Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 106 IA 214



106 Ia 214

40. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public du 30 avril
1980 dans la cause Temeltasch c. Tribunal correctionnel du district
du Val-de-Travers et Cour de cassation pénale du canton de Neuchâtel
(recours de droit public) Regeste

    Art. 6 Ziff. 3 lit. e EMRK: Recht auf unentgeltlichen Beizug eines
Dolmetschers.

    Die auslegende Erklärung des Bundesrates zu Art. 6 Ziff. 3 lit. e
EMRK bedeutet einen formellen Vorbehalt; sie wurde unter Beachtung der
Vorschriften des Art. 64 EMRK abgegeben und wirkt somit gleich wie ein
Vorbehalt.

Sachverhalt

    A.- Le 5 décembre 1978, Oktay Börkçu et Alparslan Temeltasch
quittèrent les Pays-Bas avec leur véhicule automobile respectif. Parvenus
à Pontarlier, ils laissèrent la voiture de Börkçu et continuèrent leur
route avec celle de Temeltasch. A la frontière suisse, les douaniers du
poste des Verrières trouvèrent 9 grammes de haschisch dans le porte-clés
de Temeltasch et une quantité de 63 grammes d'héroïne cachée derrière le
tableau de bord de sa voiture.

    A la suite de ces faits, Börkçu fut condamné par le Tribunal
correctionnel du district du Val-de-Travers, le 5 juin 1979, à 32 mois
de réclusion, sous déduction de 182 jours de détention préventive, et
à 15 ans d'expulsion du territoire suisse; les frais de justice furent
également mis à sa charge, à concurrence de 5912 fr. Quant à Temeltasch,
le Tribunal correctionnel le libéra des fins de la poursuite pénale,
par jugement du même jour. Il considéra en effet que Temeltasch était
de bonne foi lorsqu'il prétendait avoir ignoré la présence de drogues
dans son véhicule. Cependant, les premiers juges estimèrent qu'il avait
"commis certaines négligences un peu lourdes" et avait laissé se créer
un état de fait qui pouvait être dangereux pour lui, apparaissant ainsi
avoir "donné lieu à la poursuite pénale", au sens de l'art. 90 du code
de procédure neuchâteloise (CPP); en conséquence, ils le condamnèrent au
paiement d'une partie des frais de justice fixée à 500 fr.

    Temeltasch s'est pourvu en cassation auprès de la Cour de cassation
pénale du canton de Neuchâtel. Il a recouru uniquement contre sa
condamnation à une partie des frais, en soutenant que selon l'art. 90 CPP
les frais de justice ne peuvent être mis à la charge du prévenu libéré
qu'exceptionnellement et si l'équité l'exige; il invoquait d'autre
part l'art. 6 § 3 lettre e de la convention européenne des droits de
l'homme (CEDH), selon lequel un accusé a le droit de se faire assister
gratuitement d'un interprète lorsqu'il ne comprend pas ou ne parle pas
la langue employée à l'audience.

    Par arrêt du 10 octobre 1979, la Cour de cassation pénale a rejeté
le recours de Temeltasch. Elle a considéré en bref que les conditions
d'application de l'art. 90 CPP étaient réalisées en l'espèce et qu'au
sujet de l'art. 6 § 3 lettre e CEDH, il y avait lieu de s'en tenir
à la déclaration interprétative du Conseil fédéral, selon laquelle la
garantie de l'assistance d'un interprète ne libère pas définitivement le
bénéficiaire du paiement des frais qui en résultent.

    Agissant par la voie du recours de droit public, Alparslan Temeltasch a
requis le Tribunal fédéral d'annuler le jugement du Tribunal correctionnel
du district du Val-de-Travers, ainsi que l'arrêt de la Cour de cassation
pénale, dans la mesure où il a été condamné à payer une partie des frais
judiciaires.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Extrait des motifs:

Erwägung 4

    4.- Le recourant prétend que, dans l'éventualité où l'application de
l'art. 90 CPP puisse être admise, il serait de toute façon contraire à
l'art. 6 § 3 lettre e CEDH de lui imposer les frais d'interprète.

    a) L'art. 6 § 3 lettre e CEDH reconnaît à l'accusé qui ne comprend
pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience, le droit de se faire
assister gratuitement d'un interprète. Le principe même du concours d'un
interprète pour assurer la défense d'une personne accusée, à laquelle
la langue du procès est étrangère, n'est pas en cause, puisque la
quasi-totalité des procédures pénales cantonales prévoit l'assistance
d'un interprète à l'un ou l'autre stade de l'information judiciaire et
que l'assistance d'un interprète s'impose de toute façon en vertu du droit
d'être entendu (STEFAN TRECHSEL, Die europäische Menschenrechtskonvention
p. 345 lettre d). Seule la question de la gratuité de cette assistance
est donc litigieuse dans le présent cas.

