Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 108 II 278



108 II 278

55. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 17 juin 1982 dans la
cause Fondation Russel-Eynard et consorts contre Commune de Rolle (procès
direct) Regeste

    Art. 2 Abs. 2, 80 ff., 482 Abs. 1, 601 ZGB.

    1. Auslegung eines Testaments und einer Stiftungsurkunde (E. 4a und b).

    2. Wird der Vermächtnisnehmer testamentarisch angewiesen, eine
Stiftung zu gründen und ihr die vermachten Vermögenswerte zu übertragen,
liegt ein Vermächtnis unter Auflage vor (E. 4c).

    3. Berechtigt, die Vollziehung der Auflage zu verlangen, ist nicht
nur die begünstigte Stiftung, sondern sind auch ein Erbe sowie diejenigen
Personen, denen die vom Erblasser festgelegte Leistung zukommen soll
(E. 4d).

    4. Ist Art. 601 ZGB auf die durch die Auflage eingeräumten Rechte
analog anwendbar? Frage offen gelassen (E. 5a).

    5. Der Vermächtnisnehmer, der die Einrede der Verjährung erhebt,
nachdem er durch sein Verhalten den Begünstigten in den Glauben versetzt
hat, er werde die Auflage vollziehen, und ihn dadurch davon abgehalten hat,
die Vollziehung zu verlangen, handelt rechtsmissbräuchlich (E. 5b).

Sachverhalt

    A.- a) Marguerite Russell-Eynard était propriétaire d'un domaine dit
"Au Pré de Vert", sis à Rolle, dans la partie ouest, de part et d'autre
de la route du lac. Comportant maison de maître, dépendance et ruraux,
ce domaine est formé des parcelles 326 et 327 du feuillet 15 de la commune
de Rolle.

    Le 1er novembre 1918, Marguerite Russel-Eynard rédigea un testament
instituant héritière unique une fondation qu'elle chargeait ses
exécuteurs testamentaires de constituer et qui devait porter le nom
de son fils prédécédé, Claudi Russell-Eynard. Elle expliquait qu'elle
désirait perpétuer la mémoire de Claudi Russell-Eynard par une oeoeuvre
humanitaire venant en aide à des enfants tuberculeux dont les moyens
étaient insuffisants pour faire face à la maladie. Ces enfants devaient
pouvoir vivre dans la propriété et jouir de ses produits. Aussi la
testatrice déclarait-elle laisser à cette oeuvre sa campagne de Pré de Vert
"et tout ce qu'elle contient, à moi appartenant au jour de mon décès,
à l'exception de tout objet spécialement disposé autrement, ainsi que
la presque totalité de ma fortune, afin que ladite oeuvre puisse être
organisée et subsister".

    Par un second testament, du 22 août 1923, Marguerite Russel-Eynard
annula ses dispositions antérieures, tout en renvoyant à son testament de
1918 pour expliquer les sentiments qui l'avaient inspirée. Elle tenait
compte d'une importante modification des circonstances survenue depuis
1918: sa soeur Rachel avait divorcé et repris le nom de Eynard. Marguerite
Russell-Eynard instituait donc héritière Rachel Eynard et, à son défaut,
le fils de celle-ci, Paul Eynard. En ce qui concerne la fondation à créer,
elle disposait:

    "Je lègue à la Commune de Rolle ma propriété de Pré de Vert, maison,
   campagnes et dépendances, ainsi qu'un capital de cent vingt mille
   francs qui représente dans sa presque totalité la fortune qui m'a été
   laissée par mon mari.

    Je désire que ce legs (120'000 fr.) soit consacré à une Fondation pour
   enfants indigents et délicats, atteints légèrement ou menacés de
   tuberculose osseuse, sans distinction d'origine ni de religion.

    Si la Commune de Rolle n'a pas les fonds nécessaires pour créer cette
   fondation, elle aura la faculté de céder les biens que je lui lègue
   à une fondation ou autre oeuvre existant déjà et qui devra s'engager
   à poursuivre le but indiqué par moi sous le nom "Fondation Claudi
   Russell-Eynard".

    Je lègue à la Commune de Rolle, pour la fondation susmentionnée, tout
   le mobilier proprement dit qui se trouve à Pré de Vert, à l'exception
   des tableaux et de quelques meubles de souvenir que ma mère et ma
   soeur devront choisir."

