Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 109 II 260



109 II 260

57. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 3 mai 1983 dans la cause
Fédération de l'industrie suisse du tabac contre Denner A.G. (recours en
réforme) Regeste

    Kartellgesetz.

    Art. 19 Abs. 2 KG. Der Richter, der das Gutachten der Kartellkommission
eingeholt hat, ist daran nicht gebunden (E. 3d).

    Art. 5 Abs. 2 lit. c KG. Aufgezwungene Preise für Tabakwaren stellen
eine geeignete Vorkehr dar, um die kleinen Lebensmittelgeschäfte und die
Kioske zu unterstützen; daran besteht ein öffentliches Interesse (E. 7-8).

    Überprüfung der Vorkehr unter dem Gesichtspunkt der
Verhältnismässigkeit (E. 10).

Sachverhalt

    A.- La Fédération de l'industrie suisse du tabac (FIST) groupe
l'Association suisse des fabricants de cigarettes, l'Association suisse
des fabricants de cigares, l'Association suisse des fabricants de tabac
à fumer et le Gruppo ticinese industriali del tabacco; la plupart des
fabricants de produits du tabac travaillant en Suisse sont affiliés à
ces associations. La FIST édicte notamment des normes, obligatoires pour
ses membres, concernant les conditions de vente faites aux clients. Sont
considérés comme clients directs de l'industrie d'une part les grossistes,
d'autre part certains détaillants, pour autant que les uns et les autres
atteignent un chiffre d'affaires minimum; les autres entreprises doivent
s'approvisionner auprès des grossistes.

    Denner A.G. est une entreprise de commerce de denrées alimentaires
et de tabac. Elle limite au minimum ses prestations à la clientèle
autres que la fourniture des biens vendus, ce qui lui permet de vendre
à des prix avantageux ("discount"). En 1973, son chiffre d'affaires
était au minimum de 500 millions de francs; il provenait à concurrence
de 18%, soit 90 millions de francs, de la vente des produits du tabac,
spécialement des cigarettes; Denner A.G. estime à 1,35 million de francs
(1,5%) son bénéfice net sur ces produits. Pour son approvisionnement en
tabac, elle passe par le canal de la FIST en qualité de client direct.

    Selon une réglementation de la FIST en vigueur depuis le 1er janvier
1973, Denner A.G. obtenait les articles achetés avec un rabais global de
3,5% sur le prix de fabrique; cela lui permettait, à son tour, d'accorder
à sa clientèle un rabais de 20% par rapport au prix de détail imprimé
sur les emballages.

    Le 22 juin 1973, à la suite d'interventions des entreprises vendant
les articles de tabac, la FIST adopta une réglementation, entrée en
vigueur le 1er septembre 1973, qui prévoyait un "rabais pour respect de
marge". Cette réglementation avait comme conséquence, pour Denner A.G.,
que celle-ci pourrait bénéficier d'un rabais de 0,75% au maximum pour achat
en grandes séries, de 0,25% à titre de promotion de vente et de 2,75% pour
respect de marge si elle s'engageait à vendre à ses clients à des prix
au moins égaux à 103,5% du prix de fabrique; ce taux fut ultérieurement
porté à 104% avec effet au 1er mai 1982.

    B.- Denner A.G. a ouvert action contre la FIST, en demandant au
Tribunal de constater que les mesures prises par la défenderesse le 22
juin 1973 étaient illicites au sens de l'art. 4 LCart, d'interdire à la
défenderesse de lui appliquer ces mesures, d'ordonner à la défenderesse de
lui consentir les mêmes rabais que jusqu'au 31 août 1973 et de condamner
la défenderesse à lui rembourser la différence entre les rabais qui lui
auraient été accordés sans la nouvelle réglementation et ceux qui lui
ont été effectivement consentis.

    Après avoir requis notamment un avis de la Commission des cartels et
un rapport d'expertise, la Cour civile du Tribunal cantonal de l'Etat
de Fribourg a admis l'action en principe par jugement du 21 juin 1982,
constaté l'illicéité des mesures prises le 22 juin 1973 par la défenderesse
("critère pour respect de marge de 2,75%"), interdit à la défenderesse
d'appliquer ces mesures à la demanderesse et renvoyé à un jugement
ultérieur les conclusions en dommages-intérêts.

    C.- La défenderesse recourt en réforme au Tribunal fédéral en concluant
au rejet de la demande.

