Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 108 IA 300



108 Ia 300

58. Extrait de l'arrêt rendu le 7 décembre 1982 par la Ire Cour de droit
public dans la cause "Lôzane bouge" et Balet contre Conseil d'Etat du
canton de Vaud (recours de droit public) Regeste

    Art. 4 BV; Meinungsäusserungs- und Versammlungsfreiheit.

    Eine Behörde darf eine Versammlung nicht einzig wegen der an
ihr zu erwartenden Meinungsäusserungen verbieten (Bestätigung der
Rechtsprechung). Sie muss ihnen indes Rechnung tragen, wenn zwischen
dem Gehalt der propagierten Auffassungen und den befürchteten Unruhen
ein enger Zusammenhang besteht, der geeignet ist die Gefahr für eine
Verletzung der öffentlichen Ordnung zu vergrössern (E. 3).

    In Anbetracht der Tatsache, dass die gleiche Veranstaltung im
Jahr zuvor durch zahlreiche Verstösse gegen das Betäubungsmittelgesetz
gekennzeichnet war, musste die für die Aufrechterhaltung der öffentlichen
Ordnung verantwortliche Behörde die Durchführung eines neuen "Cannabis
Festes" untersagen (E. 4).

Sachverhalt

    A.- Le 10 mars 1982, le mouvement "Lôzane Bouge" et Bernard Balet ont
demandé à la Direction de police de Lausanne l'autorisation d'organiser
une deuxième "Fête du Cannabis", le 8 mai 1982 à Vidy. Se prévalant du
succès de la première fête du même nom, organisée l'année précédente,
les requérants disaient vouloir "renouveler cette expérience positive",
dont le but est de "célébrer la stupéfiante beauté de cette Dicotylédone
apétale qu'est le Cannabis".

    Par lettre du 23 mars 1982, la Municipalité de Lausanne a refusé cette
autorisation en exposant, pour l'essentiel, que la manifestation de 1981
avait été "l'occasion de nombreuses fumeries", que la Municipalité ne
saurait prêter la main à des actes illicites, et "qu'à provoquer la
consommation des stupéfiants et/ou révéler des possibilités de s'en
procurer ou d'en consommer, et cela en agissant intentionnellement et
publiquement, les organisateurs courraient le risque de tomber sous le
coup de l'art. 19 de la loi fédérale sur les stupéfiants".

    Contre cette décision, "Lôzane Bouge" et Bernard Balet ont recouru
auprès du Conseil d'Etat du canton de Vaud. A l'appui de leur recours,
ils relevaient en substance que la manifestation n'a ni pour but ni pour
objet la consommation ou la vente de stupéfiants et la révélation de
possibilités de s'en procurer ou d'en consommer. Il s'agit, au contraire,
d'un débat académique sur un problème controversé, d'une contestation
purement intellectuelle, en vue de conduire à la décriminalisation et
à la légalisation du cannabis. Le refus d'autorisation, en interdisant
la discussion publique de ce problème, viole les libertés d'expression,
de manifestation et de réunion. Les recourants n'excluaient pas que, lors
de la première Fête du Cannabis, il y ait eu des "fumeries" de haschisch,
tout en relevant que l'on peut en constater "dans presque toutes les
réunions de jeunes". Le 7 mai 1982, le Conseil d'Etat a rejeté le recours.

    Agissant par la voie du recours de droit public, "Lôzane Bouge"
et Bernard Balet demandent au Tribunal fédéral d'annuler la décision
du Conseil d'Etat du 7 mai 1982 et de leur donner acte de ce que la
décision prise le 19 mars 1982 par la Municipalité de Lausanne de
refuser l'autorisation d'organiser une deuxième Fête du Cannabis était
illégale. Les recourants invoquent une violation des libertés de réunion,
de manifestation et d'expression garanties par l'art. 4 Cst. et les art. 10
et 11 CEDH, ainsi qu'une violation de l'art. 4 Cst. et de l'art. 6 al. 2
CEDH en ce que certains faits auraient été admis de manière arbitraire,
au mépris de la "présomption d'innocence". Ils se fondent sur une
argumentation identique à celle développée par eux dans leur recours
au Conseil d'Etat, en insistant sur le bien-fondé de leur lutte pour la
modification de la législation réprimant pénalement la consommation de
cannabis, et sur le fait que personne n'ayant été poursuivi à la suite
de la première Fête du Cannabis, il n'est pas admissible de faire aux
recourants un procès d'intention en les suspectant sans motif d'incitation
à des actes pénalement répréhensibles.

