Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 106 IA 404



106 Ia 404

66. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 23 avril 1980
en la cause N. contre Chambre d'accusation du canton de Genève (recours
de droit public) Regeste

    Untersuchungshaft; provisorische Haftentlassung. Art. 27 GE-KV,
Art. 5 Ziff. 3 EMRK.

    Die Schwere des zu beurteilenden Deliktes allein vermag eine
Haftverlängerung nach Abschluss der gegen den Beschuldigten geführten
Untersuchung nicht zu rechtfertigen. Hinzutreten muss ein besonderer
Haftgrund, wie namentlich die Gefahr der Wiederholung, der Kollusion oder
der Flucht.

Sachverhalt

    A.- N. a été arrêté à Genève le 27 avril 1979 pour avoir participé,
en compagnie de trois autres personnes, à une attaque à main armée
contre une station-service. Il a été inculpé de vol, de vol d'usage et
de brigandage. La Chambre d'accusation a autorisé la prolongation de sa
détention à quatre reprises dès le 4 mai 1979; elle a également rejeté
plusieurs demandes de mise en liberté provisoire formées par l'inculpé.

    L'instruction ouverte contre N. a été officiellement terminée le 30
août 1979. Par requête du 25 janvier 1980, celui-ci a sollicité à nouveau
sa mise en liberté provisoire, qui a été refusée. La Chambre d'accusation
a considéré que la gravité de l'infraction dont doit répondre le prévenu
est telle qu'elle fait obstacle à une mise en liberté provisoire,
la détention n'étant pas disproportionnée par rapport à la nature des
actes commis.

    Saisi d'un recours de droit public formé par N., le Tribunal fédéral
l'a admis et a ordonné la mise en liberté provisoire de N.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Extrait des motifs:

Erwägung 3

    3.- Selon l'art. 27 de la Constitution genevoise (Cst. gen.),
dont les termes sont repris par l'art. 154 CPP, la mise en liberté ne
peut être refusée que si: a) la gravité de l'infraction l'exige; b)
les circonstances font penser qu'il y a danger de fuite, de collusion,
de nouvelle infraction; c) l'intérêt de l'instruction l'exige.
   ...

Erwägung 4

    4.- Dans l'arrêt S. contre Chambre d'accusation et procureur général
du canton de Genève, du 8 août 1978, le Tribunal fédéral a déclaré
qu'il pouvait se dispenser d'examiner si la gravité de l'infraction
est suffisante à elle seule pour justifier le maintien de la détention
préventive, ou s'il doit s'y ajouter la réalisation d'une autre des
conditions énumérées à l'art. 27 lettres b et c Cst. gen.; en effet,
dans ce cas, le risque de fuite et le danger de réitération avaient
aussi été retenus, avec raison, et l'instruction n'était d'ailleurs pas
terminée. D'autre part, dans l'arrêt du 19 décembre 1979 concernant le
même détenu, le Tribunal fédéral a relevé - mais en passant et sans avoir
non plus à trancher la question pour la solution du cas - que "le simple
fait de la gravité de l'infraction, sans qu'il y ait risque de fuite,
de collusion, de réitération ou sans que le maintien en détention soit
commandé par les besoins de l'instruction, ne serait sans doute pas
suffisant pour autoriser ce maintien".

    Dans la présente affaire, où seule subsiste, parmi les motifs énumérés
à l'art. 27 Cst. gen., la gravité de l'infraction, l'examen de cette
question ne peut plus être évité.

    a) La Chambre d'accusation et le procureur général estiment que les
conditions de l'art. 154 CPP (qui sont les mêmes que celles de l'art. 27
Cst. gen.) ne sont pas cumulatives et que l'existence d'une seule d'entre
elles suffit pour justifier la prolongation de la détention. Le recourant
estime au contraire que la gravité de l'infraction ne suffit pas à elle
seule pour justifier cette mesure.

    Pour résoudre cette question, il faut prendre aussi en considération
la portée des droits protégés par la convention européenne. En énumérant
ces droits, ladite convention reprend à son compte et développe des
dispositions que les constitutions de nombreux Etats contiennent ou que les
Etats membres reconnaissent comme droits constitutionnels non écrits. Les
droits protégés par la convention européenne doivent donc être définis en
relation avec les droits individuels de notre droit constitutionnel écrit
et non écrit. Le point de savoir si la prolongation de la détention du
recourant se justifie doit donc être examiné à la lumière de la garantie
de la liberté personnelle découlant du droit constitutionnel fédéral,
mais il doit aussi s'apprécier en fonction des garanties accordées par
la convention européenne (ATF 105 Ia 29 consid. 2b; 102 Ia 381 consid. 2
et les arrêts cités).

    b) Les deux dispositions de la convention européenne dont le recourant
allègue la violation prévoient que "nul ne peut être privé de sa liberté
sauf... s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit à l'autorité
judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner
qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de
croire à la nécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de
s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci" (art. 5 par. 1 lettre c)
et que "toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions prévues
au paragraphe 1c du présent article... a le droit d'être jugée dans un
délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure" (art. 5 par. 3).