    Le Tribunal fédéral admet le recours, annule le jugement attaqué et
rejette la demande.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 3

    3.- d) La recourante fait implicitement à la cour cantonale le
reproche d'avoir violé l'art. 19 al. 2 LCart en ne suivant pas l'opinion
de la Commission des cartels exprimée dans l'avis que celle-ci lui
avait donné à sa requête (cf. rapport de la Commission des cartels:
Wettbewerbsverhältnisse auf dem Tabakmarkt, publications de la Commission
des cartels - ci-après: Publ. CC - 1976 p. 215 ss).

    Ce grief n'est pas fondé. L'art. 19 al. 2 LCart permet notamment
aux tribunaux de requérir de la Commission des cartels des avis sur
des questions de principe relatives aux cartels. Figurant dans les
"Dispositions de droit administratif" relatives à l'"Organisation et
(aux) tâches de la Commission des cartels", l'art. 19 al. 2 impose
cette tâche à la Commission, mais il ne résulte ni de son texte ni de
son emplacement dans la loi ou de son but que le juge serait lié par
l'avis ainsi donné. Il doit au contraire appliquer le droit d'office
selon l'art. 63 OJ, également applicable au juge cantonal (ATF 107 II
122 s. consid. 2a, 418 et les arrêts cités), ce qu'il ne pourrait faire
s'il était tenu de suivre l'avis de la Commission des cartels. Quant à
l'appréciation des preuves, elle relève des tribunaux cantonaux, pour les
causes qui leur sont soumises (art. 64bis al. 2 Cst., art. 43, 51 al. 1
lettre c, 55 al. 1 lettres c et d, 63 OJ) et rien ne permet de tirer de
l'art. 19 al. 2 LCart une règle de droit fédéral relative à la preuve,
limitant leurs pouvoirs à cet égard.

    Sans doute le juge ne saurait-il négliger l'opinion de la Commission
des cartels mais, s'il ne la fait pas sienne, il ne viole pas pour autant
l'art. 19 al. 2 LCart. En l'espèce, il convient donc d'examiner, dans
le cadre de l'application de l'art. 5 LCart, si la cour cantonale a eu
raison de s'écarter de l'avis de la Commission.

Erwägung 7

    7.- a) Dans le cadre de l'art. 5 al. 2 lettre c LCart, la cour
cantonale admet avec la Commission des cartels (Publ. CC 1976 p. 364 ss,
1977 p. 109 ss; cf. aussi rapport sur la concentration dans le commerce de
détail du secteur alimentaire, Publ. CC 1979, p. 389 ss, notamment 418)
et le Conseil fédéral (message précité du 27 septembre 1982, FF 1982 III
233 ss) que l'intérêt général commande le maintien de petits magasins de
denrées alimentaires et coloniales.

    Le Tribunal fédéral en avait jugé de même, dans le cadre des prix
imposés pour la vente de la bière (ATF 98 II 365 ss). Il n'a pas de
raisons d'en faire autrement aujourd'hui.

    Certes, l'intérêt général peut comporter différentes composantes. On
peut admettre avec la Commission des cartels qu'il est difficile
d'apprécier l'influence d'une libéralisation des prix sur la santé
publique: si d'une part la concentration des entreprises qu'elle
favoriserait rendrait un peu plus difficile l'accès aux sources
d'approvisionnement en tabac, inversement l'abaissement des prix
pourrait éventuellement stimuler un peu la consommation. S'il existe,
sans doute, un intérêt général à ce que le jeu de la concurrence permette
un abaissement des prix de détail, en faveur des consommateurs, il est
davantage digne d'être pris en considération lorsqu'il s'agit de produits
alimentaires que de produits toxiques tels que le tabac ou les boissons
alcooliques, ce qui a également donné lieu à leur imposition fiscale
(loi fédérale du 21 mars 1969 sur l'imposition du tabac, RS 641.31,
ACF du 4 août 1934 concernant un impôt fédéral sur les boissons, RS
641.411). Comme par ailleurs la réglementation litigieuse ne limite que
dans une mesure relativement faible la possibilité pour la demanderesse
de déterminer son prix de vente (bénéfice brut imposé d'environ 8,6% en
comparaison d'un bénéfice brut moyen de 10%, n'entraînant qu'une réduction
du rabais accordé de 20% à 15% du prix imprimé sur l'emballage), l'intérêt
à soutenir les petits commerces en denrées alimentaires, en vue du maintien
d'un certain réseau de distribution, apparaît nettement prépondérant.

    b) La cour cantonale considère en revanche, contrairement à la
Commission des cartels, que les prix imposés ne sont pas un moyen adéquat
pour maintenir ces petits commerces ou en freiner la diminution. En cela,
elle nie l'efficience de la mesure incriminée soit le respect du principe
de la proportionnalité. Pour être admissible, la mesure cartellaire ne
doit en effet pas restreindre la libre concurrence de manière excessive
par rapport au but visé ou du fait de sa nature et de la façon dont elle
est appliquée (art. 5 al. 1 LCart).

