Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 109 IB 285



109 Ib 285

47. Arrêt de la IIe Cour de droit public du 24 juin 1983 dans la cause
Département fédéral de l'intérieur contre Conseil d'Etat du canton de Vaud
(recours de droit administratif) Regeste

    Verordnung über die Nationalstrassen (NSV): Verbot des Alkoholverkaufs
in Autobahnrestaurants. Gesetz- und Verfassungsmässigkeit von Art. 4
Abs. 4, 2. Satz NSV.

    Die allgemeine Gesetzgebungskompetenz des Bundes auf dem Gebiete der
Nationalstrassen bezieht sich nicht nur auf den Bau und Unterhalt von
Nebenanlagen, sondern auch auf deren Betrieb (E. 3).

    Das Verbot, in Autobahnrestaurants Alkohol zu verkaufen, geht nicht
über den in Art. 7 Abs. 2 NSG vorgesehenen Delegationsrahmen hinaus, obwohl
es in der Bestimmung nicht ausdrücklich erwähnt wird (E. 3 und 4). Das
Verbot verstösst auch nicht gegen das Verhältnismässigkeitsprinzip (E. 5).

Sachverhalt

    A.- Sur le territoire de la commune vaudoise d'Yvorne, un centre
de ravitaillement - comprenant une station d'essence, un restaurant
et des places de stationnement - a été aménagé, dans chaque sens de
circulation, le long de la route nationale 9 (autoroute Vallorbe -
Lausanne - Villeneuve - Sion - Brigue). Par décision motivée du 5 juin
1981, le chef du Département de la justice, de la police et des affaires
militaires du canton de Vaud a autorisé la création d'un restaurant sans
alcool, en précisant notamment que la personne désignée pour exploiter
l'établissement public devra solliciter une patente de restaurant sans
alcool dans les formes requises par l'art. 7 du règlement d'exécution de
la loi vaudoise du 3 juin 1947 sur la police des établissements publics
et la vente des boissons alcooliques (en abrégé: LPEP).

    En réalité, par requête déposée le 17 décembre 1981, Philippe Matti
a demandé la délivrance d'une patente de café-restaurant (et non pas de
restaurant sans alcool) pour le "Relais du Chablais" - un restaurant de
134 places avec une terrasse de 66 places -, qu'il entendait exploiter
pour le compte de la société Mövenpick Restauroutes Yvorne S.A. (sur
l'aire de ravitaillement à l'ouest de l'autoroute). Le chef du Département
de la justice, de la police et des affaires militaires a estimé que la
disposition de l'art. 4 al. 4 ORN "me paraît dépourvue de bases légales
dans la mesure où elle ne repose sur aucune délégation de compétence
expresse des Chambres fédérales permettant au Conseil fédéral de prohiber
la vente d'alcool dans les restoroutes". Il a donc accordé, par décision du
25 mars 1982, une patente de café-restaurant avec les réserves suivantes:

    "L'établissement devra offrir en tout temps un choix de boissons sans
   alcool à un prix qui ne dépasse pas, à quantité égale, celui de la
   boisson alcoolique la moins chère.

    Cette patente autorise uniquement son titulaire à servir de la bière
   et des vins suisses, en accompagnement d'un plat principal.

    Cette patente est accordée sous réserve de l'observation stricte des
   conditions fixées dans notre lettre du 13 avril 1982."

    Dans sa séance du 1er septembre 1982, le Conseil d'Etat du canton de
Vaud a rejeté le recours formé contre cette décision par le Département
fédéral de l'intérieur.

    Agissant par la voie du recours de droit administratif, le Département
fédéral de l'intérieur demande au Tribunal fédéral

    "que la décision attaquée soit annulée et que le Conseil d'Etat du
   canton de Vaud reçoive pour instruction de respecter l'interdiction
   de débiter de l'alcool dans les restaurants autoroutiers".

