Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 109 IV 1



109 IV 1

1. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 8 mars 1983 dans
la cause Procureur général du canton de Genève c. X. (pourvoi en nullité)
Regeste

    Art. 7 StGB, Ubiquitätstheorie, Erfolg des Betruges.

    Beim Betrug ist auch der Ort, wo die beabsichtigte Bereicherung
eingetreten ist bzw. eintreten sollte, Ort des Erfolges und damit
Begehungsort im Sinne von Art. 7 StGB.

Sachverhalt

    A.- Dans les années 1973/74, X. exerçait la fonction de directeur
financier et commercial de la société Z. dont le siège se trouve
aux Etats-Unis. A cette époque, la société Z. désirait construire une
fabrique de poudre spéciale pour munitions à Taiwan. X. était chargé des
pourparlers avec l'intermédiaire de la société Z. en Chine nationaliste,
la société Y. Co Ltd.

    Au début de 1974, Y. Co Ltd aurait demandé à la société Z. une
commission uniforme de 4% alors qu'un pourcentage dégressif de 5 à 2%
avait été initialement prévu. La société Z. accuse X. d'avoir abusé de
sa situation de négociateur en poussant la société chinoise à requérir
cette augmentation et d'avoir obtenu que 70'000 $ soient versés par la
société Z. sur un compte numéroté ouvert au nom de X. dans une banque de
Genève. Il aurait fait croire à Y. Co Ltd qu'il agissait pour la société
Z. et que cette société était bien le titulaire du compte genevois. Ainsi,
la société Z. aurait été amenée à faire un acte de disposition contraire
à ses intérêts alors que X. se serait procuré un enrichissement illégitime
de 70'000 $. Il aurait ainsi commis une escroquerie.

    B.- Le 25 juin 1982, la Chambre d'accusation de Genève a renvoyé
X. pour les faits précités devant la Cour correctionnelle siégeant avec
le concours du jury.

    X. s'est pourvu en cassation contre cette ordonnance. Le 3 décembre
1982, la Cour de cassation du canton de Genève a admis son pourvoi et a
annulé l'ordonnance de renvoi du 25 juin 1982 motif pris de l'incompétence
des autorités suisses à raison du lieu.

    Le Procureur général du canton de Genève a formé un pourvoi en nullité
au Tribunal fédéral; il conclut à l'annulation de l'arrêt de la Cour de
cassation cantonale et au renvoi à l'autorité cantonale pour nouvelle
décision.

    C.- X. conclut quant à lui au rejet du pourvoi en nullité déposé par
le Procureur général.

    D.- En 1979, le Tribunal fédéral a déjà eu à connaître de la présente
affaire dans le cadre d'un recours de droit public déposé contre une
décision de la Chambre d'accusation enjoignant au Procureur général de
reprendre, contre X., la procédure pénale qui avait été classée par ce
magistrat pour incompétence à raison du lieu. Par arrêt du 20 avril 1979,
la 1re Cour de droit public a jugé qu'il n'était pas arbitraire de penser
qu'un délit tel que l'escroquerie puisse être considéré comme réalisé
là où l'enrichissement se concrétise ni d'estimer que la jurisprudence
du Tribunal fédéral penchait vers cette solution; la question de la
détermination du for de l'action pénale n'a toutefois pas été examinée
en détail.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 3

    3.- Les actes reprochés à X., qui ont conduit les autorités à retenir
la prévention d'escroquerie, ont été commis aux Etats-Unis et à Taiwan
ainsi que par correspondance échangée entre les deux pays. Les seuls points
de l'état de fait qui se rapportent à la Suisse sont l'ouverture d'un
compte bancaire à Genève et le fait que les présumées victimes ont été
amenées à verser 70'000 $ sur ledit compte. Il convient en conséquence
de savoir si ouvrir un compte en Suisse pour y accueillir des fonds
qui auraient été obtenus par une escroquerie suffit, après réception de
l'argent, pour fonder la compétence des juridictions pénales helvétiques.

    a) En l'espèce, c'est uniquement sur la base du principe de la
territorialité - art. 3 en liaison avec l'art. 7 CP - qu'il s'agit
d'examiner le problème de la souveraineté de la Suisse; la compétence des
autorités helvétiques est admise si l'activité incriminée s'est exercée
au moins partiellement dans notre pays. Aux termes de l'art. 7 CP,
l'infraction est réputée commise "tant au lieu où l'auteur a agi qu'au
lieu où le résultat s'est produit" (principe de l'ubiquité).