    Le juge doit se placer à cet égard au moment où les mesures incriminées
ont été adoptées et, sur la base des faits qui lui sont soumis, il en
est réduit à des conjectures; il s'agit de questions de droit soumises
à l'examen du Tribunal fédéral (ATF 98 II 380).

    Dans le cadre de l'art. 5 al. 2 lettre c LCart, le principe de la
proportionnalité exige que la mesure soit non seulement destinée mais
encore propre à entraîner le résultat recherché, soit l'établissement ou le
maintien d'une structure - pour une branche ou une profession - souhaitable
dans l'intérêt général. En revanche, la loi n'exige pas que cette mesure
soit capable, à elle seule, de produire ce résultat. L'organisation d'un
certain ordre dans une branche ou une profession peut, en effet, dépendre
du concours de différentes causes (cf. ATF 98 II 379-381). Le texte légal
l'exprime clairement, en parlant de "mesures qui visent ... à promouvoir
... une structure".

    Selon la Commission des cartels, une suppression totale des prix
imposés serait propre à accélérer le processus de concentration dans
l'alimentation avec diminution des petits débits; en effet, la suppression
de la vente de tabac dans ces débits ou une vente sans bénéfice aucun
affecterait leurs rendements et leur capacité de concurrence s'en
trouverait encore plus compromise (Publ. CC 1977 p. 112 ss).

    Les arguments invoqués par la cour cantonale à l'encontre de cette
considération ne sont pas convaincants; ils se fondent en outre sur des
faits postérieurs à l'adoption de la mesure cartellaire incriminée.

    aa) Pour juger de l'efficience de mesures cartellaires au moment
où elles sont prises et notamment pour apprécier, à titre hypothétique,
ce qui se serait produit en leur absence, le juge en est réduit par la
force des choses à des conjectures.

    bb) Si la cour cantonale relève que la suppression des prix imposés
(sur des articles de marque) intervenue en 1967 a accéléré le processus
de concentration, cette circonstance met précisément en évidence que les
petits débits accusent directement les conséquences d'une suppression des
prix imposés, en raison de la diminution de bénéfice qui en résulte pour
eux; cela permet aussi de supposer qu'une suppression des prix imposés
pour les articles où ils subsistent encore serait propre à accentuer
encore ce mouvement. La cour cantonale signale également, à ce propos,
que cette évolution a entraîné une modification des structures avec une
diminution des marges bénéficiaires, mais cette circonstance n'a pas de
portée propre en ce qui concerne l'appoint fourni par la marge de bénéfice
brut résultant des prix imposés.

    cc) La cour cantonale donne différentes indications numériques
quant à l'évolution du nombre des magasins d'alimentation et du chiffre
d'affaires des détaillants traditionnels, pour en déduire "qu'une
réduction quasi linéaire des commerces indépendants en alimentation s'est
opérée avant comme après l'entrée en vigueur - le 1er septembre 1973 -
de la réglementation introduite par la FIST". On ne saurait cependant en
tirer aucune déduction sur l'évolution qui se serait produite si les prix
imposés sur le tabac avaient été supprimés et - ce que la cour cantonale
n'examine pas - si tous les prix imposés dans le commerce des denrées
alimentaires avaient été supprimés. Le Tribunal cantonal cite aussi
l'expert judiciaire qui indique que l'ordre du marché pour le tabac n'a
pas ralenti la régression du nombre des petits commerces. L'expert tient
cependant pour vraisemblable que cet ordre du marché a freiné l'évolution
s'agissant des commerces de denrées alimentaires pour lesquels le tabac
représentait une part relativement élevée du chiffre d'affaires.

