Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 110 II 199



110 II 199

42. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 1er mars 1984 dans la cause
S. contre S. SA en liquidation concordataire (recours en réforme) Regeste

    Begünstigungsklausel in der Personenversicherung.

    Die Bezeichnung eines Begünstigten ist unabhängig von der Mitteilung an
den Versicherer gültig; sie gilt insbesondere in den Beziehungen zwischen
dem Versicherungsnehmer oder dem Versicherten, der die Begünstigung
ausgesprochen hat, und dem Begünstigten. Gegenüber dem Versicherer wirkt
die Begünstigungsklausel nur, wenn sie ihm mitgeteilt worden ist. Hat
der Versicherer guten Glaubens an den alten Begünstigten geleistet, weil
er die neue Klausel nicht kannte, mit der die bisherige Begünstigung
widerrufen wurde, so kann der neue Begünstigte gegenüber dem alten
Begünstigten, der die Leistung des Versicherers empfangen hat, die Klage
aus ungerechtfertigter Bereicherung erheben (Änderung der Rechtsprechung).

Sachverhalt

    A.- a) Pierre S., président et administrateur délégué de la société
S. S.A., est décédé des suites d'un accident de circulation en octobre
1976. Il a laissé comme héritiers son épouse Danielle, quatre enfants
nés d'un premier mariage et deux enfants d'une seconde union.

    b) Pierre S. avait conclu, soit personnellement, soit par
l'intermédiaire de S. S.A., dix-sept contrats d'assurance, dont une police
d'assurance individuelle contre les accidents de fr. 1'500'000.--contractée
auprès de la Northern Assurance Company Ltd, conjointement avec les Lloyd's
de Londres, No PA 78.954/17, laquelle avait été établie le 12 janvier 1967
en remplacement d'une police antérieure No PA 77.419/17. Cette substitution
était intervenue à la suite d'une demande d'avenant du 5 décembre 1966
et d'une nouvelle proposition d'assurance qui portent toutes deux la
signature de Pierre S. Les photocopies de cette police que détiennent les
héritiers de feu Pierre S., d'une part, et la société S. S.A., d'autre
part, ne comportent aucune signature à l'endroit prévu pour celle du
preneur d'assurance; aucune clause bénéficiaire n'y figure. En revanche,
la demande d'avenant signée par Pierre S. le 5 décembre 1966 mentionne que
le bénéficiaire de la nouvelle police à établir est "S. S.A. Genève". De
même, la proposition d'assurance, signée également le 5 décembre 1966 par
Pierre S., indique sous ch. VIII: "en cas de décès (art. 12 des conditions
générales) payables à S. S.A. Genève fr. 1'500'000.--".

    c) Dans une lettre dactylographiée, datée du 3 avril 1974, adressée
à S. S.A., Pierre S. a écrit ce qui suit:

    "Concerne: police d'Assurance Individuelle PA 78.954/17 (Assurance

    Accidents) en faveur de Pierre S.

    Messieurs,

    Pour éviter toutes incertitudes au sujet de la police susmentionnée,
   dont les primes sont payées par S. S.A., Genève, je confirme par la
   présente qu'en cas d'accident, le 50% (cinquante) du montant versé
   par la

    Northern (Lloyd's de Londres) revient à S. S.A., Genève, l'autre 50%
   (cinquante) à mes héritiers."

    S. S.A. a reçu cette lettre. La Northern n'a eu connaissance de son
contenu qu'en janvier 1981.

    d) A la suite du décès accidentel de Pierre S., la Northern Assurance
a versé à S. S.A. fr. 250'000.-- le 27 avril 1977, et les Lloyd's
fr. 1'250'000.-- le 9 mai 1977. Ces sommes sont entrées dans les comptes
de la société.
   e) Par lettre du 14 février 1977, signée par son administrateur
Marc S., S. S.A. a communiqué au notaire X., chargé de dresser l'inventaire
de la succession de feu Pierre S., un relevé des polices d'assurances
conclues au nom de ce dernier; s'agissant de la police PA 78.954/17,
Marc S. prévoyait l'attribution aux héritiers de feu Pierre S. du 50%
du montant que devaient verser la Northern et les Lloyd's.