    Marguerite Russell-Eynard est décédée à Rolle le 25 juin 1924. Ses
dispositions testamentaires furent homologuées par le juge de paix du
cercle de Rolle le 26 juin 1924.

    b) Des divergences de vues apparurent bientôt entre les exécuteurs
testamentaires de Marguerite Russell-Eynard et la commune de Rolle au
sujet de l'interprétation du legs fait à la commune. Les exécuteurs
testamentaires soutenaient que les immeubles pouvaient être immatriculés
au registre foncier, au chapitre ordinaire de la commune de Rolle, et
même à un chapitre spécial, mais seulement jusqu'à ce que la fondation
Claudi Russell-Eynard eût son existence propre et pût vivre de ses moyens:
à ce moment là, disaient-ils, les immeubles devraient passer au chapitre
personnel de la fondation.

    La Municipalité prétendait, au contraire, que la commune de Rolle,
instituée légataire avec charge, avait le droit, après acceptation du legs,
de faire inscrire les immeubles au chapitre de la commune de Rolle avec
réserve d'usufruit.

    Finalement, un accord intervint, en 1930-1931, entre la commune
et les exécuteurs testamentaires: une fondation au sens des art. 80 ss
CC serait constituée, la somme de 120'000 fr. lui serait affectée, les
immeubles seraient transférés à un chapitre cadastral spécial intitulé
"Commune de Rolle, fondation Claudi Russell-Eynard" et voués exclusivement
à l'oeuvre à créer.

    Le Conseil communal accepta le legs et la création de la
fondation. L'acte de délivrance du legs, notarié le 26 avril 1932, fut
inscrit le 30 avril au registre foncier.

    Le même jour, la commune de Rolle a constitué la fondation. L'acte
constitutif contient notamment les dispositions admises par les parties,
soit l'attribution définitive du legs de 120'000 fr. à la fondation,
à titre de capital initial, l'attribution en propriété exclusive du
mobilier légué et la clause suivante relative aux immeubles:

    "Enfin, est encore affecté à titre définitif à la Fondation Claudi

    Russell-Eynard l'usage de tous les immeubles formant la campagne de
Pré de

    Vert, communes de Rolle et de Gilly, et qui viennent de faire
l'objet d'un
   acte de délivrance de legs en faveur de Rolle, étant entendu que ces
   immeubles sont inscrits au Registre foncier à un chapitre spécial de la

    Commune de Rolle intitulé "Commune de Rolle (Fondation Claudi

    Russell-Eynard)", sans que ladite commune ait jamais la possibilité de
   distraire tout ou partie de ces immeubles du but fixé par Mme Marguerite

    Russell-Eynard, cela sous réserve toutefois que dans l'éventualité
où il
   paraîtrait nécessaire pour la Fondation de réaliser une partie du
   domaine, la Commune se prêterait à cette aliénation moyennant que
   le produit de la vente vienne accroître le capital inaliénable de
   la Fondation.

    La Fondation aura sur ces immeubles le droit de jouissance le plus
   étendu avec la faculté de les gérer et d'en tirer tous les revenus,
   mais avec l'obligation de les maintenir en bon état.

    Elle supportera tous les frais d'exploitation, impôts, assurances
et autres
   contributions publiques.

    La Commune de Rolle n'aura pas à rembourser le coût d'installations,
   réparations d'entretien pour les transformations, constructions
   et reconstructions qui pourraient être apportées aux immeubles et
   ouvrages, toutes ces dépenses devant être supportées par la Fondation
   bénéficiaire."

    L'acte constitutif arrête ensuite les statuts de la fondation, dont
l'art. 1 est ainsi libellé:

    "La Fondation Claudi Russell-Eynard a pour but de créer sur le domaine
   de Pré de Vert, à Rolle, un établissement en faveur d'enfants indigents
   et délicats, atteints légèrement ou menacés de tuberculose osseuse,
   sans distinction d'origine ni de religion; le tout conformément aux
   dispositions des dernières volontés de Mme Marguerite Russell-Eynard."

    c) En 1944, le comité de la fondation, d'accord avec la commune de
Rolle, envisagea de vendre les immeubles et d'en affecter le produit
à une oeuvre en faveur d'enfants atteints de tuberculose osseuse, le
traitement de cette maladie ne pouvant pas être pratiqué à Rolle en raison
du climat. Autorité supérieure en matière de surveillance des fondations,
le Conseil d'Etat du canton de Vaud décida, le 11 janvier 1946, de ne
pas autoriser la vente en principe, tout en se réservant d'examiner une
nouvelle demande de vente partielle destinée à augmenter les ressources de
l'oeuvre. Toutefois, il autorisa le comité de la fondation à s'intéresser,
non seulement à des enfants atteints de tuberculose osseuse, mais à des
enfants délicats, débiles ou prédisposés à la tuberculose, qui ont besoin
de passer leur vie au grand air.