    Selon la jurisprudence de la Cour européenne, la disposition
de l'art. 5 par. 3 CEDH ne peut pas être comprise comme offrant aux
autorités judiciaires une option entre la mise en jugement dans un délai
raisonnable et une mise en liberté provisoire, fût-elle subordonnée à des
garanties. L'objet de cette disposition est essentiellement d'imposer
la mise en liberté provisoire du moment où le maintien en détention
cesse d'être raisonnable (arrêt Neumeister du 27 juin 1968, en droit,
consid. 4 p. 37). Pour apprécier si, dans un cas déterminé, la détention
d'une personne accusée ne dépasse pas la limite raisonnable, il importe
de rechercher toutes les circonstances de nature à faire admettre - ou
à faire écarter - l'existence d'une véritable exigence d'intérêt public
justifiant une dérogation à la règle du respect de la liberté individuelle
(même arrêt, consid. 5).

    En ce qui concerne le danger de fuite, la Cour européenne a déclaré
que si la gravité de la peine à laquelle l'accusé peut s'attendre en cas
de condamnation peut être légitimement retenue comme de nature à l'inciter
à fuir... l'éventualité d'une condamnation sévère ne suffit pas à cet
égard (arrêt Wemhoff du 27 juin 1968, en droit, consid. 14 p. 25) et que,
lorsque le maintien en détention n'est plus motivé que par la crainte
de voir l'accusé se soustraire par la fuite à sa comparution ultérieure
devant la juridiction de jugement, la libération provisoire doit être
ordonnée s'il est possible d'obtenir de lui des garanties assurant cette
comparution (même arrêt, consid. 15).

    c) Il est vrai que la gravité de l'infraction et, partant, la gravité
de la peine à laquelle l'accusé peut s'attendre en cas de condamnation,
permet souvent de faire craindre un risque de fuite; parfois aussi, le
caractère dangereux de l'inculpé, révélé par la gravité de l'infraction,
peut faire craindre un danger de réitération. Mais des risques abstraits
ne suffisent pas; l'éventualité d'une fuite pour échapper à une poursuite
pénale existe en soi dans toute procédure pénale (cf. ATF 102 Ia 381
consid. 2a; 95 I 242). Il ne suffit pas que la fuite soit objectivement
possible; il faut encore que le risque de voir le condamné se soustraire
à une poursuite pénale ou à l'exécution d'une peine présente une
certaine vraisemblance (cf. ATF 95 I 242). Or, en l'espèce, la Chambre
d'accusation a reconnu qu'un risque concret de fuite n'existait pas, "au
vu des explications données et de la situation du prévenu" (ordonnance du 7
septembre 1979). Elle n'a d'autre part jamais retenu formellement un risque
de réitération qui découlerait du caractère dangereux de N. (lequel est
un délinquant primaire, selon les déclarations contenues dans son recours
et non contestées par la Chambre d'accusation ou par le procureur général).

    Comme l'instruction est terminée en ce qui concerne N., le maintien du
recourant en détention préventive équivaut pratiquement à une exécution
anticipée de la peine, et c'est bien ainsi que l'entendent implicitement
la Chambre d'accusation et le procureur général, qui relèvent tous deux
qu'il n'y a pas de disproportion entre la durée de la détention et la
peine à laquelle le recourant peut s'attendre.

    Or l'exécution anticipée de la peine, là où elle est prévue par le
droit cantonal, est subordonnée au consentement exprès de l'inculpé
(cf. ATF 104 Ib 27 consid. 3a); sans un tel consentement, elle est
inadmissible; elle équivaudrait en effet à la violation du principe de
la présomption d'innocence, garanti par l'art. 6 par. 2 CEDH.

    Ainsi la gravité de la faute, lorsqu'elle n'est pas accompagnée
d'une des autres conditions énumérées aux art. 27 Cst. gen. et 154 CPP,
notamment d'un danger concret de réitération, de collusion ou de fuite,
ne suffit pas à elle seule à justifier, après la fin de l'instruction,
la prolongation de la détention préventive.

    Dans ces conditions, le recours doit être admis et les décisions
attaquées annulées, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si, comme le
prétend le recourant, la gravité de l'infraction est tempérée en l'espèce
par des raisons subjectives particulières.