    Cette question de la gratuité s'est posée également à propos de
l'art. 6 § 3 lettre c, prévoyant que l'accusé qui n'a pas les moyens
de rémunérer un défenseur a le droit d'être assisté gratuitement par
un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent. A cet
égard, le Conseil fédéral a, en 1968 déjà, proposé aux Chambres fédérales
de déposer une déclaration interprétative de l'art. 6 § 3 lettres c et e
CEDH, étant donné qu'il y avait divergence entre la législation interne et
la Convention au sujet de la gratuité. Il a en effet souligné que quelques
droits cantonaux ne connaissent pas soit le droit à l'assistance gratuite
d'un avocat d'office, soit le principe de la gratuité de l'interprète, la
pratique consistant à mettre les frais de la cause dans leur totalité à la
charge du condamné, et qu'il en va d'ailleurs de même dans la procédure
pénale fédérale (art. 98 et 245 PPF). Il estimait alors que les droits
de l'accusé sont suffisamment sauvegardés dans la mesure où il n'est pas
contraint d'avancer les frais pour un avocat d'office ou un interprète
(Rapport à l'Assemblée fédérale du 9 novembre 1968, FF 1968 II p.
1121/1122). En 1972, le Conseil fédéral maintenait cet avis (Rapport
complémentaire à l'Assemblée fédérale du 23 février 1972, FF 1972 I 995
ch. 6); de même en 1974 (Rapport à l'Assemblée fédérale du 4 mars 1974,
FF 1974 I 1034-1035), en rappelant la jurisprudence du Tribunal fédéral
selon laquelle le droit à l'assistance judiciaire, tel qu'il découle de
l'art. 4 Cst., ne libère la partie indigente que de l'obligation d'avancer
ou de garantir les frais judiciaires et les dépens de la partie adverse et
qu'il ne lui confère pas le droit d'être libéré définitivement de ces frais
(ATF 97 I 630). Il a, dès lors, constaté que la gratuité de l'assistance
d'un interprète n'est pas expressément reconnue en droit suisse où, le
plus souvent, l'indemnité versée à l'interprète suit les frais de la cause
et peut être mise à la charge du condamné. Ces considérations ont amené
le Conseil fédéral à émettre, lors de la ratification de la Convention,
la déclaration suivante:

    "Le Conseil fédéral suisse déclare interpréter la garantie de la
gratuité
   de l'assistance d'un avocat d'office et d'un interprète figurant
   à l'art. 6 § 3 litt. c et e de la convention comme ne libérant pas
   définitivement le bénéficiaire du paiement des frais qui en résultent"
   (Arrêté fédéral du 3 octobre 1974 approuvant la CEDH, RO 1974 II 2148).

    b) Comme on l'a vu, le Conseil fédéral avait proposé de faire une
déclaration interprétative "afin d'éviter toute contestation possible et
vu l'absence de jurisprudence de la Commission sur ce point" (FF 1968 II
1122). Or, l'arrêt Luedicke, Bekacem et Koç, rendu par la Cour européenne
le 28 novembre 1978, a levé toute équivoque quant à la portée de l'art. 6
§ 3 lettre e. Selon cet arrêt, le mot "gratuitement" signifie non pas
une remise sous condition ou une exemption temporaire ou une suspension
(dans notre droit une libération d'avancer les frais), mais une dispense
ou une exonération définitive. Cette garantie comporte pour quiconque,
quelle que soit sa situation financière, ne parle ou ne comprend pas la
langue employée à l'audience, le droit d'être assisté gratuitement d'un
interprète sans qu'on puisse lui réclamer après coup le paiement des
frais résultant de cette assistance, et cela pour tous les actes de la
procédure engagée contre lui.

    Il faut en premier lieu relever que si cette jurisprudence paraît
exacte, elle a été rendue à l'égard de la République fédérale d'Allemagne,
Etat qui n'avait émis ni réserve, ni déclaration interprétative au sujet
de l'art. 6 § 3 lettre e CEDH. Il appartient dès lors au Tribunal fédéral
d'examiner quel sens les autorités suisses attribuaient à la déclaration
interprétative.
   c) L'art. 64 CEDH est ainsi libellé:

    "1. Tout Etat peut, au moment de la signature de la convention ou du
   dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au
   sujet d'une disposition particulière de la Convention, dans la mesure
   où une loi alors en vigueur sur son territoire n'est pas conforme à
   cette disposition.

    Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées, aux termes du
   présent article.

    2. Toute réserve émise conformément au présent article comporte un bref
   exposé de la loi en cause."

    La Suisse n'ayant pas fait de réserve proprement dite, il y a lieu
d'examiner si la déclaration interprétative du Conseil fédéral peut, en
l'occurrence, avoir la même portée qu'une réserve. A cet égard, WILDHABER
considère que les déclarations interprétatives doivent être en principe
assimilées à des réserves, dans la mesure où cela correspond à la volonté
de l'Etat signataire et qu'elles ont été formulées conformément à cette
volonté (Erfahrungen mit der EMRK, RDS 1979 II, p. 375). Or, les motifs
qui ont inspiré le Conseil fédéral et les Chambres fédérales à émettre
la déclaration, soit essentiellement la non-conformité du droit interne
fédéral et cantonal avec les exigences possibles de l'art. 6 § 3 lettre e
de la Convention, permettent d'affirmer que, pour les autorités suisses,
la déclaration interprétative avait le sens d'une réserve. Ainsi, lors
du débat au sujet de la ratification de la Convention devant le Conseil
national, alors qu'il n'y avait pas encore de jurisprudence de Strasbourg
au sujet de l'art. 6 § 3 lettre e CEDH, le conseiller fédéral Graber
déclarait que "là où il y a incompatibilité entre la Convention et notre
droit interne, nous faisons des réserves, où il s'agit d'une question
d'interprétation, une déclaration interprétative" (BO CN 1974 p. 1489). Le
rapporteur de la Commission du Conseil des Etats, M. Hefti, s'est exprimé
encore plus clairement au sujet des déclarations émises par le Conseil
fédéral sur l'art. 6 § 3 lettres c et e: "Die auslegenden Erklärungen sind
Vorbehalten gemäss Artikel 64 der Konvention gleichzusetzen" (BO CE 1974
p. 379). Il est donc évident que la Suisse entendait limiter la portée
de cette disposition et que si elle avait adhéré à la convention après
l'arrêt Luedicke, elle aurait émis une réserve formelle. Reste à savoir
si la déclaration en cause remplit les exigences prévues par l'art. 64
CEDH, exigences qu'elle devrait respecter, dès lors qu'elle a le même
effet qu'une réserve.

    La doctrine est divisée sur ce point. BRÄNDLE (Vorbehalte und
auslegende Erklärungen zur EMRK, thèse Zurich 1978, p. 93, 112-115)
considère que, faute de satisfaire aux conditions de forme d'une réserve,
la déclaration du Conseil fédéral est inopérante. Cette opinion est
contestée par WILDHABER (op.cit. p. 375), lequel estime qu'une réserve
est "générale", au sens de l'art. 64 al. 1 in fine CEDH, lorsqu'elle ne se
rapporte pas à une disposition déterminée de la Convention ou lorsqu'elle
est incompatible avec l'objet et le but de la Convention. Ainsi,
l'obligation faite à l'art. 64 al. 2 CEDH d'exposer brièvement en quoi
consiste la loi interne concernée par la réserve ne serait qu'une simple
prescription de forme, car on ne saurait exiger d'un Etat fédéral qu'il
fasse l'énumération détaillée de toutes ses sources de droit cantonal et,
le cas échéant, de droit communal.

    En l'occurrence, le Tribunal fédéral ne peut que se rallier à l'opinion
de WILDHABER, tant il est évident que les autorités suisses auraient eu
certaines difficultés à faire un exposé systématique des divers codes
cantonaux de procédure pénale ou des règlements cantonaux fixant le tarif
des frais en matière pénale. Au reste, il y a lieu de constater que le
rapport aux Chambres énumère de toute façon quelques lois cantonales et
mentionne au moins sommairement leur contenu (FF 1968 II p. 1121). Une
plus longue présentation n'était pas nécessaire, dès lors qu'il s'agissait
seulement d'exprimer que, d'après les lois concernées, la prise en charge
des frais d'interprète par l'Etat ne pouvait être définitive. Dans ces
conditions, il faut admettre que la déclaration interprétative du Conseil
fédéral respecte les conditions de forme prévues par l'art. 64 CEDH et
qu'elle a donc les mêmes effets qu'une réserve proprement dite.

    Il en résulte que le recours ne peut qu'être rejeté en tant qu'il se
fonde sur l'art. 6 § 3 lettre e CEDH.