Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 108 IA 221



108 Ia 221

41. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public du 14 mai 1982 dans
la cause Marclaire S.A. contre Genève, Département de justice et police
et Tribunal administratif (recours de droit public) Regeste

    Verweigerung der Erteilung eines Alkoholpatents; Art. 31 und
32quater BV.

    1. Bedürfnisklausel gemäss Genfer Gesetzgebung; Kriterien, die die
zuständige Verwaltungsbehörde bei der Ermittlung des Bedürfnisses anwendet
(E. 2).

    2. Im konkreten Fall ist die Patentverweigerung eine Massnahme zum
Schutze des öffentlichen Wohles i.S. von Art. 32quater BV und nicht eine
solche wirtschaftspolitischer Natur i.S. von Art. 31ter BV (E. 3). Sie
beruht ausserdem auf einer gesetzlichen Grundlage (E. 4).

    3. Unzulässigkeit der Rüge des Verstosses gegen das
Verhältnismässigkeitsprinzip, soweit damit der im Dienst der
Alkoholismusbekämpfung stehende Grundsatz der Beschränkung der
Alkoholwirtschaften in Frage gestellt wird (E. 5).

    4. Aus Art. 31 BV fliessendes Gebot der rechtsgleichen Behandlung
von Gewerbegenossen. Es ist im konkreten Fall nicht verletzt worden (E. 6).

Sachverhalt

    A.- La société Marclaire S.A. est propriétaire d'une crémerie portant
l'enseigne "Le Musée" au no 24 de la rue de la Corraterie à Genève, soit
dans le secteur no 20 (Banques) du plan de quartiers de la ville de Genève
tracé pour l'application de la clause de besoin.

    Le 6 avril 1979, elle sollicita l'autorisation d'y débiter des
boissons alcooliques.

    Le Département genevois de justice et police (ci-après: le Département)
rejeta cette requête en application de l'art. 5 lettre c de la loi
cantonale revisée sur les auberges, débits de boissons et autres
établissements analogues, du 12 mars 1892 (ci-après: LADB), au motif
que la clause de besoin instituée par cette disposition légale ne lui
permettait pas de donner suite à la demande présentée.

    Par la suite, Marclaire S.A. demanda au Département de reconsidérer
sa position, eu égard notamment au fait que deux établissements voisins
sis à la rue de la Corraterie avaient, eux, obtenu le droit de débiter
des boissons alcooliques.

    Par décision du 4 mars 1980, le Département refusa à nouveau
l'autorisation sollicitée, en estimant suffisant le nombre d'établissements
autorisés à débiter des boissons alcooliques dans le quartier no 20 ainsi
que dans les zones limitrophes.

    Appelé à statuer sur le cas en dernière instance cantonale, le
Tribunal administratif du canton de Genève a confirmé, le 3 juin 1981,
la décision du Département, en constatant notamment que celui-ci n'avait
pas outrepassé son pouvoir d'appréciation dans l'application de la clause
de besoin et que le grief de violation de l'égalité de traitement devait
également être rejeté.

    C'est contre cette décision du Tribunal administratif qu'est dirigé
le recours de droit public formé en temps utile par Marclaire S.A. La
recourante s'y prévaut notamment d'une atteinte particulièrement grave à la
liberté du commerce et de l'industrie et s'en prend à la constitutionnalité
même de l'art. 5 lettre c LADB.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était
recevable.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- La clause de besoin appliquée par les autorités genevoises
en matière d'ouverture ou d'agrandissement des établissements publics
autorisés à débiter des boissons alcooliques a son fondement dans l'art. 5
lettre c de la loi cantonale revisée du 12 mars 1892 sur les auberges,
débits de boissons et autres établissements analogues (ci-après: LADB),
dont le texte est le suivant:

    "Art. 5.- Les permissions ne sont accordées qu'après enquête
   préalable du département et préavis du service d'hygiène et seulement:

    ...

    c) si l'enquête préalable constate que le nombre des établissements du
   même genre déjà existant dans la localité, la commune ou le quartier
   peut être augmenté sans inconvénient. Tout refus est motivé."

