Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 107 IA 206



107 Ia 206

42. Arrêt de la Ire Cour de droit public du 2 décembre 1981 dans la
cause D. c. Chambre d'accusation du canton de Genève (recours de droit
public) Regeste

    Art. 4 BV; Willkür.

    Die Einziehung der im Hinblick auf eine vorläufige Freilassung
geleisteten Sicherheiten ist unzulässig, wenn sie nach Beginn des
Strafvollzuges erfolgt (E. 2).

    Kein treuwidriges Handeln des Verurteilten, wenn er die Freigabe
der Kaution verlangt, nachdem er im Laufe des Strafvollzuges die Flucht
ergriffen hat (E. 3).

Sachverhalt

    A.- Détenu préventivement à Genève sous l'inculpation de diverses
infractions contre le patrimoine, le Français D. a été mis en liberté
provisoire le 30 octobre 1979, moyennant versement d'une caution de
100'000 fr. Le 21 octobre 1980, la Cour d'assises du canton de Genève
l'a condamné, pour escroquerie par métier, à 5 ans de réclusion, 1'000
fr. d'amende et 10 ans d'expulsion du territoire suisse. D. se trouvait
alors à nouveau en détention préventive depuis près d'un mois, pour les
besoins d'une seconde instruction ouverte contre lui. Le 4 novembre 1980,
sa détention préventive a pris fin et il a alors commencé formellement à
exécuter la peine prononcée contre lui par la Cour d'assises. Profitant
d'un congé, D. a quitté la Suisse le 11 janvier 1981; il n'a pas réintégré
l'établissement pénitentiaire depuis lors.

    Le 14 janvier 1981, le procureur général du canton de Genève a ordonné
la contrainte des sûretés déposées le 30 octobre 1979 - lesquelles,
frappées d'un séquestre au sens des art. 271 ss LP, n'avaient pas été
libérées précédemment - et leur dévolution à l'Etat de Genève, sous
réserve d'un montant de 1'000 fr. affecté au paiement de l'amende. D. a
recouru contre cette décision auprès de la Chambre d'accusation du canton
de Genève. Cette dernière a, par ordonnance du 2 juillet 1981, rejeté le
recours. Laissant ouverte la question de savoir s'il était admissible,
au regard de la loi, de ne pas restituer les sûretés au condamné qui
a commencé à exécuter sa peine, elle a considéré qu'en l'occurrence,
la mauvaise foi de D. justifiait une telle solution.

    Agissant par la voie du recours de droit public, D. demande au
Tribunal fédéral principalement d'annuler l'ordonnance précitée et de
renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau,
subsidiairement d'annuler la décision du procureur général du 14 janvier
1981 et de dire que la caution est dégagée depuis le 22 septembre 1980. Il
invoque une violation de l'art. 4 Cst. en faisant valoir que la décision
entreprise est arbitraire à un double point de vue: d'une part, le refus
de l'autorité cantonale de statuer sur la correcte application du droit
cantonal constituerait à ses yeux un déni de justice formel, d'autre part,
l'application au cas présent du principe de la bonne foi reposerait,
selon lui, sur des considérations manifestement insoutenables.

    Dans ses observations, le procureur général du canton de Genève
conclut au rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) En tant qu'il est dirigé principalement contre l'ordonnance
de la Chambre d'accusation, le recours est recevable. En revanche,
dans la mesure où il tend subsidiairement à l'annulation de la décision
du procureur général, il est irrecevable, étant donné que l'autorité
cantonale de recours a statué avec un plein pouvoir d'examen (ATF 106
Ia 55 consid. 2; 104 Ia 83 consid. 2b, 136 consid. 2a, 204 consid. 1b et
arrêts cités).

    b) En outre, sous réserve d'exceptions dont les conditions ne sont
pas réalisées en l'espèce, le recours de droit public ne peut tendre
qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 106 Ia 54 consid. 1;
105 Ia 28 consid. 1; 104 Ia 32 consid. 1 et renvois). Les conclusions du
recourant qui sortent de ce cadre, notamment celles qui tendent à ce que
le Tribunal fédéral donne des injonctions positives à l'autorité cantonale,
sont ainsi irrecevables.