    b) Anciennement, la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral ne
limitait pas la notion de résultat, telle que l'art. 7 CP la prévoit,
aux seuls effets constitutifs de l'infraction mais prenait aussi en
considération les conséquences - au sens le plus large - qui font que le
législateur a voulu réprimer l'acte visé. A la suite de critiques exprimées
par SCHULTZ (RPS 72 p. 313 ss; RJB 99 p. 42 ss; 102 pp. 331/332; 108
p. 336) la jurisprudence a été modifiée (ATF 105 IV 326): dans ce sens, le
résultat désigne une modification du monde extérieur, imputable à l'auteur
et faisant partie des éléments constitutifs de l'infraction. Il ne peut
ainsi y avoir de résultat au sens technique que pour une seule sorte
d'actes punissables, à savoir les délits matériels (Erfolgsdelikte). Il
s'ensuit que pour les délits formels (schlichte Tätigkeitsdelikte) -
comme la bigamie réprimée par l'art. 215 CP - on ne saurait distinguer le
résultat de l'action même de l'auteur, si bien que le lieu où se trouve
le titulaire des biens juridiques atteints ou menacés ne peut à lui seul
constituer un for.

    c) En l'espèce, c'est à partir de cette nouvelle définition du
résultat au sens de l'art. 7 CP qu'il sied de raisonner. L'escroquerie
est un délit matériel à double résultat (kupiertes Erfolgsdelikt;
voir STRATENWERTH, Allg. Teil, p. 170 ss): le premier est constitué
par l'appauvrissement de la victime, le second est l'enrichissement
dont seul le dessein - à l'exclusion de la réalisation - est un élément
constitutif de l'infraction. En l'espèce, c'est ce second résultat qui
est en relation avec la Suisse. Il faut ainsi déterminer si, en présence
d'un tel délit intentionnel, le lieu où devait se produire le résultat
recherché par l'auteur (où il s'est peut-être, suivant le cas, produit)
doit également être considéré comme le lieu du résultat de l'infraction
prise dans son ensemble (SCHWANDER, Das Territorialitätsprinzip im
schweizerischen Strafrecht, in Recueil des travaux suisses présentés au
VIIIe Congrès international de droit comparé, Bâle 1970 p. 369 ss).

    Il convient de répondre par l'affirmative à cette question. Il
n'y a pas de raison de considérer qu'il y aurait une opposition entre
la notion de résultat recherché par l'auteur et celle de résultat au
sens de l'art. 7 CP, cela sous prétexte que le législateur n'a pas fait
dépendre formellement la réalisation de l'escroquerie de la réalisation
effective de l'enrichissement voulu par l'auteur. Même s'il est vrai que
la notion de résultat s'est très nettement restreinte à la suite de la
modification de la jurisprudence et ne peut plus s'étendre aux simples
effets de l'infraction sur le bien protégé, il faut néanmoins admettre la
compétence de la Suisse en matière d'escroquerie dès que l'auteur voulait
que l'enrichissement qu'il recherchait se produise en Suisse et que cet
enrichissement s'y est effectivement produit. On dispose ainsi d'un point
de rattachement territorial précis et clair; grâce à l'introduction,
dans la notion de résultat de l'art. 7 CP, d'un élément nécessaire du
plan d'action de l'auteur, mais pas indispensable comme élément objectif
pour la réalisation formelle de l'infraction, une extension démesurée du
principe de la territorialité n'est pas à craindre.

    d) En l'espèce, les éléments formels de l'escroquerie alléguée
(tromperie astucieuse, atteinte aux intérêts pécuniaires) n'ont aucun
lien avec la Suisse; en revanche, l'enrichissement illégitime recherché
par l'auteur devait se produire dans ce pays; il s'y est d'ailleurs
effectivement concrétisé. X. ne pouvait disposer des 70'000 $ qu'après que
ce montant eut été viré sur son compte numéroté ouvert à Genève. Ainsi,
la Suisse apparaît comme un lieu où l'infraction a été commise au
sens de l'art. 7 CP (ce qui fonde sa compétence), dans la mesure où
la réalisation de l'enrichissement recherché constitue le résultat de
l'infraction déterminant au sens de cette disposition, cela quand bien
même la réalisation matérielle du délit ne présuppose pas l'acquisition
de l'enrichissement que voulait l'auteur.

Erwägung 4

    4.- Dès lors, en jugeant les autorités suisses incompétentes à raison
du lieu, l'autorité cantonale a violé les art. 3 et 7 CP. Le pourvoi en
nullité doit en conséquence être admis.