    Après avoir dénié la qualité pour agir de "Lôzane Bouge", le Tribunal
fédéral a rejeté le recours formé par Bernard Balet dans la mesure où il
était recevable, notamment pour les motifs suivants:

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 3

    3.- Mettant l'accent sur l'aspect intellectuel de la réunion
projetée, le recourant prétend que l'interdiction incriminée visait en
réalité à empêcher un débat public en faveur de la décriminalisation
et de la légalisation du cannabis. Il soutient que cette décision est
incompatible avec les libertés constitutionnelles, et cela quand bien
même des infractions à la loi sur les stupéfiants auraient été largement
commises lors de la manifestation précédente et risqueraient d'être à
nouveau commises à l'occasion d'une seconde "Fête du Cannabis".

    L'autorité appelée à se prononcer sur une mesure restrictive de
la liberté de réunion ou de la liberté d'opinion ne peut pas refuser
une autorisation uniquement parce qu'elle désapprouve les idées et les
objectifs politiques des organisateurs, mais elle doit s'en tenir à cet
égard à une attitude neutre et objective (ATF 105 Ia 21 in fine). Seul est
déterminant pour elle le danger, direct et imminent, qu'une manifestation
pourrait objectivement entraîner pour l'ordre public (ATF 107 Ia 232
consid. 5b).

    Il va cependant de soi que le contenu des opinions à débattre
lors d'une réunion peut également entrer en ligne de compte dans
l'appréciation de ce danger. Le risque ne peut pas toujours être exclu que
les organisateurs incitent, plus ou moins activement, les participants
à mettre en pratique leurs idées et que celles-ci soient ainsi la cause
d'actes illicites (ATF 105 Ia 22; 58 I 93 consid. 3; GRAZIELLA JACQUAt,
La liberté de réunion en droit suisse, thèse Lausanne 1982, p. 50;
GIORGIO MALINVERNI, La liberté de réunion, in: Mémoires publiés par
la Faculté de droit de Genève no 68, Genève 1981, p. 126). Le contenu
intellectuel des opinions exprimées doit donc d'autant plus être pris en
considération lorsqu'il est en rapport direct et étroit avec les autres
aspects de la réunion qui présentent un danger d'atteinte à l'ordre public,
tant il est vrai que l'autorité doit empêcher l'organisation de réunions
qui menacent directement d'entraîner la commission de délits (E. GRISEL,
La définition de la police, in: Stabilité et dynamisme du droit dans la
jurisprudence du Tribunal fédéral suisse, Bâle 1975, p. 102).

    Dans le cas particulier, l'autorité devait nécessairement prendre
en considération le contenu idéal d'une manifestation "pour la
décriminalisation et la légalisation du cannabis", dès lors qu'elle
craignait précisément que la réunion projetée soit l'occasion de
nombreuses infractions à la législation sur les stupéfiants. Contrairement
à l'exemple, cité par le recourant, des festivals de jazz, il y avait donc
une corrélation étroite entre le thème intellectuel de la réunion et les
troubles redoutés, corrélation de nature à avoir un effet cumulatif quant
au danger d'atteinte à l'ordre public.

Erwägung 4

    4.- Chargée de déterminer, dans le cadre de son pouvoir général de
police, si une réunion est susceptible de menacer directement l'ordre
public, l'autorité doit faire un pronostic sur son déroulement (cf. G.
MALINVERNI, op.cit., p. 122 et 126). En l'occurrence, cette tâche lui
était grandement facilitée par le fait qu'une manifestation semblable avait
déjà eu lieu l'année précédente. Elle devait d'ailleurs d'autant plus en
tenir compte que les requérants se référaient eux-mêmes expressément au
"succès de la première Fête du Cannabis" pour demander l'autorisation
"de renouveler ... cette expérience positive".

    a) La demande d'autorisation du 27 mars 1981 précisait que la fête
était "destinée à célébrer l'aspect esthétique du cannabis". Les pièces
du dossier ne précisent pas si et dans quelle mesure un tel objectif a
été réalisé. Il apparaît, en revanche, que la première "Fête du Cannabis"
a pris en fait essentiellement l'allure d'une manifestation prônant la
légalisation des "drogues douces" et donnant aux participants l'occasion
d'en fumer en anticipant une telle légalisation éventuelle.

    aa) Il est vrai que le recourant conteste cette dernière constatation,
reprise d'un rapport de la Brigade des stupéfiants, et la qualifie
d'arbitraire parce qu'il n'aurait pas eu l'occasion de se prononcer sur
ce rapport de police.