    Se basant sur un avis de l'Office fédéral de la justice, le département
recourant fait valoir non seulement que l'art. 4 al. 4 ORN a une base
légale suffisante, mais encore que cette interdiction de débiter de
l'alcool dans les restaurants autoroutiers ne viole aucun principe
constitutionnel. Il reproche donc au Gouvernement vaudois d'avoir fait
application du droit cantonal, en violation d'une norme - valable -
de droit public fédéral.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours et annulé la décision attaquée.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Contre la décision du Conseil d'Etat vaudois, le Département
fédéral de l'intérieur déclare former un recours de droit administratif
au sens des art. 97 ss OJ ou, à défaut, une réclamation de droit public
selon l'art. 83 lettre a OJ. Bien que l'entrée en matière ne soit discutée
par personne, c'est là une question qu'il faut trancher d'abord, car le
Tribunal fédéral examine toujours, d'office, la recevabilité du recours
sans être lié par les conclusions des parties, ni par les moyens qu'elles
ont - ou n'ont pas - fait valoir.

    a) Selon l'art. 97 al. 1 OJ, le recours de droit administratif est
ouvert contre les décisions au sens de l'art. 5 PA, c'est-à-dire contre
les mesures prises par une des autorités mentionnées à l'art 98 OJ et
fondées sur le droit public fédéral.

    Pour accorder à Philippe Matti une patente de café-restaurant,
les autorités vaudoises se sont basées sur les dispositions de la
loi vaudoise du 3 juin 1947 sur la police des établissements et la
vente des boissons alcooliques, en particulier sur la clause de besoin
énoncée à l'art. 40 LPEP. La décision entreprise apparaît ainsi fondée
exclusivement sur le droit cantonal. Il est vrai que, statuant sur le
recours du Département fédéral de l'intérieur, le Gouvernement vaudois n'a
pas eu à se prononcer sur l'application des dispositions de la LPEP. Il a
dû trancher la question - seule litigieuse entre le Département fédéral
de l'intérieur et le Département vaudois de la justice, de la police et
des affaires militaires - de savoir si cette patente doit être refusée en
raison de l'interdiction édictée par le Conseil fédéral à l'art. 4 al. 4
ORN, ce qui l'a conduit à examiner le problème de la légalité et de la
constitutionnalité d'une norme de droit public fédéral. Le recours porte,
sans conteste, uniquement sur la question de l'applicabilité d'une norme
de droit public fédéral, puisque le département recourant soutient que les
autorités vaudoises n'ont pas appliqué, à tort, la disposition de l'art. 4
al. 4 ORN. Il n'est dès lors pas douteux, au regard de la jurisprudence,
que la décision du Conseil d'Etat vaudois - qui ne porte d'ailleurs
elle-même que sur cette question de droit - peut être attaquée par la voie
du recours de droit administratif (ATF 108 Ib 74 consid. 1a, 107 Ib 172/3,
105 Ib 107 consid. 1a et 108 consid. 1c, 100 Ib 448 consid. 2b).

    Par ailleurs, cette décision émane d'une autorité cantonale de recours
qui a statué en dernière instance cantonale, aucun recours n'étant
prévu contre les décisions du Conseil d'Etat en matière de police des
établissements publics (art. 97 LPEP).
   b)...  c)...

Erwägung 2

    2.- a) En vertu des art. 113 al. 3 et 114bis al. 3 Cst., le Tribunal
fédéral est tenu d'appliquer les lois et les arrêtés de portée générale
qui ont été votés par l'Assemblée fédérale ainsi que les traités que
celle-ci a ratifiés. Le droit fédéral, dont le Tribunal fédéral est
chargé d'assurer la juste application en dernière instance, comprend,
outre les actes législatifs émanant des Chambres fédérales, toutes les
dispositions d'application prises dans les ordonnances du Conseil fédéral
ou d'autres autorités fédérales, à la condition qu'elles trouvent leur
fondement dans les lois ou directement dans la constitution (ATF 103 IV
193 consid. 2a). Ainsi, le Tribunal fédéral peut, lorsqu'il est saisi
d'un recours de droit administratif, examiner d'office la légalité des
ordonnances du Conseil fédéral. En ce qui concerne les ordonnances qui
reposent sur une délégation de la loi, il vérifie si le Conseil fédéral n'a
pas dépassé les limites du pouvoir que le législateur lui a délégué et,
dans la mesure où la loi n'autorise pas le Conseil fédéral à déroger à
la constitution ou à établir une réglementation déterminée, le Tribunal
fédéral s'assure encore de la constitutionnalité de l'ordonnance (ATF
107 Ib 246 consid. 4, 106 Ib 186 consid. 2a, 105 Ib 369 consid. 11b,
104 Ib 420 consid. 4c).