Erwägung 2

    2.- Il convient de relever préliminairement que les sûretés déposées
par le recourant pour sa mise en liberté provisoire n'ont pas été
dégagées lorsque celui-ci a commencé à exécuter sa peine, comme elles
doivent normalement l'être d'office. Il est toutefois sans intérêt pour
la présente procédure de s'interroger sur les raisons pour lesquelles tel
n'a pas été le cas. On retiendra seulement ici que cette circonstance a
permis au procureur général d'ordonner la contrainte desdites sûretés en
cours d'exécution de la peine. On remarquera à ce propos que l'autorité
cantonale ne se prononce pas sur la légalité de cette mesure dans une
telle hypothèse et qu'elle laisse la question ouverte. La Cour de céans
doit toutefois examiner en premier lieu si les conditions posées par la
loi pour contraindre les sûretés sont remplies dans le cas particulier.

    a) Les dispositions qui définissent le but et la nature des sûretés en
droit genevois figurent au titre deuxième du Code de procédure pénale du 29
septembre 1977 (CPP gen.), qui traite de la "Recherche des infractions et
de leurs auteurs". Elles sont comprises dans le chapitre III de ce titre
consacré à l'instruction préparatoire, et dans sa section 6 intitulée
"Mise en liberté". Ainsi, selon l'art. 155, la mise en liberté provisoire
peut être accordée à un inculpé détenu préventivement moyennant sûretés
ou obligations; l'art. 156 al. 1 précise pour sa part que les sûretés ont
pour but de garantir la présence de l'inculpé aux actes de la procédure et
sa soumission au jugement. Il ressort du texte même de ces dispositions
et de l'emplacement qu'elles occupent dans la systématique de la loi que
la mise en liberté sous caution est une institution spécifiquement liée à
la détention préventive. Considérée comme un succédané de cette dernière,
elle constitue un cas d'application du principe de la proportionnalité,
en vertu duquel le maintien en détention pour les besoins de l'instruction
représente l'ultima ratio. Bien qu'il puisse entraîner des inégalités de
traitement entre prévenus selon leur situation économique, le principe même
des sûretés destinées à garantir la comparution ultérieure de l'inculpé
devant l'autorité de jugement est largement admis dans la doctrine et la
jurisprudence (voir ATF 105 Ia 187 consid. 4; arrêt de la Cour européenne
Wemhoff du 27 juin 1968, in Annuaire 1968, p. 807 par. 15; avis de la
Commission européenne du 5 décembre 1979, in SJ 1980 p. 586; G. ZIRILLI,
Problèmes relatifs à la détention préventive, thèse Lausanne 1975 p. 29;
CHRISTIAN NILS ROBERT, La détention préventive en Suisse romande et
notamment à Genève, p. 84 ss).

    b) Il découle de sa nature de succédané de la détention préventive
que la caution ne peut être exigée que si et aussi longtemps qu'il existe
un motif de détention préventive (ATF 95 I 204; SJ 1976 p. 186). Par
conséquent, elle doit être libérée dès qu'elle n'a plus sa raison d'être,
c'est-à-dire lorsque les actes de procédure dont elle devait assurer le
déroulement ont été exécutés et que le risque qu'elle avait pour but de
prévenir a ainsi disparu (cf. FRANÇOIS CLERC, Initiation à la justice
pénale en Suisse, p. 174). Les dispositions régissant la libération
et l'exécution des sûretés font directement suite, dans le Code de
procédure genevois, à celles dont il a été question ci-dessus. L'art. 161,
en particulier, prescrit que les sûretés sont dégagées si la liberté
provisoire prend fin, ou en cas de classement, de non-lieu, d'acquittement,
d'absolution, de décès, ou lorsque l'inculpé s'est présenté aux actes de
procédure pour l'exécution du jugement. Cette règle trouve son équivalent
notamment à l'art. 57 PPF, qui précise que les sûretés sont dégagées
lorsque la détention ne se justifie plus. D'autres codes de procédure
cantonaux contiennent des dispositions analogues (voir notamment en ce qui
concerne le Code de procédure bernois, M. WAIBLINGER, Das Strafverfahren
des Kantons Bern, ad art. 132, p. 209 ss). Le but de la loi genevoise sur
ce point ne comporte de la sorte aucune équivoque. Aussi a-t-on quelque
peine à comprendre les hésitations exprimées par l'autorité cantonale
au sujet de la portée exacte de la caution, en particulier sa référence
à un "usage genevois" en la matière. Le texte de la loi, de même que
les conceptions communément admises à cet égard, devaient l'amener à la
conclusion que la caution n'a d'autre but que de garantir la comparution
ultérieure du prévenu aux actes de la procédure pour l'exécution du
jugement, mais qu'elle ne vise en revanche pas à assurer l'exécution
complète de la peine à laquelle ce dernier pourrait être condamné.