    A la même date, Marc S. a envoyé à l'avocat Y. un autre relevé des
assurances contractées au nom de Pierre S. indiquant S. S.A. comme seule
bénéficiaire de la somme de fr. 1'500'000.-- due par la Northern et
les Lloyd's.

    f) Le 1er octobre 1980, le Tribunal de première instance du canton
de Genève a accordé à S. S.A. un sursis concordataire.

    Se fondant sur la lettre envoyée par Pierre S. à S. S.A. le 3 avril
1974, Danielle S. a produit en main des commissaires au sursis deux
créances, l'une de fr. 12'500.--, représentant des arrérages de rente de
veuve, et l'autre de fr. 325'000.--, sa quote-part sur les fr. 1'500'000.--
encaissés par S. S.A. De leur côté, les deux enfants nés du second mariage
de feu Pierre S., Jean S. et Monique S., ont produit des créances de
fr. 108'200.-- chacun, représentant leurs parts sur l'indemnité versée
par la Northern et les Lloyd's. Les commissaires au sursis ont écarté
ces productions au motif que, dans la mesure où la lettre du 3 avril
1974 pourrait être interprétée comme une disposition pour cause de mort,
celle-ci serait nulle parce qu'elle ne répond pas aux exigences de forme
en matière de testament.

    Danielle S., Jean S. et Monique S. ont renouvelé leurs productions
dans le cadre de la liquidation concordataire de S. S.A.; elles ont
derechef été écartées avec la même motivation.

    g) Dans les dix jours à compter de la publication de l'état de
collocation, Danielle S., Jean S. et Monique S. ont introduit action
devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Disant
agir conjointement et solidairement, ils ont conclu à ce que S. S.A. en
liquidation concordataire (ci-après: S. S.A.) fût condamnée à payer,
avec intérêts, à Danielle S. fr. 35'000.-- et fr. 187'500.--, à Jean
S. fr. 93'750.-- et à Monique S. fr. 93'750.--. Pour ce qui concerne
le montant de fr. 35'000.--, dame S. a fait valoir que, depuis le décès
de son mari, S. S.A. lui avait versé une rente de veuve mensuelle de
fr. 2'500.--, qui avait été supprimée dès le mois d'octobre 1980. Elle
réclamait le paiement des quatorze mois échus jusqu'à l'introduction de
la demande. S'agissant des autres montants, les demandeurs invoquaient les
"instructions" contenues dans la lettre de feu Pierre S. du 3 avril 1974,
de même que la "confirmation" adressée le 14 février 1977 au notaire X. par
S. S.A., confirmation équivalant, selon eux, à une reconnaissance de dette.

    La défenderesse a conclu au rejet de la demande.

    Par jugement du 16 septembre 1982, le Tribunal de première
instance du canton de Genève a débouté les demandeurs de toutes leurs
conclusions. Faisant siennes les objections de S. S.A., il a considéré que
la lettre de Pierre S. du 3 avril 1974 n'était pas un avenant à la police
d'assurance No PA 78.954/17, sur la base de laquelle la Northern et les
Lloyd's avaient payé au total fr. 1'500'000.--, mais qu'elle constituait
une disposition pour cause de mort, nulle pour vice de forme. Il a d'autre
part estimé que la lettre de S. S.A. au notaire X. du 14 février 1977
n'était pas une reconnaissance de dette, et que son contenu serait de
toute façon dénué de cause valable parce que découlant d'une disposition
nulle. Il a enfin constaté que le dossier ne contenait aucun élément
permettant d'admettre que S. S.A. aurait assumé l'obligation de verser
une rente de veuve à Danielle S.

    B.- Danielle S., Jean S. et Monique S. ont interjeté appel auprès
de la Cour de justice du canton de Genève contre le jugement de première
instance. Ils ont modifié les chefs de demande qu'ils avaient articulés
devant le premier juge et ont conclu à ce qu'il fût prononcé:

    - que l'action en contestation de l'état de collocation qu'ils ont
intentée l'a été en temps utile;

    - que les créances qu'ils ont régulièrement produites ont été écartées
à tort et qu'elles doivent être portées à l'état de collocation de S. S.A.,
en liquidation concordataire, soit pour un montant de

    Fr. 187'500.-- pour Danielle S., avec intérêt à 5% à compter du jour
                    où la défenderesse et intimée a reçu ce montant
                    de l'assurance,

    Fr.  93'750.-- pour Monique S., avec intérêt à 5% à compter du même
                    jour,

    Fr.  93'750.-- pour Jean S., avec intérêt à 5% à compter du même
                    jour.