    En principe, le Tribunal fédéral examine librement la légalité et
la constitutionnalité des ordonnances du Conseil fédéral. Toutefois,
lorsque le législateur laisse au Conseil fédéral un très large pouvoir
d'appréciation, le Tribunal fédéral est lié par cette délégation légale; il
ne peut donc pas substituer sa propre appréciation à celle du Gouvernement,
spécialement en ce qui concerne l'opportunité. Son examen porte alors
sur la question de savoir si le Conseil fédéral a manifestement excédé le
pouvoir d'appréciation qui lui a été délégué ou si, pour une autre raison,
l'ordonnance est contraire à la loi ou à la constitution. En outre, il
vérifie que l'ordonnance réalise le but poursuivi par le législateur et
que le principe de la proportionnalité a bien été respecté; tel est le cas
lorsque l'ordonnance met en oeuvre des moyens raisonnablement proportionnés
au but recherché par le législateur. En revanche, le contrôle du Tribunal
fédéral est plus strict lorsque l'autorité ne dispose d'aucun pouvoir
d'appréciation ou que d'un pouvoir limité (ATF 107 Ib 247 consid. 4 et
les arrêts cités).

    b) Dans le cas particulier, le litige porte tout d'abord sur la
question de savoir si l'interdiction, prévue à l'art. 4 al. 4, 2e phrase
ORN, de vendre ou de consommer de l'alcool dans les restoroutes repose sur
une base légale suffisante. De l'avis concordant des parties, la seule
norme de délégation qui puisse entrer en ligne de compte est celle de
l'art. 7 al. 2 LRN, qui habilite le Conseil fédéral à édicter "les règles
fondamentales régissant les installations annexes". Le Conseil d'Etat
vaudois croit, tout au moins dans la décision attaquée, devoir vérifier
la validité de cette clause de délégation au regard des principes dégagés
par le Tribunal fédéral en sa qualité de juge chargé, dans le cadre de
recours de droit public, de contrôler la constitutionnalité de délégations
prévues par des dispositions de droit cantonal. Il faut donc rappeler,
préliminairement, que l'art. 114bis al. 3 Cst. interdit au Tribunal
fédéral de vérifier la validité des normes de délégation contenues dans les
lois fédérales (ATF 104 Ib 367/368, 101 Ib 73/74 consid. 3). Il s'agit
en revanche d'examiner si l'art. 7 al. 2 LRN peut être interprété, dans
le sens invoqué par le Département fédéral de l'intérieur, comme une
norme de délégation donnant au Conseil fédéral la compétence d'édicter
l'interdiction de servir des boissons alcooliques dans les restaurants
aménagés le long des autoroutes.

Erwägung 3

    3.- Les parties divergent d'opinion sur cette première question
déjà de savoir si le Conseil fédéral peut, sans outrepasser le cadre
de la délégation prévue à l'art. 7 al. 2 LRN, réglementer également
l'exploitation des installations annexes, ou s'il ne dispose au
contraire que de compétences purement techniques, portant uniquement
sur la construction et l'entretien desdites installations. Aux yeux du
Conseil d'Etat vaudois - et de l'intimé Philippe Matti -, cette dernière
interprétation est la seule qui soit conforme à l'art. 36bis al. 2 Cst.,
qui dispose, dans sa première phrase, que "les cantons construiront
et entretiendront les routes nationales conformément aux dispositions
arrêtées par la Confédération et sous sa haute surveillance".

