Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 110 II 163



110 II 163

33. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 3 avril 1984 dans la
cause De Girolamo contre Aluminium Suisse S.A. (recours en réforme) Regeste

    Haftung des Arbeitgebers, Genugtuung.

    Haftung des Arbeitgebers, der eine Sicherheitsmassnahme unterlassen
hat (Art. 328 Abs. 2 OR; E. 2a).

    Anspruch auf Genugtuung wegen eines Unfalls, der zum vollständigen
Verlust des Gehörs auf einer Seite führt (E. 2c).

Sachverhalt

    A.- Alberto de Girolamo, ressortissant italien, né en 1940, a été
engagé en 1964 par Aluminium Suisse S.A. (ci-après: Alusuisse), pour son
usine de Chippis, en qualité d'ouvrier. Bon travailleur, il fut nommé
chef de série aux fours dès le 1er mai 1971.

    Le 12 novembre 1974, alors qu'il travaillait à l'usine, il fut frappé
à la tête, sur le côté gauche, par un tuyau conduisant de l'air comprimé,
qui s'était détaché d'un appareil auquel il devait fournir de la pression
et qui s'était mis à "gigoter" de manière désordonnée, tout en restant
pris à un crochet porte-outils. Victime vraisemblablement d'une lésion du
rocher de l'oreille interne, de Girolamo a perdu toute ouïe du côté gauche.

    Selon une expertise technique, le risque que ce tuyau atteigne
un travailleur, au moment où il s'est dégagé, était de 1/100'000;
toutefois, ce tuyau s'était déjà arraché de la même manière à de nombreuses
reprises; il pouvait devenir dangereux lorsqu'il restait pris au crochet
porte-outils; s'il venait à frapper un ouvrier, celui-ci pouvait être
blessé, voire déséquilibré et même renversé dans un four. Le chef d'équipe,
tout comme les ouvriers, était en mesure de se rendre compte du danger
et il aurait été aisé de remédier à cette situation; l'expert technique
a préconisé dans ce sens un dispositif simple et peu coûteux.

    La Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA) a
admis le cas et reconnu au travailleur une invalidité de 12% (60% de 20%).

    B.- Le 6 mai 1983, le Tribunal cantonal du canton du Valais a
rejeté une demande de Girolamo, tendant au paiement par Alusuisse de
dommages-intérêts et d'une indemnité de 6'000 francs pour tort moral.

    C.- Le Tribunal fédéral admet partiellement le recours en réforme
du demandeur et condamne la défenderesse à lui payer 5'000 francs avec
intérêt à 5% dès le 12 novembre 1974.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 1

    1.- (Selon la jurisprudence (ATF 104 II 259), la responsabilité de
l'employeur pour le dommage consécutif à un accident professionnel suppose
une faute grave de l'employeur lui-même ou, s'il s'agit d'une personne
morale, d'un organe au sens de l'art. 55 CC; l'employeur ne répond pas de
la faute d'un auxiliaire selon les art. 55 et 101 CO; art. 129 al. 2 LAMA,
44 LAA.)

Erwägung 2

    2.- L'art. 129 LAMA ne restreint pas la responsabilité de l'employeur
quant au paiement d'une indemnité à titre de réparation morale (ATF 104 II
263 consid. 5, 88 II 526, 86 I 256, 81 II 553 s. consid. 4, 72 II 314 s.
consid. 2, 432 s. consid. 7).

    Selon l'art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances
particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité
équitable à titre de réparation morale. La règle s'applique également
en matière contractuelle (art. 99 al. 3 CO), en cas de violation par
l'employeur de son obligation de veiller à la santé et à l'intégrité
corporelle du travailleur (art. 328 CO; cf. ATF 106 II 134 ss).

    Il n'est pas nécessaire d'examiner si l'employeur répond aussi en
qualité de propriétaire d'ouvrage au sens de l'art. 58 CO, car l'étendue
de sa diligence est pratiquement la même, quel que soit le fondement de
sa responsabilité (ATF 90 II 229).

    a) L'art. 328 al. 2 CO impose à l'employeur de prendre, pour protéger
la vie et la santé du travailleur, les mesures commandées par l'expérience,
applicables en l'état de la technique, et adaptées aux conditions de
l'exploitation ou du ménage, dans la mesure où les rapports de travail et
la nature du travail permettent équitablement de l'exiger de lui. Il lui
appartient en particulier d'instruire les travailleurs de manière adéquate
et de pourvoir les machines et installations dont ils se servent de
dispositifs de sécurité suffisants pour empêcher la réalisation de risques
avec lesquels on peut compter (ATF 102 II 19, 100 II 354, 95 II 137 ss),
même si le degré de probabilité n'en est pas considérable (ATF 95 II 141).

    Or le Tribunal cantonal admet avec raison, sans que cela soit contesté
par la défenderesse, que l'installation de celle-ci comportait un danger
dont elle n'a pas suffisamment protégé les travailleurs. Comme le constate
le jugement attaqué, le chef d'équipe avait observé à bien des reprises
que le tuyau transmettant l'air comprimé se détachait et qu'il pouvait
alors être dangereux lorsqu'il restait accroché au crochet porte-outils;
or il a omis de remédier à ce défaut ou de le signaler au service de
sécurité de l'entreprise qui aurait pu faire le nécessaire. Ainsi que la
cour cantonale le relève, il était possible d'obvier à cet inconvénient
à peu de frais. L'art. 328 al. 2 CO n'a donc pas été respecté.