    d) En 1978, la fondation établit un projet de nouvelles constructions
qui devait être financé par des subventions et par des emprunts garantis
par hypothèque sur les immeubles. Elle chargea le notaire Chuard de trouver
une solution permettant d'assurer le financement hypothécaire. Consultant
le registre foncier, cet homme de loi constata que le propriétaire des
immeubles était inscrit en les termes suivants: "Rolle, La Commune -
Fondation Claudi Russell-Eynard". Il demanda conseil au professeur Piotet,
qui, dans un avis de droit du 30 mai 1978, estima que la propriété
des immeubles devait être transférée par la commune à la fondation. La
Municipalité se rallia à cette manière de voir et proposa au Conseil
communal de l'autoriser à exécuter le transfert. Mais le Conseil communal
refusa son accord dans sa séance du 5 février 1980. Dans l'intervalle, le
27 octobre 1978, le conservateur du registre foncier de Rolle rectifia la
désignation du propriétaire des parcelles 326 et 327, en biffant les mots
"Fondation Claudi Russell-Eynard" pour ne laisser subsister que "Rolle,
La Commune".

    Cette rectification ne fut pas notifiée à la fondation. Le notaire
Chuard en prit connaissance fortuitement à la fin de l'année 1978, en
consultant de nouveau le registre foncier dans le cadre de ses démarches
pour chercher comment créer un crédit hypothécaire. Le conservateur lui
déclara alors qu'il en avait référé à son supérieur hiérarchique.

    B.- Le 11 juillet 1980, la Fondation Claudi Russell-Eynard, Paul
Eynard et les enfants mineurs Marc-Etienne Rochat, Thierry Gallay et
Patrick Favre, tous trois représentés par leurs parents, ont ouvert
action contre la commune de Rolle. Ils demandaient que la défenderesse
fût condamnée à transférer gratuitement à la fondation la propriété des
immeubles légués par Marguerite Russell-Eynard.

    Le Tribunal fédéral a admis l'action.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 4

    4.- Selon les demandeurs, la volonté de la testatrice était, non
seulement que la commune constituât la fondation, mais encore qu'elle
lui transférât tous les biens légués, y compris les immeubles.

    a) Pour déterminer les intentions d'un testateur, il faut se référer à
ce qu'il a écrit et, s'il subsiste une obscurité, interpréter les termes
dont il s'est servi en tenant compte de l'ensemble du testament, voire
d'éléments extrinsèques - dans la mesure où ils permettent d'élucider,
d'appuyer ou de corroborer une indication contenue dans le texte (ATF
101 II 34 consid. 3 et les références) - sans s'arrêter au sens que le
légataire a pu donner de bonne foi aux seules énonciations (cf., notamment,
TUOR, Das Erbrecht, Erste Abteilung, Vorbemerkungen zum dritten Abschnitt,
n. 11 ss; PIOTET, Droit successoral, Traité de droit privé suisse, IV
p. 192).

    En l'espèce, les termes employés dans le testament du 22 août 1923
ne prêtent pas à équivoque au sujet de la somme de 120'000 francs et
du mobilier légués à la commune: ces biens devaient être consacrés à
la fondation. En revanche, la testatrice ne le précise pas expressément
à propos du legs des immeubles. Mais cette interprétation s'impose. Il
ne fait pas de doute, d'après le contexte, que la testatrice léguait à
la commune de Rolle immeubles, espèces et mobilier pour qu'ils fussent
affectés soit à une fondation que créerait la légataire, soit à une
fondation ou une oeuvre préexistantes. Il ressort en outre du testament
de 1918, auquel Marguerite Russell-Eynard s'est référée pour expliquer sa
volonté, que la testatrice entendait que les immeubles eux-mêmes fussent
consacrés à la fondation. On y lit:
      "... Depuis la mort de notre enfant nous avions pris ensemble,
      mon mari et
moi, la décision de faire de Pré de Vert, maison et campagne, une
Fondation pour enfants indigents et délicats, en souvenir de notre
fils... Je laisse donc à cette oeuvre ma campagne Pré de Vert et tout ce
qu'elle contient... C'est le désir de mon mari et le mien que tout soit
fait pour le bien-être, le confort et la joie de ces enfants afin qu'ils
puissent jouir à Pré de Vert de tout ce que notre enfant a aimé ici-même
dans sa courte vie..."