    dd) La cour cantonale pense que, si elle était réelle, l'incidence des
prix imposés dans le tabac sur la capacité de concurrence des commerces
alimentaires aurait dû apparaître lors de l'introduction de ces prix
imposés en 1973, alors qu'on constate qu'elle n'a eu aucun effet
sensible. Pour les raisons déjà indiquées, on ne saurait en tirer des
déductions quant à l'évolution qui se serait produite sans l'introduction
des prix imposés. Le régime de liberté des prix n'a d'ailleurs duré que de
1970 à 1973 (Publ. CC 1976 p. 232), soit durant une période relativement
brève pendant laquelle les articles de marque n'étaient plus non plus
soumis au régime des prix imposés, de sorte qu'il est malaisé de définir
avec précision quels en ont été les effets.

    ee) Le Tribunal cantonal considère ensuite que la capacité
de concurrence des petites entreprises du secteur alimentaire n'a
pas pu être influencée par des prix imposés ne concernant que 5 ou
10%, voir 2 ou 3% de leur chiffre d'affaires. Cet argument ignore
toutefois l'incidence possible d'autres facteurs sur la situation de ces
détaillants. Sans doute les seuls prix imposés dans les articles de tabac
leur apportent-ils une aide limitée; mais l'existence et l'efficacité de
cette aide peuvent difficilement être niées quant à la fraction de leur
chiffre d'affaires relative aux produits de tabac; cette aide peut être
accrue notamment par des prix imposés instaurés, pour les mêmes motifs,
sur d'autres articles vendus par ces détaillants, ainsi que par d'autres
mesures de protection, notamment par une meilleure organisation de cette
branche de commerce. Même si l'on admet, avec la cour cantonale et le
Conseil fédéral dans son message susmentionné (FF 1982 III 248 ss, 277)
que le commerce de détail traditionnel n'est pas voué à la disparition,
il est donc patent que l'aide apportée par les prix imposés est propre
à lui fournir une certaine assistance par le bénéfice que ces prix
lui permettent de réaliser. L'appréciation de la cour cantonale selon
laquelle, dans les relations entre grands magasins pratiquant des prix
très bas et un commerce de détaillants traditionnels bien organisé, "la
force d'attraction des prix y devient secondaire par rapport à d'autres
facteurs", ne tient pas suffisamment compte du rôle des prix dans un marché
régi par la libre concurrence et de la force d'attraction - relevée par la
Commission des cartels - du prix de certains articles (tels ceux du tabac),
propre à attirer le client pour l'achat d'autres articles également.

    ff) La cour cantonale considère enfin que, si les détaillants de
la branche alimentaire rendent vraiment des services pour assurer une
distribution capillaire du tabac, il serait possible de leur accorder
des avantages financiers spéciaux sous forme de rabais de fonction
correspondant à des prestations particulières de leur part (ATF 94 II
334). La demanderesse s'élève cependant aussi contre une pareille solution,
l'avantage ainsi envisagé correspondant à son avis à une restriction
inadmissible à la concurrence; la défenderesse n'y est pas favorable
non plus, prétendant qu'elle donnerait lieu à de grosses difficultés
(le système des rabais de fonction avait été appliqué précédemment,
cf. ATF 91 II 25 ss). L'aide ainsi envisagée, à titre éventuel, par la
cour cantonale suppose aussi l'existence d'un intérêt prépondérant et
l'efficacité d'une pareille mesure; or si l'aide est utile et efficace,
elle peut également être apportée par le recours aux prix minimums imposés.

    Dans l'arrêt Denner A.G. du 28 novembre 1972, concernant le cartel
de la bière, le Tribunal fédéral considérait notamment ce qui suit (ATF
98 II 380 s.): Il est dans le cours normal des choses que la guerre des
prix, liée à la suppression des prix imposés, conduise à une réduction de
la marge du commerce de détail sur le marché de la bière. Rien n'indique
que ce marché évoluera différemment de ce que l'expérience a montré pour
les autres articles de marque après la suppression des prix imposés. Les
petits détaillants devraient en particulier vendre la bière normale
sensiblement plus cher que les magasins "discount", en raison de leur
structure défavorable quant aux frais. Ils ne pourraient guère compter
sur le service à la clientèle pour s'assurer la vente de la bière, ce
service n'étant d'aucune aide pour les articles courants. La baisse
des prix causée par la suppression des prix imposés entraînerait donc un
déplacement non négligeable de la clientèle des magasins de détail vers
les magasins "discount", soit une diminution des points de vente de la
bière. Il est vrai qu'on assiste depuis quelques années à un processus de
concentration sur le marché des denrées alimentaires. Mais cette évolution
est notamment due à l'abandon des prix imposés pour les articles de marque
et s'accélérerait si les prix imposés pour la bière étaient supprimés. Les
défenderesses ont le droit d'assurer l'application de leurs prix imposés
si elles remplissent les conditions légales, quand bien même les prix
imposés ont été supprimés pour les autres articles de marque.