    Par arrêt du 23 septembre 1983, la Cour de justice a rejeté l'appel
formé par les demandeurs contre le jugement précité, qu'elle a confirmé.

    C.- Danielle S., Jean S. et Monique S. recourent en réforme au Tribunal
fédéral. Ils concluent à l'annulation de l'arrêt déféré et à l'admission
des conclusions principales qu'ils avaient articulées dans l'instance
cantonale d'appel et qu'ils formulent derechef dans leur acte de recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- a) La cour cantonale considère avec raison que le sort de la
demande dépend essentiellement de la nature juridique et de la portée de la
lettre de feu Pierre S. du 3 avril 1974, adressée à S. S.A., au sujet de la
police d'assurance individuelle contre les accidents qu'il avait conclue
auprès de la Northern Ltd et des Lloyd's de Londres, prévoyant uniquement
le paiement, en cas de décès, de la somme de fr. 1'500'000.--. D'après
la proposition d'assurance, signée par Pierre S. le 5 décembre 1966,
ch. VIII a, ce montant était payable à "S. S.A.-Genève". Dans sa lettre
précitée à S. S.A., Pierre S., pour éviter toute incertitude au sujet de
cette police, dont les primes étaient payées par S. S.A., confirme qu'en
cas d'accident le 50% de la somme assurée revient à S. S.A. à Genève et
l'autre 50% à ses héritiers. S. S.A. n'a pas contesté avoir reçu cette
lettre. La Northern, compagnie gérante, n'en n'a pas reçu communication
et n'en a eu connaissance qu'en janvier 1981.

    Vu la clause précitée (VIII a), stipulée dans la proposition
d'assurance, les assureurs (Northern et Lloyd's) étaient en droit, à
la suite du décès accidentel de Pierre S., de verser la somme assurée
à S. S.A., car le contenu de la lettre susmentionnée de Pierre S., du 3
avril 1974, n'avait pas été porté à leur connaissance.

    Le ch. VIII a de la proposition d'assurance, prévoyant le paiement
de la somme assurée à S. S.A. en cas de décès accidentel de Pierre S.,
constitue une clause bénéficiaire au sens des art. 76 ss LCA. Cela est
confirmé par la "demande d'avenant" signée par Pierre S. le 5 décembre
1966, en vue du remplacement de la police No PA 77.419/17 par la police
No PA 78.954/17, établie le 12 janvier 1967, à la suite de la proposition
d'assurance précitée du 5 décembre 1966, afin de porter la somme assurée
à fr. 1'500'000.--; cette demande d'avenant, signée par Pierre S.,
sous la rubrique "le preneur d'assurance", contient la mention "le
bénéficiaire: S. S.A. Genève". S. S.A. est désignée comme bénéficiaire
de l'assurance. Cette désignation a été faite lors de la conclusion du
contrat, puisqu'elle figurait dans la proposition d'assurance signée
par Pierre S. (cf. KOENIG, FJS 110, Contrat d'assurance XVIII, Clause
bénéficiaire, p. 2). La clause bénéficiaire se trouvait ainsi communiquée
par écrit à l'assureur par le disposant (cf. ATF 62 II 173/174, 61 II
280/281).

    Pierre S. n'avait pas renoncé par écrit signé à la révocation
dans la police même (art. 77 al. 2 LCA). Il pouvait partant révoquer
partiellement cette clause et désigner d'autres bénéficiaires en plus de
S. S.A. (cf. KOENIG, op.cit., p. 3). Il l'a fait par lettre du 3 avril 1974
adressée à S. S.A., lettre qui confirmait des dispositions qu'il disait
avoir exprimées antérieurement. Comme on l'a vu, le contenu de cette
lettre n'a pas été communiqué par Pierre S. lui-même, ni par S. S.A.,
aux assureurs Northern et Lloyd's.