    a) L'art. 36bis al. 1 Cst. charge la Confédération d'assurer
par voie législative l'établissement et l'utilisation d'un réseau de
routes nationales. La Confédération est ainsi investie d'une compétence
législative exclusive, qui l'habilite à régler complètement l'ensemble
de ce domaine (cf. Rapport du Conseil fédéral, du 22 octobre 1957,
concernant l'initiative populaire pour l'amélioration du réseau routier,
FF 1957 II p. 858; Message du Conseil fédéral, du 3 juillet 1959, à
l'appui d'un projet de loi sur les routes nationales, FF 1959 II p. 96
ss). Quant aux cantons, leur rôle en matière de construction et d'entretien
(art. 36bis al. 2 Cst.) se limite pour l'essentiel à des tâches d'exécution
(cf. art. 61 LRN) qu'ils n'exercent que sous la haute surveillance de la
Confédération et sous réserve, au surplus, du pouvoir de substitution prévu
à l'art. 55 LRN. Le constituant de 1958 a donc consacré une importante
attribution de compétence en faveur de la Confédération. Ce faisant,
il a délibérément choisi une solution explicitement reconnue comme fort
peu fédéraliste mais considérée, selon les termes du rapporteur de langue
allemande de la commission du Conseil national, comme "die zweckmässigste
(...), staatsrechtlich richtige und praktisch einzig gangbare Lösung" (BO,
CN, 1958, p. 205; cf. aussi, dans ce sens, BRUNO KLÄUSLI, Bundesstaats-
und verwaltungsrechtliche Aspekte der Nationalstrassengesetzgebung,
thèse Zurich 1970, p. 80 s., 89 s. et 95 ss; ALFRED RECHSTEINER, Die
Kompetenzverteilung im Nationalstrassenbau, thèse Zurich 1970, p. 26,
54 ss et 75 ss). Cette répartition des compétences vaut aussi en ce qui
concerne les installations annexes, qui sont parties intégrantes des routes
nationales (art. 6 et 7 al. 1 LRN, art. 3 lettre d ORN; cf. Message du 3
juillet 1959 précité, FF 1959 II p. 101/102), et cela indépendamment du
régime de propriété institué par le droit cantonal (cf. art. 8 al. 2 LRN).

    b) Contrairement à l'opinion soutenue par les autorités vaudoises et
l'intimé Philippe Matti, rien n'indique que cette compétence législative
générale et exclusive de la Confédération ne puisse porter que sur la
construction et l'entretien des installations annexes, à l'exclusion
de leur exploitation. Cela ne résulte pas de l'art. 36bis Cst., dont
l'al. 1 parle - de façon parfaitement claire dans sa teneur française
- de "l'utilisation" des routes nationales (en allemand: "Benützung"
et en italien: "l'uso"; cf. aussi Rapport du Conseil fédéral précité,
in FF 1957 II p. 858). A la différence de la question du financement,
ce point n'a pas été contesté au cours des débats parlementaires, bien
qu'il fût mis en évidence par les rapporteurs des commissions (BO 1958,
CN pp. 203 et 205, CE pp. 8, 10 et 13).

    La volonté du législateur fédéral de soumettre les installations
annexes à une réglementation minimum et uniforme qui prenne en compte,
outre les impératifs de la sécurité (art. 5 al. 1 LRN), les besoins des
usagers, ressort tant du texte de la loi que des travaux préparatoires.

    Tout d'abord, l'alinéa 1er de l'art. 7 LRN donne des installations
annexes une définition très large: il s'agit d'installations pouvant "être
aménagées (...) selon le besoin", notamment pour "permettre aux usagers
de la route de se ravitailler, de se restaurer et de se loger". "Les
règles fondamentales", que le Conseil fédéral est chargé d'édicter en
vertu de l'alinéa 2, portent donc également sur la détermination des
besoins auxquels doivent répondre les installations annexes. S'il est
vrai que la portée exacte de cette habilitation pouvait éventuellement
prêter à discussion lorsque l'art. 7 LRN était encore rédigé dans sa
teneur initiale - plus restrictive -, tel n'est plus le cas depuis que
le législateur a, en adoptant la loi du 17 décembre 1971 modifiant les
art. 7 et 50 LRN, dissipé toute équivoque à cet égard. En effet, il a
alors clairement exprimé sa volonté "d'élargir la conception actuelle
des installations annexes" en formulant "les normes juridiques d'une
manière plus large et plus souple (...) afin que l'on puisse installer
tous les types imaginables de kiosques, de restaurants et d'hôtels, pourvu
qu'ils répondent aux besoins du trafic routier" (Message du 28 avril 1971
précité, FF 1971 I pp. 1132/1133). Cette extension a été dûment soulignée
par le rapporteur de la commission du Conseil des Etats: "Eine Planung
für das gesamte Netz und eine gewisse Einheitlichkeit im Betrieb sind
unerlässlich. Der Bund stellt also in Zukunft nicht nur Grundsätze über die
Errichtung von Nebenanlagen auf, sondern erlässt die allgemeinen Grundsätze
für die Nebenanlagen. Ich verweise hier auf Absatz 2 des Artikel 7." (BO,
CE 1971, p. 860.) Par ailleurs, rappelant la nécessité, déjà exprimée en
1959 (FF 1959 II p. 103), d'avoir une réglementation uniforme assurant
une conception unique des installations annexes et leur aménagement selon
un plan d'ensemble, le législateur a voulu renforcer les attributions
de la Confédération en matière de coordination et de surveillance (FF
1971 I pp. 1130 et 1133). Ce renforcement de la compétence réglementaire
du Conseil fédéral n'a suscité aucune opposition au sein des Chambres
fédérales (cf. BO 1971, CN p. 1369 ss, CE p. 860 s.).