    Basée exclusivement sur l'art. 32quater et non point sur l'art. 31ter
Cst. (cf. arrêts Tritten du 13 décembre 1978 et Société des cafetiers,
restaurateurs et hôteliers de Genève du 1er février 1980), cette
disposition ne permet un examen de la clause de besoin qu'à la lumière
des restrictions imposées par le bien-être public, notamment en ce qui
concerne la lutte contre l'alcoolisme, et non pas à la lumière de motifs
relevant de la politique économique.

    Dans la pratique, cela s'est traduit par l'adoption, de la part de
l'autorité administrative compétente, d'un certain nombre de critères
d'appréciation qui peuvent être utilement résumés comme il suit:

    "Pour apprécier l'existence d'un besoin au sens de l'art. 5 LADB, le
   département prend en considération la population résidente du quartier
   et la compare avec la moyenne de la Ville de Genève (un débit d'alcool
   pour

    247 habitants) et avec la moyenne cantonale (un débit d'alcool pour 343
   habitants). Cette appréciation est corrigée en fonction de la population
   laborieuse, soit les personnes occupant un emploi dans le secteur
   considéré. Ce critère échappe à la quantification mais peut être quand
   même apprécié avec une certaine précision.

    Le département considère ensuite l'afflux des touristes qui est, lui,
   beaucoup plus difficile à évaluer. Il tient également compte de la
   surface utile des établissements publics. La densité moyenne (1/247,
   1/343) n'est pas considérée comme le but à atteindre dans chaque
   secteur; une densité supérieure des établissements publics peut être
   retenue selon les circonstances. En tout état de cause, le département
   cherche à diminuer le nombre d'établissements publics dans les quartiers
   saturés. Le département profite de la fermeture d'établissements
   pour ne pas délivrer une nouvelle autorisation d'exploiter un débit
   d'alcool. Dans certains cas néanmoins, le département est obligé
   d'autoriser une nouvelle patente dans l'hypothèse de la démolition et
   de la reconstruction de l'immeuble ayant abrité un café.

    Parmi les 36 secteurs de la Ville de Genève, le département considère
les
   quartiers Nos 6, 7, 16, 17, 21, 22, 23 et 26 comme ayant un caractère
   touristique prononcé."

Erwägung 3

    3.- Se fondant sur une prétendue violation de l'art. 31 Cst.
garantissant la liberté du commerce et de l'industrie, la recourante
affirme en premier lieu que la mesure qui l'a frappée revêtirait en réalité
le caractère d'une mesure de politique économique au sens de l'art. 31ter
Cst., et non pas celui d'une mesure prise en fonction du bien-être public
au sens de l'art. 32quater Cst. C'est ainsi que la véritable raison du
refus que lui a opposé le Département "ne se trouverait nullement dans
des préoccupations tenant à la lutte contre l'alcoolisme mais bien dans
le nombre des établissements voisins", ce qui prouverait sans conteste
que la décision prise à son encontre l'aurait été afin de juguler la
concurrence excessive...

    ... Il résulte clairement de la décision de première instance du
4 mars 1980, comme aussi de la décision attaquée elle-même, que tant
le Département que le Tribunal administratif ont fondé leur refus
d'autorisation sur le seul art. 5 lettre c LADB, en relation expresse
avec l'art. 32quater Cst., la référence qu'ils ont faite au nombre des
établissements publics se trouvant dans le quartier et les secteurs
limitrophes n'ayant de toute évidence été faite en l'espèce que par
rapport à la lutte contre l'alcoolisme, à l'exclusion de toute autre
considération. Comme le relève avec pertinence le Département dans sa
réponse au recours, "l'application de la clause de besoin visant à lutter
contre l'alcoolisme suppose donc bien évidemment la prise en compte du
nombre des débits d'alcool déjà installés dans un certain périmètre, et
une appréciation des caractéristiques du secteur considéré, la question à
résoudre étant précisément celle de savoir si les débits d'alcool existants
répondent au besoin qui se manifeste dans le quartier concerné".