    Fondée sur la jurisprudence (ATF 62 II 173/174, 61 II 280/281) et la
doctrine qu'elle cite (AMSLER, Donation à cause de mort et désignation du
bénéficiaire d'une assurance de personnes, thèse Lausanne 1979, pp. 69/70;
PIOTET, Libéralités portant sur une assurance-vie et réserve héréditaire,
RSJ 1972/68, p. 197 ss; Réduction et rapport des libéralités portant sur
une assurance-vie, RSJ 1960/56, p. 172), la cour cantonale estime que
la clause bénéficiaire contenue dans la lettre de Pierre S. à S. S.A.,
du 3 avril 1974, ne produit pas d'effets dès lors qu'elle n'a pas été
communiquée à l'assureur, la désignation d'un bénéficiaire étant une
déclaration de volonté soumise à réception.

    b) Dans l'arrêt ATF 62 II 173/174, le Tribunal fédéral s'est exprimé
en ces termes:

    "... de ce que la désignation du bénéficiaire est, d'après la loi de

    1908, un acte unilatéral et dégagé de toute forme particulière et
que - à
   défaut de disposition contraire - on doit en conclure qu'elle peut se
   faire aussi bien verbalement que par écrit, il ne s'ensuit pas pour
   autant qu'elle soit acquise du seul fait qu'il serait établi que le
   preneur d'assurance a voulu effectivement attribuer le bénéfice de
   l'assurance à telle personne déterminée.

    Il faut encore que la volonté du déclarant parvienne à la connaissance
   de la personne à laquelle elle est destinée, c'est-à-dire à l'assureur.

    C'est ce que, dans la terminologie allemande, on exprime en disant
que la
   désignation du bénéficiaire est une "empfangsbedürftige
   Willenserklärung".

    Cette condition découle en effet de la nature même de l'acte entre
vifs,
   qui suppose le concours de deux personnes, à savoir, en l'occurrence,
   celle de qui émane la déclaration de volonté, et celle à l'égard de
   laquelle cette déclaration doit produire ses effets et qui ne peut
   être obligée qu'à la condition au moins d'en avoir eu connaissance,
   du vivant même du disposant. Il s'ensuit donc que pour produire ses
   effets, il ne suffit pas que le preneur d'assurance ait ... exprimé
   sa volonté par écrit; il faut, pour que cette déclaration produise un
   effet juridique, ou que l'écrit respecte les formes du testament, ou que
   l'expression de cette volonté soit adressée et parvienne à l'assureur.

    Des considérations d'ordre pratique conduiraient d'ailleurs au même
   résultat et non seulement en ce qui concerne les rapports entre
   l'assureur et le bénéficiaire, mais aussi entre deux bénéficiaires
   successifs. Il suffirait en effet, dans l'hypothèse contraire, qu'un
   tiers quelconque vînt prouver que le preneur d'assurance a manifesté
   l'intention de le désigner comme bénéficiaire ou de révoquer à son
   profit une désignation antérieure, pour mettre ou les héritiers légaux
   ou le premier bénéficiaire désigné dans l'obligation de restituer le
   montant de l'assurance, plusieurs années après peut-être, et alors
   qu'au moment du paiement rien ne révélait qu'ils n'étaient pas les
   véritables ayants droit. Or il suffit de penser aux difficultés et aux
   abus mêmes auxquels l'administration de cette preuve pourra donner lieu
   pour écarter cette solution. S'il est un domaine en lequel il importe
   que les droits des intéressés soient fixés d'une manière certaine
   et définitive, c'est bien celui de l'assurance, et ce n'est donc pas
   trop exiger du preneur d'assurance, qui ne veut pas user de la forme
   du testament, qu'il donne avis de la désignation à l'assureur lui-même."

    Dans l'arrêt antérieur, ATF 61 II 280, le Tribunal fédéral a également
dit que la désignation du bénéficiaire doit, pour sortir des effets,
parvenir à la connaissance de l'assureur.

    La cour cantonale reconnaît que cette jurisprudence est critiquée
par divers auteurs, spécialistes du droit des assurances. Elle considère
toutefois qu'il n'y a pas de raison de s'en écarter.