    La commune de Rolle ne doute d'ailleurs pas de cette interprétation,
puisqu'elle a toujours déclaré vouloir consacrer les immeubles aux enfants
bénéficiaires: elle l'a admis dans l'acte constitutif de la fondation et
le dit encore en procédure. Toutefois, elle conteste que cette affectation
doive nécessairement se faire par un transfert de propriété à la fondation.

    b) Dans l'acte constitutif du 26 avril 1932, la commune déclare
consacrer l'usage des immeubles, à titre définitif, à la fondation,
s'engageant à n'en jamais distraire tout ou partie, sauf si la fondation
elle-même devait en avoir besoin pour atteindre son but; la commune se
prêterait alors à l'aliénation, moyennant que le produit de la vente vienne
accroître le capital inaliénable de la fondation. Celle-ci doit avoir
le droit de jouissance le plus étendu sur les immeubles, avec faculté de
les gérer et d'en tirer tous les fruits, mais elle est aussi chargée de
toutes les contributions publiques, ainsi que des frais d'installations,
de réparations et de transformations.

    Un tel faisceau de droits et d'obligations ne peut pas relever de
la liberté des contrats, s'il doit durer perpétuellement (LIVER, Die
Dienstbarkeiten und Grundlasten, 1980, Einleitung, n. 142). Un contrat
serait d'ailleurs inconcevable en l'espèce, l'acte de fondation étant
un acte unilatéral du fondateur, faute d'un cocontractant (RIEMER, Die
Stiftungen, n. 4 ad art. 80 CC; PIOTET, Droit successoral, p. 161).

    Dans ces conditions, l'ensemble de droits et d'obligations indiqué
dans l'acte constitutif ne peut que faire l'objet d'un droit réel. Le
nombre et les modalités des droits réels sont exhaustivement fixés par
la loi (LIVER, op.cit., Einleitung, n. 12; MEIER-HAYOZ, Das Eigentum, 5e
éd., Quellen und Hilfsmittel der Rechtsfindung, n. 78 ss). Il ne saurait
s'agir d'un usufruit, puisque l'usufruit des personnes morales ne peut
pas durer plus de cent ans (art. 749 al. 2 CC). Le seul droit réel qui
puisse avoir une portée aussi large est la propriété.

    La commune a d'ailleurs indiqué par acte concluant qu'elle admettait
que la fondation devait acquérir les immeubles légués, puisqu'elle a
ménagé son inscription au registre foncier. Mais cette inscription était
inefficace. L'inscription de deux personnes en qualité de propriétaires
n'est possible qu'en cas de propriété commune ou de copropriété, modalités
qui ne correspondaient ni à la volonté de la testatrice, ni à celle des
parties. La radiation de la fondation par décision du 27 octobre 1978
était donc bien fondée, lors même qu'elle est intervenue sous une forme
critiquable.

    La commune a également manifesté qu'à son avis la fondation devait
être propriétaire des immeubles quand, dans l'acte constitutif, elle a
prévu qu'une partie des immeubles pourrait être vendue si cela se révélait
utile pour atteindre le but de la fondation, et que la somme ainsi obtenue
devrait revenir à la fondation exclusivement. Elle a exprimé la même
intention en 1944, lorsqu'il a été question de vendre les immeubles.

    La commune ne saurait soutenir que la testatrice ne voulait pas
créer une véritable fondation, au sens des art. 80 ss CC, mais qu'elle
se contentait d'une fondation dépendante ou fiduciaire, ou subordonnée,
soit de l'attribution à une personne de biens à employer à une certaine
fin (J. L. KRAFFT, Les fonds de prévoyance et la théorie générale des
fondations, thèse Lausanne 1956, p. 51 ss; RIEMER, p. 264 ss, n. 418;
PIOTET, Droit successoral, p. 135). Si une telle figure juridique
est analogue à la fondation, notamment par l'affectation durable
d'un patrimoine à un but déterminé, elle s'en distingue cependant
fondamentalement par l'absence de personnalité juridique. Or, en l'espèce,
c'est bien une personnalité indépendante, soit une personne morale capable
d'acquérir des droits, qu'a voulue Marguerite Russell-Eynard. Dans son
testament de 1918, elle en faisait sa seule héritière; dans celui de
1923, elle lui a expressément destiné la somme de 120'000 francs et le
mobilier, lui attribuant en outre les immeubles litigieux, comme l'a
confirmé l'interprétation de ses dispositions de dernières volontés.
Au demeurant, en créant une fondation au sens des art. 80 ss CC, la
défenderesse a elle-même manifesté la signification qu'elle donnait aux
intentions de la testatrice.

