depuis trois mois dans le remboursement de son
découvert. Il n'est d'ailleurs pas reproché au recourant d'avoir manoeuvré
d'une manière quelconque pour conserver sa carte de crédit et sa qualité
d'adhérent et, s'il est constaté en fait qu'il se savait hors d'état
d'honorer ses engagements, il ne lui est pas fait grief d'avoir considéré
que cette situation était définitive ni d'avoir décidé qu'il ne paierait
jamais sa dette. Il a d'ailleurs remboursé Diner's club par la suite.

    Pour pouvoir condamner le recourant, il faudrait donc admettre que
celui qui se trouve lié par un contrat doit aviser l'autre partie d'une
aggravation même passagère de sa situation financière, avant d'accepter
d'elle une prestation dont il n'a pas déjà fourni la contre-partie,
ou simplement pour pouvoir continuer à bénéficier d'une prestation
dont la contre-partie est périodique (en cas de location mobilière
ou immobilière, de contrat de travail par exemple). Cela conduirait à
sanctionner pénalement la plupart des contrats, alors que précisément
le législateur n'a voulu réprimer que les malhonnêtetés d'une gravité
particulière en raison de l'astuce dont fait preuve l'auteur pour tromper
sa victime (cf. notamment ATF 99 IV 76 et citations).

    Le recourant n'ayant pas fait preuve d'astuce par des affirmations
fallacieuses ni par l'exploitation de l'erreur d'autrui qu'il aurait connue
ou provoquée même involontairement, il doit être libéré de l'accusation
d'escroquerie pour l'usage abusif qu'il a fait de sa carte du Diner's club.

Entscheid:

             Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet le pourvoi dans la mesure où il est recevable, annule l'arrêt
attaqué et renvoie la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle libère
le recourant.