    Le Tribunal fédéral ne saurait maintenir cette jurisprudence déjà
ancienne sans examiner l'opinion divergente d'auteurs importants,
(tels JAEGER, Kommentar zum schweizerischen Bundesgesetz über
den Versicherungsvertrag vom 2. April 1908, III, pp. 111/112,
n. 18 ad art. 76 LCA; KOENIG, Schweizerisches Versicherungsrecht,
3e éd. 1967, pp. 425/426, Der Versicherungsvertrag, Schweizerisches
Privatrecht VII/2, p. 698, FJS 110, p. 2; MAURER, Einführung in das
schweizerische Privatversicherungsrecht, p. 346 n. 58) et d'autres encore,
mentionnés notamment dans la thèse précitée de AMSLER (p. 70; BECK, Die
Versicherung zu Gunsten Dritter, thèse Berne 1910, p. 59; RÜEGGER, Die
Lebensversicherung, thèse Zurich 1929, p. 34; BOSSARD, Die Rechtsnatur
der Begünstigungsklausel nach schweizerischem Versicherungsrecht,
thèse Berne 1940, pp. 48-50; PÉQUIGNOT, La stipulation pour autrui,
thèse Berne 1942, pp. 90/91). Il faut reconnaître, avec ces auteurs,
tout d'abord que l'exigence posée par la jurisprudence précitée, selon
laquelle la désignation d'un bénéficiaire d'une assurance par le preneur,
ou encore, suivant les cas, par l'assuré s'il n'est pas lui-même preneur
(ATF 61 II 278/279 consid. 2), doit nécessairement, pour sortir ses effets,
être communiquée à l'assureur, non seulement n'est pas exprimée dans la loi
fédérale sur le contrat d'assurance, mais encore ne découle pas non plus,
de façon qui s'impose, de son interprétation. JAEGER (loc.cit.) relève
pertinemment que la désignation du bénéficiaire peut fort bien être
efficace (wirksam) et déployer ses effets, dans les rapports entre le
preneur et le bénéficiaire, sans que l'assureur en ait connaissance. La
clause bénéficiaire n'est pas un contrat bilatéral entre le preneur
d'assurance et le bénéficiaire, mais un acte unilatéral de disposition
auquel ni l'assureur ni le bénéficiaire ne participent. La circonstance que
l'assureur, tant qu'il n'a pas eu connaissance d'une clause bénéficiaire,
peut fournir sa prestation au preneur d'assurance et que le bénéficiaire
ne peut pas faire valoir un droit contre celui-ci avant que l'assureur ait
reçu communication de la clause bénéficiaire n'y change rien. Comme le
dit pertinemment KOENIG (FJS 110 p. 2), "la clause bénéficiaire est
une déclaration de volonté du preneur d'assurance devant parvenir à la
connaissance de l'assureur, uniquement dans ce sens que l'assureur peut
payer à l'ancien bénéficiaire avec effets libératoires aussi longtemps
qu'il n'a pas connaissance d'une nouvelle clause bénéficiaire et qu'il
est de bonne foi". Si l'assureur de bonne foi fournit sa prestation
à l'ancien bénéficiaire parce qu'il ignorait une nouvelle clause
bénéficiaire révoquant totalement ou partiellement la précédente, le
nouveau bénéficiaire peut, le cas échéant, actionner en enrichissement
illégitime l'ancien bénéficiaire qui a reçu la prestation (JAEGER, op.cit.,
p. 112). La communication de la désignation d'un bénéficiaire à l'assureur
n'est pas, comme le dit justement KOENIG (Der Versicherungsvertrag,
p. 698), une condition de validité de la clause bénéficiaire. Celle-ci
produit ses effets indépendamment de cette communication. Mais le défaut
de communication fait qu'elle n'est pas opposable à l'assureur, qui peut
fournir sa prestation, sans risque de devoir payer deux fois, au preneur
d'assurance ou au précédent bénéficiaire. Ce n'est que dans ce sens que
la désignation du bénéficiaire, qui est l'exercice d'un droit formateur,
est un acte soumis à réception en ce qui concerne l'assureur.