    Ce dernier allégué est inexact. Il ressort du dossier qu'au cours
de la procédure de recours cantonale, le conseil des recourants a eu
connaissance de ce rapport de police du 14 mai 1981 par les "Déterminations
de la Municipalité de Lausanne au Conseil d'Etat du canton de Vaud", dont
ledit rapport constituait l'une des pièces jointes et qu'il s'est prononcé
à cet égard dans une réplique du 29 avril 1982. Le grief du recourant porte
en réalité sur le résultat de l'administration et de l'appréciation des
preuves par l'autorité cantonale. Mais cette appréciation des preuves
ne saurait être qualifiée d'arbitraire. Indépendamment du fait qu'un
rapport de police constitue, en principe, un moyen de preuve pertinent,
sinon toujours concluant, il va de soi que le Conseil d'Etat pouvait
aussi tenir compte, à un moindre degré, du contenu de diverses lettres
de protestation confirmant la réalité de "fumeries" lors de la première
"Fête du Cannabis". Mais surtout, l'exactitude de la constatation en
cause est corroborée par les propres déclarations du conseil du recourant,
qui exposait ce qui suit, dans sa réplique du 29 avril 1982:

    "Y a-t-il eu des fumeries lors de la première Fête du Cannabis? Cela
   n'est pas exclu, mais les recourants contestent formellement avoir
   provoqué une telle consommation. Encore une fois, il est de notoriété
   publique que, dans presque toutes les réunions de jeunes, on peut
   constater des fumeries de haschisch. Qu'en l'espèce il n'y ait rien eu
   d'extraordinaire résulte de ce que la Brigade des stupéfiants s'est
   abstenue d'intervenir, n'a fait aucune dénonciation et même aucune
   observation à ceux qui ont organisé la première fête."

    Le Conseil d'Etat était dès lors fondé à admettre que la première
"Fête du Cannabis" avait été l'occasion de nombreuses "fumeries",
d'autant plus que le conseil des recourants avait allégué, dans son
recours, qu'il "est de notoriété publique que, dans presque toutes les
réunions de jeunes, il y a de telles infractions. Qu'on songe par exemple
aux nombreux festivals de jazz" (passage repris d'ailleurs textuellement
dans le recours de droit public).

    Pas plus que d'une violation de l'art. 4 Cst. par la constatation
susmentionnée, il ne saurait être question d'une violation de l'art. 6
al. 2 CEDH. Le grief formulé à cet égard par le recourant est téméraire. Il
est évident que l'art. 6 al. 2 CEDH ne s'applique qu'en matière pénale
("Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente...";
cf. D. PONCET, La protection de l'accusé par la Convention européenne
des droits de l'homme, 1977, p. 32 ss). Le recourant n'ayant fait l'objet
d'aucune accusation pénale, sa présumée innocence n'a rien à voir ici.

    bb) Les termes mêmes de la demande d'autorisation pour la deuxième
"Fête du Cannabis" montrent qu'il s'agissait bien pour les organisateurs de
poursuivre l'"expérience" dans toutes ses dimensions, y compris et surtout
dans celle orientée vers l'action politique en vue d'une modification de
la législation, sans se préoccuper de ce qu'en fait ce serait l'occasion,
pour un très grand nombre de personnes - et en particulier de jeunes -
de s'adonner ensemble et publiquement aux drogues douces. Le but indiqué -
"célébrer la stupéfiante beauté de cette Dicotylédone apétale" - ne peut
être interprété que comme un prétexte fallacieux. Cela est confirmé à
posteriori par les arguments utilisés par les recourants en procédure, qui
tendent à justifier leur action en vue de la modification d'"articles de
loi dont le bien-fondé scientifique est sujet à caution", vu "le phénomène
de masse que représente la consommation récréative du cannabis". S'il est
très vraisemblable que, comme l'indique le recourant, il devait s'agir
"d'une réunion sur un problème controversé", le refus d'autorisation ne
saurait, toutefois, être considéré comme une censure politique. L'arrêt
attaqué précise que "les risques dénoncés proviennent non pas seulement
des opinions proférées par les organisateurs mais de la réunion comme
telle", et la lettre de la Municipalité du 23 mars 1982 spécifiait
que "l'interdiction qui précède ne préjuge en rien de la décision qui
pourrait être prise concernant l'éventualité de l'établissement d'un stand
d'information au centre-ville". Ce que les autorités ont voulu éviter,
ce n'est donc nullement un débat d'idées public, mais bien - compte tenu
de l'expérience de 1981 - l'organisation d'une manifestation dont tout
portait à penser qu'elle ne pourrait que dégénérer en actes illégaux.