    Les considérations qui précèdent restent d'actualité et sont
applicables mutatis mutandis au marché du tabac. Cette jurisprudence a
d'ailleurs manifestement servi de fondement à la réglementation adoptée en
1973 par le cartel du tabac (Publ. CC 1976 p. 394; cf. aussi l'organisation
cartellaire du marché du tabac, ATF 91 II 25 ss, 94 II 329 ss), dont les
membres ont pu penser de bonne foi qu'elle correspondait à l'ordre légal
en vigueur; l'exigence de la sécurité du droit s'opposerait à ce que l'on
s'en écarte sans nécessité.

    L'arrêt ATF 98 II 365 ss a été critiqué par MERZ (La société anonyme
suisse 1973 p. 127 ss et RJB 1974 p. 47 ss), qui reproche au Tribunal
fédéral d'avoir admis sans preuve que le maintien des prix imposés
sur la bière renforçait la structure d'un réseau de distribution des
denrées alimentaires dans l'intérêt général. Cette critique n'est pas
fondée. En effet, comme on l'a vu, il n'est pas nécessaire que la mesure
cartellaire suffise à elle seule à maintenir ou établir une structure. Par
ailleurs, l'évolution passée avait montré que la suppression des prix
imposés entraînait une chute des prix de détail, donc une diminution
du bénéfice brut et une réduction, voire une suppression du bénéfice
net chez les petits détaillants; on pouvait en déduire qu'à l'avenir
aussi une suppression des prix imposés entraînerait, sur les articles en
question, une diminution ou une suppression de bénéfices, ainsi qu'une
désaffection de la clientèle attirée par les prix des grands commerces,
et que la capacité de concurrence de ces petits commerces serait
réduite en conséquence. Il est d'ailleurs notoire que ces commerces sont
particulièrement exposés à disparaître sous l'effet de la concurrence
des prix. Il faut en déduire que le maintien des prix imposés est de
nature à leur venir en aide. Enfin, on a également vu plus haut que
le maintien d'un certain réseau de distribution capillaire des denrées
alimentaires était dans l'intérêt public.

Erwägung 8

    8.- a) La Commission des cartels estime que les prix imposés sur les
articles de tabac correspondent aussi à l'intérêt général parce qu'ils
apportent une aide financière aux kiosques, utiles à l'intérêt général
pour la diffusion de la presse d'information et d'opinion (Publ. CC
1977 p. 114). La cour cantonale nie que les kiosques soient en mesure de
contribuer de manière importante à la réalisation d'un tel objectif.

    b) Dans son arrêt Schmidt-Agence S.A. et consorts, du 7 décembre
1976, le Tribunal fédéral a admis "d'une part les difficultés notoires
de la presse écrite, dues notamment à la concurrence de la radio et de
la télévision, d'autre part et surtout l'intérêt général de l'ensemble
de la population au maintien d'une presse diversifiée, ce qui suppose une
diffusion rapide des informations et des opinions, non seulement par les
moyens audio-visuels, mais aussi par l'imprimé" (ATF 102 II 442). Ces
considérations, elles aussi, n'ont pas perdu de leur pertinence et de
leur actualité.

    Sans doute le plus grand nombre des exemplaires de journaux ne
sont-ils pas distribués dans le pays par les kiosques, mais par voie de
porteurs ou par la poste, et les kiosques ne s'implantent-ils en général
pas dans les endroits les plus décentralisés, comme le relève la cour
cantonale. Les kiosques n'en contribuent pas moins, de façon sensible,
à la diffusion et au maintien d'une presse diversifiée, en tenant à la
disposition du public un large éventail de publications et grâce à un
réseau de distribution étendu.

    Pour les mêmes motifs que s'agissant des détaillants du commerce
des denrées alimentaires, les prix imposés sont propres à aider les
kiosques. Il en est de même des détaillants spécialisés vendant des
journaux, à l'égal des kiosques.