    En conclusion, la désignation d'un bénéficiaire est valide
indépendamment de la communication à l'assureur, en particulier dans les
rapports entre le preneur d'assurance ou l'assuré qui l'a faite et le
bénéficiaire. Elle ne produit d'effets, en ce qui concerne l'assureur,
que si elle lui a été communiquée: si elle ne le lui a pas été, ou qu'il
n'en ait pas eu connaissance d'une autre manière, il peut exécuter sa
prestation envers le preneur ou le bénéficiaire désigné par celui-ci
dans une clause différente parvenue à sa connaissance. Dans ce cas,
un autre bénéficiaire désigné, sans que l'assureur en ait été informé,
peut actionner en enrichissement illégitime le preneur ou le précédent
bénéficiaire, dans la mesure où celui-ci était au courant de la nouvelle
clause bénéficiaire par laquelle celle qui le désignait a été révoquée
entièrement ou partiellement. C'est au bénéficiaire différent de celui
qui a reçu la prestation de l'assurance qu'il incombera alors de prouver
que ce dernier avait connaissance de la nouvelle clause bénéficiaire. Les
considérations d'ordre pratique dont fait état l'arrêt ATF 62 II 174 ne
mettent ainsi pas obstacle à cette solution.

    La jurisprudence de l'arrêt ATF 62 II 173/174 doit être modifiée dans
le sens qui précède. Cela correspond mieux à l'intention du législateur
de favoriser la conclusion de contrats d'assurance en faveur de tiers,
comme le relève pertinemment BOSSARD (op.cit., pp. 49/50). Il n'y a
pas lieu de se prononcer ici sur la question de savoir si, ainsi que
le dit cet auteur, la communication de la désignation du bénéficiaire à
l'assureur devrait cependant être exigée de lege ferenda. Selon PIOTET
(RSJ 68/1972, p. 199), la désignation d'un bénéficiaire de l'assurance,
quand bien même elle n'est pas soumise à l'acquiescement de l'assureur,
doit cependant lui être communiquée pour produire ses effets, de même
que le congé donné par le locataire au bailleur, qui n'a pas non plus à
l'approuver, ne déploie ses effets qu'au moment où il l'a reçu. Mais ce
raisonnement n'est pas pertinent. Les situations sont différentes. La
clause bénéficiaire ne met pas fin à un contrat, comme c'est le cas du
congé en matière de bail; elle se limite à indiquer à l'assureur à qui
il doit fournir la prestation d'assurance à laquelle il s'est obligé.

    Dans l'espèce, la première clause bénéficiaire en faveur de S. S.A.,
contenue dans la proposition d'assurance signée par Pierre S. le 5 décembre
1966, a été, par sa lettre du 3 avril 1974, adressée à ladite société,
partiellement révoquée, c'est-à-dire réduite au 50% de la somme assurée, et
ses héritiers désignés comme bénéficiaires de l'autre 50%. Cette nouvelle
clause bénéficiaire était valide et déployait ses effets bien qu'elle
n'eût pas été communiquée aux assureurs, ni par Pierre S. lui-même, ni par
S. S.A. Au moment où les assureurs ont versé la somme assurée à S. S.A.,
ils ignoraient cette nouvelle clause bénéficiaire, en sorte qu'ils se sont
libérés régulièrement. En revanche, S. S.A., qui avait reçu la lettre
précitée du 3 avril 1974 et qui partant savait que le 50% de la somme
assurée revenait aux héritiers de Pierre S., est tenue à restitution de
la partie de la somme assurée qu'elle a touchée indûment. Les créances
des recourants à cet égard sont dès lors fondées et doivent être admises
à l'état de collocation du concordat par abandon d'actif et colloquées
en cinquième classe. Le recours doit être admis dans ce sens.

    La Northern a versé à S. S.A. fr. 250'000.-- le 27 avril 1977, et les
Lloyd's, fr. 1'250'000.-- le 9 mai 1977. Ces sommes sont entrées dans les
comptes de la société. Les intérêts moratoires à 5% seront dus à partir
de la deuxième date, la somme de fr. 250'000.-- versée précédemment étant
inférieure au montant total des créances des demandeurs (fr. 375'000.--).

Entscheid:

             Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet le recours et réforme l'arrêt attaqué en ce sens que les
créances produites par les recourants, savoir celle de dame Danielle S.,
s'élevant à fr. 187'500.--, avec intérêt à 5% dès le 9 mai 1977, celle de
demoiselle Monique S., s'élevant à fr. 93'750.--, avec intérêt à 5% dès
le 9 mai 1977, celle de Jean S. s'élevant à fr. 93'750.--, avec intérêt
à 5% dès le 9 mai 1977, sont admises à l'état de collocation de S. S.A.,
en liquidation concordataire, en cinquième classe.