    c) Il appert en l'espèce que le recourant, en se présentant tout
d'abord à l'audience de jugement puis en commençant, à sa demande,
l'exécution de sa peine, a accompli toutes les obligations légales dont le
dépôt de la caution devait garantir l'exécution. Le séquestre intervenu
entre-temps ne changeait en soi rien au sort que les dispositions de
procédure pénale réservent aux sûretés, une fois que leur but a été
atteint. Pour être admissible, la mesure de contrainte ordonnée par
le procureur général en raison de la fuite ultérieure du recourant
eût impliqué que la garantie offerte par le dépôt de la caution portât
également sur l'exécution de la peine. Or, aucun motif tiré de la loi
n'autorise une telle extension de l'usage de la caution. On chercherait en
vain une disposition permettant au procureur général de s'opposer, comme
il l'a fait dans la présente espèce, à la libération de la caution après
le début de l'exécution de la peine. C'est à tort, notamment, que dans ses
observations sur le recours de droit public, ce dernier fait appel au texte
de l'art. 162 al. 1 CPP gen. Certes, cette disposition déclare les sûretés
exécutoires si l'inculpé se soustrait systématiquement à l'exécution du
jugement. Elle doit cependant être mise en relation avec les art. 156
et 161 CPP gen., qui définissent respectivement le but des sûretés et le
moment de leur libération. En aucun cas, sa portée ne saurait s'étendre
au-delà de ces limites légales. Une interprétation extensive de l'art. 162
al. 1 CPP gen. serait manifestement insoutenable. Elle conduirait en effet
à admettre la possibilité de bloquer, pendant toute la durée de l'exécution
d'une peine, des sûretés qui, pour une raison quelconque, n'auraient
pas été libérées à la fin de la détention préventive. Cela reviendrait
à introduire un but étranger à celui que le législateur genevois a voulu
atteindre en instituant la mise en liberté sous caution. Sous cet angle,
la décision de l'autorité cantonale confirmant celle du procureur général,
viole les dispositions claires de la loi cantonale et ne peut, dès lors,
être maintenue.

Erwägung 3

    3.- Il reste cependant à voir si, comme le retient l'autorité
cantonale, la libération des sûretés que réclame le recourant se heurte,
en l'espèce, au principe de la bonne foi. Selon l'ordonnance déférée,
en effet, le recourant, en voulant s'opposer à la décision du procureur
général alors même qu'il se trouve en fuite et se soustrait ainsi
systématiquement à l'exécution de sa peine, commettrait un abus de droit.