    Vouloir inférer autre chose des décisions rendues dans le cas
particulier par les instances intimées ... serait manifestement abusif
et irait nettement à l'encontre de la portée et du sens général que les
autorités en question ont voulu donner à leur refus d'autorisation, refus
qui n'avait pas d'autre but que d'empêcher une multiplication inconsidérée
des établissements publics habilités à servir des boissons alcooliques
dans le quartier des banques.

    Dans la mesure où il est recevable, ce premier moyen de la recourante
doit dès lors être écarté comme étant manifestement mal fondé.

Erwägung 4

    4.- A titre subsidiaire, la recourante s'en prend à la
constitutionnalité même de l'art. 5 lettre c LADB en affirmant que -
même considérée sous l'angle d'une mesure de police - la décision rendue
à son égard ne saurait être admise parce que prise sans base légale
valable. Partant d'une interprétation manifestement erronée de l'arrêt
Corsino publié aux ATF 95 I 118 ss, elle estime en effet qu'en se référant
"au nombre des établissements déjà existants dans la localité, la commune
ou le quartier", l'autorité cantonale aurait fait usage d'un critère que
le Tribunal fédéral aurait expressément déclaré contraire à l'art. 31 Cst.

    Or, il suffit de se reporter à l'arrêt en question pour constater qu'à
aucun moment il n'a été question de mettre hors la loi l'art. 5 lettre
c LADB, le Tribunal fédéral ayant uniquement critiqué dans son arrêt le
fait que le Conseil d'Etat genevois - qui était à l'époque compétent en la
matière - s'était borné à se référer globalement au nombre des débits de
boissons existant dans le canton sans faire porter son enquête, comme il
aurait dû le faire, sur une portion déterminée du territoire - localité,
commune ou quartier -, en tenant compte, en outre, des circonstances
locales qui y régnaient.

    De même, il tombe sous le sens qu'en enjoignant au Département de
rechercher si le nombre des établissements existants peut être augmenté
sans inconvénient, l'art. 5 lettre c LADB entend uniquement faire dépendre
d'un besoin au sens de la jurisprudence les autorisations à accorder,
compte tenu des critères d'appréciation résultant des caractéristiques
et des circonstances locales du secteur pris en considération. Il ne
s'agit donc nullement, en l'occurrence, d'un blanc-seing ("Blankettnorm")
contraire à l'art. 31 Cst., ainsi que voudrait le laisser entendre la
recourante, l'enquête effectuée par les autorités genevoises dans le cas
particulier démontrant au contraire que celles-ci s'en sont strictement
tenues aux principes jurisprudentiels fixés par l'arrêt Corsino de 1969,
ainsi que par les arrêts successifs du Tribunal fédéral, cités plus haut,
et du Tribunal administratif.

    Il en résulte que c'est à tort que la recourante cherche à mettre en
cause la constitutionnalité de l'art. 5 lettre c LADB, son argumentation
sur ce point ne résistant pas à l'examen et n'étant notamment pas à même
d'enlever à cette disposition son caractère d'instrument de lutte contre
l'alcoolisme fondé sur l'art. 32quater Cst.

Erwägung 5

    5.- Se référant au principe de la proportionnalité, la recourante fait
valoir en outre que ce serait un non-sens que de vouloir prétendre que
l'interdiction qui lui a été faite de débiter des boissons alcooliques
permettrait d'atteindre le but de lutte contre l'alcoolisme, tel qu'il a
été fixé par l'art. 32quater Cst., dès lors que deux autres établissements
situés à proximité du "Musée" sont, eux, en droit de vendre de telles
boissons.