    L'employeur en est responsable (art. 101 et 55 CO).

    b) Le jugement attaqué ne contient aucun fait permettant de retenir
une faute concurrente à la charge du travailleur. Il n'est en particulier
pas établi qu'il aurait pu voir "gigoter" le tuyau, avant que celui-ci
ne vienne le frapper à la tête. Par ailleurs, il portait un casque,
certainement selon les instructions de service. Enfin, on ne saurait guère
lui reprocher de n'avoir pas avisé précédemment le service de sécurité
du risque que pouvait comporter, pour les travailleurs, un débranchement
du tuyau.

    c) La cour cantonale a rejeté la demande de réparation morale par le
motif qu'aucune faute ne peut être imputée à l'employeur personnellement
et que la lésion subie "n'est pas très importante"; elle ajoute que le
demandeur n'a pas subi d'hospitalisation ou de long traitement, que sa
surdité unilatérale ne le gêne pas dans son travail d'agriculteur et
qu'elle ne saurait guère le priver de certains plaisirs de la vie.

    Selon la jurisprudence, l'application de l'art. 47 CO n'exige
pas de faute personnelle du responsable (ATF 104 II 263 s. consid. 5).
Le rapport des fautes est cependant un élément qui peut être déterminant
pour l'octroi ou le refus d'une réparation morale. En l'espèce, l'employeur
doit répondre d'une faute de son auxiliaire, qui n'est pas vénielle, alors
que le travailleur n'en a commis aucune. Pour autant que le préjudice
soit assez grave, le principe d'une réparation correspond donc à l'équité.

    L'octroi d'une réparation morale pour lésions corporelles exige
également que celles-ci aient une certaine importance (cf. ATF 89 II
400). Or il faut tenir pour importantes des atteintes qui privent
la victime d'un organe ou rendent celui-ci impropre à sa fonction
(cf. art. 122 ch. 1 al. 2 CP; OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrectht,
p. 300). Le Tribunal fédéral en a fréquemment jugé ainsi à propos
d'atteintes à la vue (cf. par ex. ATF 104 II 190, 102 II 21, 89 II 26, 81
II 170). Il a aussi confirmé un jugement cantonal allouant une indemnité
de 8'000 francs à la victime, responsable d'une faute concurrente,
qui avait subi une fracture du crâne avec commotion cérébrale, 40 jours
d'hospitalisation et la perte totale de l'ouïe à droite; il releva à cette
occasion l'importance d'une telle infirmité dans la vie sociale et pour la
victime du point de vue psychologique, compte tenu aussi d'une atteinte
possible à l'autre oreille, dans l'avenir (Rep. 1971 p. 226, résumé au
JdT 1973 I 471; cf. aussi arrêt non publié du 29 janvier 1980, cité par
HÜTTE, Die Genugtuung, feuille III 48). On retrouve la même conception en
jurisprudence cantonale (cf. HÜTTE, op.cit., feuille III 22, relatant un
arrêt du Tribunal cantonal vaudois du 10 avril 1970; OFTINGER, op.cit., I
p. 300, citant Rep. 1960 p. 291) et en doctrine (HÜTTE, op.cit., p. I/24,
suivant la classification proposée par un auteur allemand, range la perte
d'une oreille ou la perte complète de l'ouïe d'un côté parmi les lésions
corporelles graves, soit dans le groupe 4 d'une division en 6 catégories,
dans le sens croissant de gravité).

    La perte complète de l'ouïe, d'un côté, est de nature à diminuer
notablement la perception par la victime du monde extérieur, ce qui peut
être sensible dans de nombreuses activités de la vie professionnelle
et de la vie courante; elle est aussi propre à restreindre l'agrément
de la vie. Elle accroît le risque d'une surdité totale; de ce fait la
victime est aussi exposée à ressentir davantage les effets d'une baisse
de l'ouïe de l'autre côté, notamment en raison de l'âge. En 1976, le
Tribunal fédéral a confirmé un jugement cantonal accordant en principe
8'000 francs de réparation morale pour la perte d'un oeil (ATF 102 II 21
s.). Si la perte de l'ouïe d'un seul côté sera d'ordinaire moins pénible
pour la victime que la perte d'un oeil, qualitativement, la perte est
comparable et justifie l'octroi d'une réparation.

    Au cas particulier, la perte de l'ouïe est totale du côté gauche;
de toute évidence, la lésion est irréversible et le demandeur, âgé de
34 ans lors de l'accident, devra s'accommoder de cette infirmité sa vie
durant. L'importance de l'atteinte est en outre montrée par son incidence
sur l'invalidité, fixée par la CNA à 12%.

    Compte tenu de l'importance de l'ouïe dans la vie d'un homme, ainsi
que de l'évolution de la jurisprudence quant aux montants alloués (cf. ATF
108 II 434, 107 II 349), il y a lieu d'accorder au demandeur une indemnité
de 5'000 francs à titre de réparation morale.