    Personne morale, la fondation demanderesse a la capacité d'être
propriétaire des biens qui lui sont affectés et le fondateur est tenu
de lui en transférer la propriété, dès lors qu'il doit nécessairement y
renoncer lui-même (KRAFFT, op.cit., p. 43).

    Le titre au transfert de la propriété est donc établi. Il réside dans
la disposition testamentaire de Marguerite Russell-Eynard qui prévoit
l'affectation à la fondation des immeubles légués à la commune. Cette
dernière ne saurait prétendre que la fondation a renoncé au titre
d'acquisition en se contentant des modalités stipulées dans l'acte
constitutif: la fondation n'était pas partie à cet acte; au surplus,
on l'a vu, le faisceau de droits et d'obligations qui y est énoncé ne
peut faire l'objet que d'un droit de propriété.

    c) La question se pose dès lors de savoir si la disposition
testamentaire qui fonde le titre d'acquisition de la fondation doit être
qualifiée de charge, comme le soutiennent les demandeurs, ou de sous-legs,
ainsi que l'affirme la défenderesse. La distinction porte à conséquence
en l'espèce pour déterminer la qualité pour agir des demandeurs autres
que la fondation et, éventuellement, pour statuer sur l'exception de
prescription soulevée par la défenderesse.

    aa) Le legs, au sens des art. 484 ss CC, crée une véritable créance
en faveur du bénéficiaire, tandis que la charge, telle qu'elle est prévue
à l'art. 482 CC, se borne à conférer aux intéressés un droit sui generis
à l'exécution (ATF 105 II 259/260 c et d, 103 II 226 consid. I 2, 101 II
27/28 et les références; cf. PIOTET, Droit successoral, p. 113, 118, 134,
qui précise que le legs confère un avantage patrimonial).

    bb) Il est évident que le legs fait à la commune de Rolle était grevé
d'une charge dans la mesure où la testatrice a invité la légataire à créer
une fondation, subsidiairement à désigner une fondation ou une oeuvre
préexistante qui pût le recueillir. Dans la seconde hypothèse, la fondation
préexistante n'aurait pas pu faire valoir contre la commune une créance
pour qu'elle la désignât. Dans la première éventualité envisagée par la
testatrice, soit celle qui s'est réalisée, la commune était tenue de créer
une fondation, c'est-à-dire, on l'a vu, d'accomplir un acte unilatéral. Il
ne pouvait donc y avoir de créancier au sens du droit des obligations.

    cc) Du fait de l'art. 488 al. 3 CC, le légataire peut être grevé d'une
substitution fidéicommissaire lui imposant de rendre le legs à un tiers,
l'appelé. En application de l'art. 545 al. 1 CC, la fondation demanderesse
pourrait remplir ce rôle d'appelé bien qu'elle n'existât pas au moment de
l'ouverture de la succession. A première vue, on pourrait donc concevoir
qu'en vertu du testament la fondation a contre la commune, légataire grevée
de substitution, une action en délivrance d'un sous-legs (art. 562 CC),
si bien qu'elle serait titulaire d'une créance en transfert des immeubles.

    Mais une telle distinction entre la création de la fondation et le
transfert des biens qui lui sont consacrés est impossible. On ne peut
imaginer une fondation sans que des biens soient affectés à un but spécial
(RIEMER, n. 24 ad art. 80 CC): d'après la définition de l'art. 80 CC,
cette affectation est l'essence même de l'institution. Dès lors, quand
le légataire est obligé par une charge de créer une fondation et de lui
transférer ce qu'il a acquis dans la succession, le transfert est dû en
vertu de la charge, comme la constitution de la fondation elle-même, dont
il est indissociable (cf. PIOTET, Clause d'un pacte successoral prévoyant
la constitution d'une fondation et sa dotation, JdT 1980 I p. 315 ss,
sp. p. 316).

    d) Aux termes de l'art. 482 al. 1 CC, tout intéressé a le droit de
requérir l'exécution de la charge. Le cercle des intéressés ne doit pas
être déterminé de manière restrictive. Il n'est pas besoin d'un intérêt
patrimonial: un intérêt moral suffit (TUOR, n. 14 ad art. 482 CC; PIOTET,
Droit successoral, p. 135). Paul Eynard a un double intérêt moral à
voir exécuter la charge. Il est le neveu de la testatrice. De plus, si
sa tante n'avait pas testé en faveur de la fondation, les biens qui sont
affectés à celle-ci lui seraient normalement revenus par l'intermédiaire
de sa mère: dès l'instant qu'il en est privé, il est fondé à demander
qu'ils parviennent à la personne désignée par la testatrice (cf. TUOR,
n. 15 ad art. 482 CC).