    b) Un autre aspect encore de l'expérience faite l'année précédente
devait inciter l'autorité à la prudence: les tracts invitant le public à
la première "Fête du Cannabis" mentionnaient comme organisateur, à côté de
"Lôzane Bouge", un "Mouvement Autonome des Fumeurs" dont il n'avait pas
été question dans la procédure d'autorisation. Le dossier ne contient
pas d'indication sur ce dernier groupement; on peut toutefois présumer
qu'il s'agit d'un mouvement groupant, sinon des fumeurs de haschisch,
à tout le moins des militants de la légalisation de ce stupéfiant. En
tout état de cause, il apparaît pour ce motif formel déjà que la "Fête"
n'a, en réalité, pas respecté les conditions de son autorisation; or,
la question de savoir qui est l'organisateur d'une manifestation de ce
genre revêt évidemment une importance considérable. Saisies d'une nouvelle
requête en 1982, les autorités vaudoises pouvaient et devaient prendre
en considération le risque que, nonobstant les indications données par
les requérants, d'autres groupements encore, inconnus et incontrôlables,
se joignent aux organisateurs officiels pour exercer sur la manifestation
une influence d'un poids imprévisible.

    c) L'autorité devait enfin considérer le fait que la première "Fête
du Cannabis" avait attiré plusieurs centaines de personnes. Il n'y a
aucune raison de penser que la seconde n'aurait pas eu au moins le même
succès. Il devait donc s'agir d'une manifestation importante.

    d) C'est à tort que le recourant tente de se prévaloir de ce
qu'aucune poursuite pénale n'a été engagée à la suite de la précédente
manifestation. On ne saurait en effet en déduire que des délits n'ont pas
été commis, ni même - comme l'allègue le recourant - qu'il ne pouvait
s'agir que de quantités minimes au sens de l'art. 19b de la loi sur
les stupéfiants, ni à plus forte raison que des délits ne seraient pas
commis lors d'un renouvellement de la manifestation. L'argument selon
lequel l'autorité cantonale commettrait "un véritable abus de droit en
laissant se dérouler sans réagir la première Fête du Cannabis pour tirer
parti de sa non-intervention, afin d'interdire la deuxième" est absurde,
tendancieux et, partant, téméraire. Il procède en outre d'une confusion
entre les compétences des autorités pénales et celles des autorités
administratives. En refusant l'autorisation sollicitée en 1982, l'autorité
cantonale n'a en aucune manière "tiré parti de sa non-intervention";
elle a simplement, dans le cadre de son appréciation de la situation,
pris en considération les faits concrets qui se sont passés en 1981.

    e) Il résulte à l'évidence de ce qui précède que l'autorité avait
tout lieu de craindre, au vu des expériences faites en 1981, qu'une
nouvelle "Fête du Cannabis" provoque des atteintes en tout cas aussi
graves à l'ordre public et, notamment, des infractions à la législation
sur les stupéfiants. La question de savoir si les organisateurs réels de
la manifestation envisagée avaient ou non pour but la consommation ou la
vente de produits stupéfiants ou la provocation à la consommation de tels
produits n'est pas décisive, dès lors que la "Fête" de 1981 avait entraîné
de tels délits. Il était normal et raisonnable de déduire des événements
de 1981 que les organisateurs officiels pourraient se voir flanqués
d'autres "animateurs", dont ils ne pourraient empêcher une éventuelle
activité provocatrice et délictuelle. Il était, par conséquent, justifié
aussi que l'autorité communale se laisse guider par le souci de prévenir
la commission fort probable de nouveaux délits dans des circonstances
analogues, en refusant un permis sollicité par des organisateurs qui
devaient être considérés comme des perturbateurs au sens large de la
jurisprudence actuelle (ATF 107 Ia 62 consid. 5b).

    L'organisation d'une seconde "Fête du Cannabis" dans les circonstances
données impliquait, sans aucun doute, objectivement, le risque d'un
danger direct et imminent d'une grave atteinte à l'ordre public, ce qui
imposait impérativement à l'autorité responsable de la sauvegarde de cet
ordre public d'empêcher une telle manifestation.