    a) Il convient tout d'abord de relever que l'autorité cantonale,
lorsqu'elle reproche au recourant son comportement abusif, se réfère au
moment où ce dernier a pris la fuite, soit postérieurement à la date de sa
seconde mise en liberté provisoire, destinée à lui permettre de subir sa
peine. En revanche, elle n'affirme nulle part qu'il aurait manifesté une
attitude contraire à la bonne foi déjà au moment du début de l'exécution
de la peine, lorsque la libération des sûretés aurait dû normalement avoir
lieu. Or, à ce moment-là, ainsi qu'il a été dit plus haut, les obligations
que la caution était destinée à garantir, conformément à l'art. 156 CPP
gen., avaient toutes été exécutées par le recourant. L'abus de droit
que retient l'autorité cantonale se rapporte donc exclusivement à la
violation d'une obligation ultérieure, à savoir l'exécution effective
de la peine, qui se distingue des précédentes par sa nature et dont la
caution n'est pas destinée à garantir l'accomplissement. Le principe de
la bonne foi ancré à l'art. 2 CC et étendu par le Tribunal fédéral, dans
sa jurisprudence relative à l'art. 4 Cst., à l'ensemble des domaines du
droit et en particulier à la procédure civile et pénale (ATF 104 IV 94
consid. 3a; 102 Ia 579 consid. 6; 101 Ia 44 consid. 3; ROBERT HAUSER,
Kurzlehrbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, p. 139), ne saurait
cependant avoir une application toute générale, mais doit au contraire
se rapporter à l'exécution d'une obligation déterminée. A cet égard déjà,
la façon de voir de l'autorité cantonale est erronée.

    b) Mais c'est surtout en ce qu'elle méconnaît le sens et les fondements
mêmes du principe de la bonne foi et de son corollaire l'interdiction de
l'abus de droit que la décision attaquée est insoutenable. On rappellera
que d'une manière générale, le principe de la bonne foi ne peut primer
celui de la légalité et donner au juge le pouvoir de modifier comme il
l'entend la loi ou d'en faire purement abstraction (KATHARINA SAMELI, Treu
und Glauben im öffentlichen Recht, RDS vol. 96 (1977), t. II, p. 312). En
particulier, la référence au principe de la bonne foi ne permet pas au juge
d'introduire dans le droit toutes sortes de postulats d'éthique sociale
que le législateur n'a pas voulu y insérer. Pour les droits dérivant
directement de la loi, la détermination de leur contenu selon les règles
de la bonne foi se rapproche d'une interprétation téléologique de la règle
légale correspondante, l'angle de vue de la confiance ne pouvant modifier
fondamentalement le résultat (HENRI DESCHENAUX, Titre préliminaire
du Code civil, p. 143). Bien plus, lorsque le but d'une disposition
légale est défini clairement ou qu'il revêt un caractère absolu, comme
c'est le cas des règles de procédure, il n'y a normalement pas place
pour une adaptation au cas particulier sous le signe de la bonne foi
(DESCHENAUX, ibidem). Quant à la règle prohibant l'abus de droit, elle
autorise certes le juge à corriger les effets de la loi dans certains
cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste
(MERZ, Kommentar n. 21 ad art. 2 CC). Toutefois, son application doit
demeurer restrictive et se concilier avec la finalité, telle que l'a
voulue le législateur, de la norme matérielle applicable au cas concret
(MERZ, Kommentar n. 55-58; DESCHENAUX, op.cit., p. 144). Ainsi, pour être
qualifié d'abusif, l'exercice d'un droit doit aller à l'encontre du but
même de la disposition légale qui le consacre, de telle sorte que l'écart
entre le droit exercé et l'intérêt qu'il est censé protéger soit manifeste
(DESCHENAUX, ibidem). En définitive, l'application des règles de la bonne
foi ne saurait en aucun cas servir à vider la loi de sa substance et à
réaliser des objectifs que le législateur, conscient des divers intérêts
qu'il avait à prendre en considération, n'a pas voulu atteindre.

    c) Dès lors que le dépôt des sûretés n'a pas pour but de garantir
l'exécution de la peine, mais uniquement d'assurer la participation du
prévenu à l'instruction et à l'audience de même que son incarcération en
cas de condamnation à une peine ferme, l'autorité cantonale ne pouvait,
au regard des principes rappelés ci-dessus, s'appuyer sur le comportement
jugé contraire à la bonne foi du recourant en cours d'exécution de la peine
pour contraindre les sûretés. Elle était d'autant moins fondée à le faire
que celles-ci auraient dû être antérieurement libérées. Sa décision est
ainsi entachée d'arbitraire. Le recours de droit public doit donc être
admis et la décision attaquée annulée, les droits des créanciers quant à
la réalisation du séquestre sur le plan civil étant au demeurant réservés.

Entscheid:

             Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet le recours dans la mesure où il est recevable et annule la
décision attaquée.