    c) C'est donc en vain que les autorités vaudoises et l'intimé Philippe
Matti prétendent inférer des art. 7 al. 3 et 50 LRN que les cantons sont
seuls compétents pour réglementer l'exploitation des installations
annexes. L'art. 7 al. 3 reconnaît certes aux cantons le droit de
délivrer les autorisations de construire, d'agrandir et d'exploiter
ces installations, mais cela sous réserve de la législation fédérale et
de l'approbation des projets par les autorités fédérales. Interprétée
à la lumière de l'art. 36 bis Cst. - et du régime de compétences qu'il
consacre -, ainsi que de la volonté du législateur - clairement exprimée
dans les travaux préparatoires -, cette réserve de la législation fédérale
signifie que les cantons ne peuvent exercer leur tâche - d'exécution -
qu'en respectant l'ensemble des règles de droit fédéral et donc, notamment,
celles que le Conseil fédéral édicte par voie d'ordonnance en vertu de la
délégation de l'art. 7 al. 2 LRN. Il n'y a aucune raison qu'il en aille
différemment en ce qui concerne l'exploitation, qui est aussi expressément
mentionnée à l'art. 7 al. 3 LRN.

    Les mêmes considérations conduisent à affirmer que les compétences
- rappelées à l'art. 50 LRN - des cantons en matière d'exploitation des
installations annexes ne les dispensent pas de l'obligation de se conformer
à la législation fédérale. On ne saurait donc déduire de l'art. 50 LRN
que l'art. 7 al. 2 n'habilite pas le Conseil fédéral à édicter des
règles fondamentales pour l'exploitation des installations annexes. Au
reste, la deuxième phrase de l'art. 50 dispose que "si les nécessités du
trafic ou des intérêts d'ordre général l'exigent, le Département fédéral de
l'intérieur peut édicter d'autres prescriptions". Dans l'ancienne teneur de
cet article (RO 1960, p. 580), cette délégation expresse était attribuée
au Conseil fédéral (FF 1959 II p. 122; cf. KLÄUSLI, op.cit., p. 187;
RECHSTEINER, op.cit., p. 48). Le fait que, en 1971, elle ait été transférée
au Département de l'intérieur ne saurait signifier que le Conseil fédéral
- autorité hiérarchiquement supérieure - soit pour autant dépouillé de
toute compétence de réglementer l'exploitation des installations annexes.

    d) Le législateur eût certes pu circonscrire plus précisément la
portée de l'habilitation du Conseil fédéral en cette matière. Mais il a
délibérément choisi, tant en 1959 qu'en 1971, que certaines règles soient
fixées par voie d'ordonnance, en raison du caractère évolutif des exigences
techniques et des besoins en matière de trafic routier (FF 1959 II p.
122 et 1971 I pp. 1130 et 1133). On rappellera à ce propos que le recours
à de semblables délégations en faveur de l'exécutif est parfaitement
admissible et d'ailleurs fréquent, notamment lorsqu'il s'agit d'assurer la
faculté d'adaptation de normes à l'état de la technique, des connaissances
scientifiques ou à l'évolution de l'économie (ATF 103 Ib 140 consid. c,
102 Ia 68, 100 Ib 434/435 consid. 5; cf. GYGI, Interventionsrecht und
Interventionsverwaltung, in: Abhandlungen zum schweiz. Recht, 334/1958,
p. 47 ss; P.-L. MANFRINI, Nature et effets des ordonnances administratives,
Genève 1978, p. 162 s.).

    Il faut donc constater que, par la délégation de l'art. 7 al. 2
LRN, le législateur a conféré un très large pouvoir d'appréciation au
Conseil fédéral. Selon les principes jurisprudentiels rappelés plus haut
(consid. 2a), le Tribunal fédéral est lié par une telle délégation,
en sorte qu'il ne peut substituer sa propre appréciation à celle du
Gouvernement (ATF 107 Ib 246/247 consid. 4 et les arrêts cités). En
l'espèce, rien n'interdit d'interpréter la norme de l'art. 7 al. 2 LRN
en ce sens qu'elle habilite le Conseil fédéral à réglementer aussi
l'exploitation des installations annexes et, partant, à édicter une
interdiction relative à l'exploitation des restoroutes.