    Indépendamment du fait que les restrictions pouvant être imposées aux
citoyens en vertu de l'art. 32quater Cst. et des dispositions cantonales
qui se réclament de cet article constituent des mesures de politique
sociale, et non des mesures de police au sens étroit, il est évident que
toute violation du principe de la proportionnalité ne peut dans ce domaine
se juger qu'en partant des circonstances de chaque cas particulier;
la recourante ne saurait donc se contenter de remettre en question le
principe même de l'efficacité et de la finalité de la clause de besoin
en tant qu'instrument de lutte contre l'alcoolisme. En effet, il s'agit
là manifestement d'options de nature politique sur lesquelles le Tribunal
fédéral n'a en principe pas à se prononcer, sauf si, dans les cas d'espèce,
les restrictions imposées aux citoyens désireux d'ouvrir un établissement
public apparaissent d'emblée disproportionnées par rapport au but à
atteindre ou encore que la décision prise l'a été de manière arbitraire
ou en violation manifeste du principe de l'égalité de traitement.

    Il faut en conclure que le grief de violation du principe de
la proportionnalité, tel qu'il a été formulé par la recourante, est
irrecevable dans la mesure où il implique, directement ou indirectement,
une mise en cause du principe même de la limitation du nombre des débits
d'alcool en tant qu'instrument de lutte contre l'alcoolisme.

    Quant à la question de savoir si, concrètement, la décision prise doit
être considérée comme disproportionnée par rapport au but à atteindre,
il convient de constater que les arguments soulevés à ce sujet par la
recourante se confondent pour l'essentiel avec celui d'inégalité de
traitement qu'elle invoque en se référant à la situation réservée à ses
concurrents directs à la rue de la Corraterie.

    C'est dès lors sous cet angle-là qu'il y a lieu d'examiner le problème.

Erwägung 6

    6.- Dans le cas particulier, la recourante se plaint du fait qu'en
accordant à deux de ses concurrents travaillant dans les mêmes conditions
qu'elle, c'est-à-dire au "Tea-room de la Corraterie" de M. Calloni et
au bar "Charleston", l'autorisation de débiter des boissons alcooliques,
les autorités genevoises n'auraient pas respecté le principe de l'égalité
de traitement entre concurrents découlant de l'art. 31 Cst.

    Or, ce faisant, la recourante ignore précisément le caractère
dérogatoire - ou de mesure d'exception à la liberté du commerce et de
l'industrie - que comporte à priori la clause de besoin en tant que mesure
fondée sur une disposition constitutionnelle propre. Il en résulte que les
autorités administratives cantonales jouissent en cette matière d'un large
pouvoir d'appréciation quant à la possibilité qu'elles ont de déterminer le
moment à partir duquel le besoin en débits de boissons doit être considéré
comme satisfait dans une localité ou dans un quartier déterminés.

    Pour apprécier si, dans un cas particulier, le principe de l'égalité
de traitement a été violé, il s'agira dès lors de se fonder uniquement sur
les conditions particulières d'octroi ou de non-octroi des autorisations
sollicitées dans chaque cas, en comparant, à cet effet, la situation
individuelle de chaque établissement.

    Dans la présente espèce, il n'est pas contesté que les deux
concurrents en question ont présenté leurs demandes de pouvoir débiter des
boissons alcooliques avant Marclaire S.A. Le Département et le Tribunal
administratif ayant admis que les besoins du quartier en débits d'alcool
étaient par là même couverts, la recourante ne saurait dès lors - en vertu
de la clause de besoin - se prévaloir d'une inégalité de traitement,
puisque le refus qui lui a été opposé l'a été de toute évidence dans
des conditions différentes, c'est-à-dire à un moment où précisément -
et contrairement à ce qui avait été le cas pour ses concurrents - le
nombre des débits d'alcool dans le quartier a été "jugé suffisant au
regard tant de la population résidente que des mouvements migratoires
des travailleurs fréquentant le quartier pendant la semaine".

    Il en résulte que la situation en vertu de laquelle a été tranchée la
requête de la recourante n'était plus la même que celle qui existait lors
de l'examen des requêtes présentées par ses concurrents, ce qui exclut
en l'espèce toute violation du principe de l'égalité de traitement.