Erwägung 9

    9.- Les conditions d'application de l'exception prévue par l'art. 5
al. 2 lettre c LCart étant ainsi remplies, il n'est pas nécessaire
d'examiner si l'ensemble des faits ne permettrait pas en outre d'admettre
la réalisation de la cause générale de l'art. 5 al. 1 LCart (intérêts
prépondérants).

Erwägung 10

    10.- Si elle est admissible dans son principe, la mesure cartellaire
doit aussi respecter dans son ampleur le principe de la proportionnalité.

    a) On peut se demander si la mesure incriminée, justifiée au regard de
l'art. 5 al. 2 lettre c LCart, n'est pas excessive en ce qu'elle profite
non seulement à des commerçants pour lesquels l'intérêt général commande
une protection, mais aussi à d'autres commerçants. La cour cantonale
évoque ce problème en mentionnant, à titre subsidiaire, la possibilité
d'accorder des rabais spéciaux de fonction à certains types d'acheteurs,
en raison des services qu'ils rendent.

    Le système des prix imposés, accepté en principe par le législateur
(art. 5 al. 2 lettre e LCart; ATF 98 II 371 s., 377 s., cf. MICHELI,
Les exceptions à l'illicéité des entraves à la concurrence de tiers,
thèse Lausanne 1972, p. 99 ss; MATILE, RDS 1970 II 218 ss; MATTMANN, Die
Preisbindung der zweiten Hand nach dem schweizerischen Kartellgesetz,
thèse Fribourg 1969, p. 6 ss), présente d'ordinaire la caractéristique
d'être applicable à chacun (ATF 98 II 382), quel que soit l'intérêt qu'il
puisse invoquer, avec certains inconvénients que cela peut comporter,
mais l'avantage d'une utilisation aisée.

    Le système des rabais de fonction peut, théoriquement, sembler
préférable, puisqu'il permettrait de n'accorder un avantage économique
qu'aux personnes pour lesquelles il est justifié; il implique des
difficultés pratiques indéniables, lorsqu'il s'agit de déterminer qui peut
justifier d'un tel intérêt et d'empêcher que le rabais ne profite en fait
à des acheteurs ne le méritant pas. Or le choix de la mesure cartellaire
appartient en premier lieu au cartel, auquel la jurisprudence reconnaît
une certaine latitude dans l'ampleur de la mesure choisie (ATF 91 II 40,
98 II 378). En l'espèce, le cartel n'en a pas abusé; il pouvait considérer
que les prix imposés profitaient pour l'essentiel aux détaillants en
alimentation, kiosques et magasins de tabac spécialisés fonctionnant
à l'égal de kiosques et que ceux-ci étaient des points de vente plus
importants que les restaurants, automates, stations d'essence, etc.;
la mesure adoptée n'excède donc pas de façon évidente l'intérêt à protéger.

    b) Un prix imposé ne doit pas non plus être excessif quant à son
montant (art. 5 al. 2 lettre e LCart; ATF 91 II 37, 98 II 377 s., 381 ss,
99 II 237; MATILE, RDS 1970 II 234 ss; MICHELI, op. cit., p. 104 ss).

    En l'espèce, il n'est pas prétendu, et l'on ne saurait non plus
admettre qu'il y ait excès. En effet, le prix de vente minimum imposé
impliquait une marge de bénéfice brut de 8,59% (ou 8,63%), inférieure à
la marge de bénéfice brut moyenne de 10% pratiquée par la demanderesse. La
mesure incriminée représente un compromis défendable entre les intérêts en
présence des différents détaillants concernés; elle permet en particulier à
la demanderesse de vendre les articles de tabac avec un rabais substantiel
par rapport au prix de détail imprimé - 15% selon déclarations concordantes
des parties -, tout en garantissant aux détaillants du commerce alimentaire
un minimum réduit de bénéfice et en les mettant à l'abri du risque que
leur concurrent Denner A.G. vende ces articles au particulier à un prix
inférieur à celui auquel ils peuvent eux-mêmes se les procurer, du fait
que les petits détaillants ne bénéficient pas d'un rabais de quantité.

    c) La sanction attachée au non-respect du prix imposé doit également
répondre à l'exigence de la proportionnalité (MATILE, op.cit., p. 239 ss,
249 ss).

    A cet égard, une suppression de rabais n'apparaît pas un moyen
inadéquat et en l'occurrence la quotité n'en apparaît pas non plus
disproportionnée.

Erwägung 11

    11.- La mesure cartellaire attaquée étant licite, selon l'art. 5 LCart,
la demande doit être rejetée.