Erwägung 4

    4.- Le Département recourant soutient que l'art. 4 al. 4 ORN résiste au
grief d'inconstitutionnalité que lui adresse le Conseil d'Etat vaudois. A
l'inverse, cette autorité estime que le Conseil fédéral ne saurait, à
défaut d'y être expressément habilité par la loi, édicter une interdiction
qui restreint la liberté du commerce et de l'industrie. Sur ce point, le
sort du recours dépend donc en premier lieu de la question de savoir si la
délégation que l'art. 7 al. 2 LRN confère à l'exécutif couvre également
l'adoption de règles limitant la liberté économique des exploitants de
restoroutes. Dans l'affirmative, le Tribunal de céans devrait constater
que cette limitation résulte de la loi elle-même et que, lié dès lors par
l'art. 4 al. 4 ORN comme il l'est par la norme de délégation (art. 113
al. 3 et 114bis al. 3 Cst.), il ne peut contrôler la constitutionnalité
de l'ordonnance au regard de l'art. 31 Cst. (cf. consid. 2a ci-dessus et
les arrêts cités).

    a) A l'origine, le législateur fédéral avait prévu, le long des
autoroutes, l'aménagement de simples buvettes et de kiosques attachés
aux stations d'essence (art. 7 al. 1 LRN en sa teneur du 8 mars 1960;
RO 1960 p. 570) et le Conseil fédéral avait précisé qu'il s'agissait de
buvettes sans alcool (art. 4 al. 3 ORN en sa teneur du 24 mars 1964;
RO 1964 p. 301). Lors de la revision de la loi en 1971, on a autorisé
l'aménagement, le long des autoroutes, de restaurants et de motels:
on s'est alors demandé si, malgré l'opposition de certains milieux, il
fallait maintenir l'interdiction de débits d'alcool et, le cas échéant,
si cette interdiction devait être introduite dans le texte légal.

    Dans son message du 28 avril 1971, le Conseil fédéral a développé
clairement les raisons pour lesquelles il n'y avait pas lieu de lever
l'interdiction, concluant son exposé en ces termes: "On sait que les
autorités fédérales combattent l'ivresse "au volant" par tous les moyens;
la législation sur la circulation routière et les innombrables mesures,
prises en vue de lutter contre l'éthylisme, en témoignent. Mais si l'Etat
ne dispose en général que de moyens limités pour prévenir l'ivresse
"au volant", la législation sur les routes nationales lui donne au moins
la possibilité de le faire dans un domaine limité: En effet, d'après le
droit actuellement applicable, la vente de boissons alcooliques peut être
interdite sur les autoroutes et semi-autoroutes qui sont exclusivement
réservées au trafic motorisé. Il nous paraît que la vente de boissons
alcooliques et l'intérêt qu'elle représente pour certains milieux de notre
population doivent être subordonnés aux exigences plus hautes du bien
public, autrement dit à la nécessité d'accroître la sécurité du trafic et
de lutter contre l'alcoolisme. D'un point de vue très général, la question
de savoir si les restaurants bordant les autoroutes pourront servir de
l'alcool doit donc être tranchée par la négative. Nous ne voyons aucune
raison de revenir sur notre décision antérieure." (FF 1971 I p. 1138.)

    La majorité de la Commission du Conseil national a approuvé cette
décision et son rapporteur de langue allemande a fait la déclaration
suivante lors de la séance du 7 octobre 1971:

    "Der Sprechende seinerseits zählt kaum zu den Kreisen, die mit
   besonderer Leidenschaft gegen jeden Alkoholgenuss ankämpfen. Er ist aber
   persönlich auch der Meinung, dass die bisherige Regelung, wonach durch
   bundesrätliche Verfügung kein Alkohol an Autobahnen ausgeschenkt werden
   soll, richtig sei. Im Namen der Kommissionsmehrheit bitte ich Sie daher,
   von der Aufnahme einer Alkoholbestimmung im Gesetz abzusehen." (BO, CN

    1971, p. 1368.)