    Quant aux enfants demandeurs, qui accomplissent leur scolarité à
l'institution de Pré de Vert, ils sont du nombre des destinataires de la
prestation voulue par Marguerite Russell-Eynard. Leur qualité pour agir
ne saurait dès lors être douteuse (TUOR, n. 15 ad art. 482 CC; PIOTET,
Droit successoral, p. 135).

Erwägung 5

    5.- La défenderesse soulève l'exception de prescription.

    a) Le droit de la fondation d'obtenir le transfert des immeubles
n'étant pas une créance découlant d'un sous-legs (art. 562 CC), l'art. 601
CC n'est pas applicable directement. La loi ne prévoit pas expressément
que les droits conférés aux intéressés par la charge sont soumis à
prescription. Dans l'arrêt ATF 76 II 208 consid. 5, le Tribunal fédéral
a estimé que c'était douteux, mais a laissé la question indécise; dans
l'arrêt ATF 87 II 362, il est dit que, aussi longtemps que le bénéficiaire
jouira de la libéralité, il sera lié par les charges qui l'affectent,
sauf si elles sont illicites ou contraires aux moeurs. Selon ESCHER (Das
Erbrecht, Erste Abteilung: Die Erben, 3e éd., n. 22 ad art. 482 CC),
l'absence de créance a pour conséquence l'imprescriptibilité du droit
à l'exécution. En revanche, SPIRO (Die Begrenzung privater Rechte durch
Verjährungs-, Verwirkungs- und Fatalfristen, Band I: Die Verjährung der
Forderungen, § 61, p. 131/132 et n. 23) et PIOTET (Droit successoral,
p. 138) estiment que l'art. 601 CC devrait s'appliquer par analogie,
étant donné la parenté qui existe entre la charge et le legs.

    Point n'est besoin de trancher en l'espèce, car les demandeurs font
valoir avec raison que la défenderesse ne saurait invoquer la prescription
sans abuser de son droit.

    b) Le débiteur commet un abus de droit en se prévalant de la
prescription, non seulement lorsqu'il amène astucieusement le créancier
à ne pas agir en temps utile, mais aussi lorsque, sans dol, il a un
comportement qui incite le créancier à renoncer à entreprendre des
démarches juridiques pendant le délai de prescription et que, selon une
appréciation raisonnable, fondée sur des critères objectifs, ce retard
apparaît compréhensible (ATF 89 II 262/263 consid. 4 et les références).

    Tel est le cas en l'occurrence. Dès qu'elle a acquis le legs et
qu'ainsi la charge a sorti ses effets (art. 482 al. 1 CC), la défenderesse
n'a cessé de déclarer qu'elle entendait affecter les immeubles litigieux
à la fondation demanderesse, à titre définitif, sans avoir jamais la
possibilité de distraire tout ou partie de ces immeubles du but visé
par la testatrice, et que la fondation aurait sur ces biens le droit
de jouissance le plus étendu. Elle a même fait inscrire la fondation au
registre foncier, conjointement avec elle, comme propriétaire: certes,
telle qu'elle a été opérée, cette inscription n'avait pas de portée
juridique, mais elle manifestait chez la défenderesse la volonté de
mettre les immeubles à l'entière disposition de la fondation. La commune
est allée jusqu'à s'obliger à consentir à une aliénation partielle qui
serait conforme aux intérêts et au but de la fondation. Du fait de cette
attitude, la fondation a toujours vu reconnaître son droit à user des
immeubles comme un propriétaire, dans les limites qui lui sont assignées
par son but. Elle n'avait dès lors aucune raison d'exiger le transfert des
immeubles. C'est seulement lorsque, après la radiation de la fondation
au registre foncier, le Conseil communal a, par décision du 5 février
1980, refusé le transfert que la commune a clairement indiqué qu'elle
n'entendait pas exécuter pleinement la charge dont est grevé le legs,
en recourant à une institution reconnue par le droit et correspondant à
la volonté de la testatrice.