    Au cours du débat d'entrée en matière, une seule réserve a été formulée
par le porte-parole du groupe PAB (paysans, artisans et bourgeois),
qui cependant a approuvé le projet de loi:

    "Wie erwähnt, betrachten wir den uns unterbreiteten Vorschlag als
   richtig, trotzdem festgestellt werden könnte, eine Verweigerung des

    Alkoholausschankes müsste ja eigentlich nur den Autolenker als solchen
   betreffen, aber nicht unbedingt die Mitfahrer. Wir denken da
   beispielsweise an Cars, wo ja eine einzige Person für die andern
   verantwortlich ist und nur sie speziell keinen Alkohol trinken
   dürfte. Die Zeit wird dann zeigen, ob vielleicht später andere
   Möglichkeiten in die Gesetzesformen aufgenommen werden können. Heute
   aber stehen wir auf dem Standpunkt, dass die

    Raststätten nur mit alkoholfreien Getränken sollten bewilligt
werden." (BO,

    CN 1971 p. 1369.)

    Quant au chef du Département fédéral de l'intérieur, il a dit ce
qui suit:

    "Es liegt mir aber daran, dem Rate dafür zu danken, dass das

    Alkoholverbot unbestritten geblieben ist. Es wird zwar nicht im Gesetz
   festgelegt, auch nicht in der neuen Fassung, der Bundesrat hat sich aber
   in seiner Botschaft sehr klar für das Alkoholverbot ausgesprochen. Er
   wird es in der Verordnung aufrechterhalten." (BO, CN 1971 p. 1370.)

    Finalement, le Conseil national puis le Conseil des Etats ont voté,
sans discussion ni opposition, le texte proposé par le Conseil fédéral
(BO, CN 1971 p. 1371, CE 1971 p. 861).

    Il ressort ainsi clairement des travaux préparatoires que les Chambres
fédérales ont accepté non seulement que l'on interdise de servir des
boissons alcooliques dans les restaurants autoroutiers, mais encore que
cette interdiction figure uniquement dans le texte revisé de l'ordonnance
d'exécution et non pas dans la loi elle-même. Par là même, elles ont
également admis la constitutionnalité de cette mesure, considérant, avec
le Conseil fédéral, que la notion d'utilisation du réseau, au sens de
l'art. 36bis Cst., englobe, outre tous les équipements et installations
nécessaires, "les mesures propres à augmenter le bien-être personnel des
usagers" (FF 1971 I p. 1140).

    b) Il est vrai que, pris à la lettre, l'art 7 al. 2 LRN n'habilite pas
expressément le Conseil fédéral à interdire le débit d'alcool dans les
restoroutes. Mais il est de jurisprudence qu'une base légale matérielle
suffit pour que l'exécutif puisse édicter, dans le cadre d'une ordonnance
de substitution, une réglementation qui restreint la liberté du commerce
et de l'industrie dans un domaine de sa compétence (ATF 104 Ia 198/199,
98 Ia 591).

    Nul ne conteste que l'interdiction litigieuse est une pure mesure
de police - et non de politique économique -, qui tend, ainsi que le
veut la loi (art. 5 LRN), à garantir la sécurité du trafic. Une telle
prescription de police, que le Conseil fédéral peut édicter en vertu
de l'art. 7 al. 2 LRN - ainsi d'ailleurs que le Département fédéral de
l'intérieur en vertu de l'art. 50 -, relève de la législation réservée par
l'art. 31 al. 1 Cst. et est, partant, compatible avec cette disposition
(cf. ATF 83 I 150 consid. 4b).

    Par ailleurs, on pourrait se demander si l'art 4 al. 4 ORN constitue
réellement une nouvelle règle qui restreint les droits des citoyens
ou leur impose de nouvelles obligations, au sens de la jurisprudence
(ATF 104 Ib 209 consid. 3b, 99 Ib 165 consid. 1a). En effet, il ne fait
que reprendre une interdiction préexistante en l'appliquant aux nouveaux
droits - d'exploiter des restaurants et des motels - introduits par la loi
du 17 décembre 1971. Mais surtout, on a vu que si le législateur a certes
voulu conférer un large pouvoir d'appréciation au Conseil fédéral, il a en
même temps limité en quelque sorte ce pouvoir, en se prononçant lui-même
directement sur l'insertion d'une interdiction dans l'ordonnance. Il
apparaît ainsi que si la norme de l'art. 4 al. 4 ORN doit bel et bien être
qualifiée, formellement, de règle primaire, elle s'apparente plutôt, en
fait, à une simple disposition d'exécution comportant une règle indiquée
avec précision par le législateur. Dans ce sens, la question pourrait
même se poser de savoir si, malgré son large pouvoir d'appréciation,
le Conseil fédéral eût pu prendre la liberté de renoncer, de lui-même, à
inscrire cette interdiction de débit d'alcool dans l'ordonnance. Certes,
ce problème relève en réalité surtout de l'opportunité politique. Il
n'en demeure toutefois pas moins que les particularités de la procédure
d'élaboration législative qui est à l'origine de l'art. 4 al. 4 ORN
doivent nécessairement être prises en considération: elles offrent une
raison supplémentaire d'admettre que la norme de délégation de l'art. 7
al. 2 LRN n'a pas besoin d'être expresse pour pouvoir être interprétée
dans le sens proposé par le département recourant.

    c) Outre qu'elle n'est pas contredite par le texte de la loi, cette
interprétation est largement corroborée par les travaux préparatoires,
qui attestent la volonté claire et unanime du législateur. Elle résiste
au surplus à l'objection tirée du défaut de délégation expresse puisque,
d'une part, l'interdiction litigieuse - en tant que restriction à la
liberté du commerce et de l'industrie fondée sur des motifs de police - est
compatible avec l'art. 31 Cst. et que, d'autre part, le législateur s'est
lui-même directement prononcé sur la portée, en ce qui concerne cette règle
particulière, de la norme de délégation inscrite à l'art. 7 al. 2 LRN.

    Dans ces conditions, il faut constater que l'interdiction édictée
à l'art. 4 al. 4 ORN n'excède pas le cadre de la délégation légale et
qu'elle est - de l'avis même du législateur, qui ne saurait être contredit
par le Tribunal de céans - conforme à l'art. 31 Cst.

    d) Cette conclusion rend superflu l'examen des autres problèmes
constitutionnels abordés par les parties. Il n'y a donc pas lieu de
se demander si l'exploitation des installations annexes n'entrerait
éventuellement pas dans le champ de la liberté du commerce et de
l'industrie, ou encore si les compétences reconnues aux cantons en
matière d'établissements publics et de commerce des boissons spiritueuses
(cf. art. 31 al. 2, 31 ter et 32 quater Cst.) pourraient faire obstacle
à celles dont dispose la Confédération en vertu de l'art. 31 Cst. et de
la disposition spéciale de l'art. 36bis Cst.

Erwägung 5

    5.- Lorsque le législateur fédéral a retenu la solution d'une
interdiction de vente et de consommation d'alcool dans les restoroutes,
il a par la même occasion admis d'une façon toute générale la
constitutionnalité de cette mesure. Ainsi que cela ressort des matériaux
législatifs déjà cités, il en a donc également examiné la pertinence sous
l'angle de l'intérêt public et de la proportionnalité, et n'a jamais mis
en doute sa compatibilité avec le principe de l'égalité. Il ne reste dès
lors guère de place pour un contrôle de la validité de l'art. 4 al. 4
ORN au regard de ces principes constitutionnels (art. 114bis al. 3 Cst.;
ATF 101 Ib 151 consid. 4; cf. aussi ATF 106 Ib 191/192).

    Sans aucun doute, l'opportunité et la justification d'une semblable
prohibition suscitent - et susciteront encore à l'avenir - de nombreux avis
contradictoires. Le Conseil fédéral les a exposés dans son Message du 28
avril 1971 précité (FF 1971 I p. 1136 ss) et a conclu à la prééminence
des motifs liés tant à la sécurité du trafic qu'à la lutte contre
l'alcoolisme. Au Parlement, qui n'est pourtant pas composé que d'ennemis
du vin ou des milieux viti-vinicoles, nul ne s'est opposé à ce point de
vue. Qui plus est, les Bulletins officiels déjà cités (cf. consid. 4a)
révèlent que le législateur s'est déterminé en connaissance de cause
et a estimé qu'il y a des raisons sérieuses et pertinentes d'interdire
l'alcool dans les restoroutes, sans que cela implique pour autant des
atteintes excessives à des intérêts importants. Pour le reste, il n'est
pas déraisonnable d'estimer, comme l'indique le recourant, que toute
autre mesure moins incisive s'avérerait forcément moins efficace et plus
difficilement applicable.