Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 105 IV 326



105 IV 326

83. Extrait de l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 2 novembre 1979
dans la cause Ministère public du canton de Neuchâtel contre G. (pourvoi
en nullité) Regeste

    Art. 215 CP.

    Die Bigamie ist ein Zustandsdelikt, nicht ein Dauerdelikt (Erw. 3b).

    Art. 7 Abs. 1 StGB.

    "Erfolg" im Sinne dieser Bestimmung ist der als Tatbestandselement
umschriebene Aussenerfolg eines sogenannten Erfolgsdeliktes
(Praxisänderung) (Erw. 3 c-g).

Sachverhalt

    A.- Le Suisse G. a épousé le 31 décembre 1975 une Camerounaise. Il a
ouvert action contre sa première épouse qui était de nationalité suisse le
26 janvier 1976; le divorce est entré en force le 3 mai 1976. La polygamie
est admise au Cameroun où le deuxième mariage a eu lieu.

    Inculpé de bigamie, G. a été acquitté par les Tribunaux neuchâtelois
de première et deuxième instances.

    Le Ministère public du canton de Neuchâtel se pourvoit en nullité au
Tribunal fédéral.

Auszug aus den Erwägungen:

                   Extrait des considérants:

Erwägung 3

    3.- a) La seule question qui puisse être examinée en l'espèce est
celle de l'application du Code pénal suisse, et plus particulièrement
celle de l'art. 215 CP, à l'acte de bigamie commis par l'intimé. Il
convient de déterminer en premier lieu, à la lumière de l'art. 7 al. 1
CP, où l'acte a été commis et s'il a produit un résultat en Suisse. De
la réponse à cette question dépendra l'application de l'art. 3 CP, qui
conduirait à l'admission du pourvoi, ou celle de l'art. 6 CP au regard
duquel l'intimé a été libéré à bon droit par les autorités cantonales de
première et seconde instances.

    b) On peut d'emblée constater que c'est au Cameroun que l'intimé a
agi. En effet, à l'instar de la Cour cantonale et de la doctrine unanime,
on doit admettre que la bigamie, au sens de l'art. 215 CP, est un délit
instantané (Zustandsdelikt) et non pas un délit continu (Dauerdelikt),
c'est-à-dire un délit consommé par la célébration du mariage et non pas
par le fait de demeurer en état de bigamie (HAFTER, Bes. Teil, p. 417;
THORMANN-VON OVERBECK, n. 11 ad art. 215; LOGOZ, n. 6 ad art. 215;
SCHWANDER, n. 655; STRATENWERTH, Bes. Teil II, 2e éd., p. 84; GAUTSCHI,
Die mehrfache Ehe im Schweiz. Strafrecht, thèse Zurich 1953, p. 104/105;
PFENNINGER, in RSJ 1967 (63), p. 370/ 371; Division de justice, in JAAC
1978, no 46, ch. I, 1; cf. SCHÖNKE-SCHRÖDER, n. 6 et 8 ad par. 171).

    c) Reste alors à déterminer si l'acte commis par l'intimé a produit
en Suisse un résultat, au sens de l'art. 7 al. 1 CP.

    Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il faut entendre
par résultat, au sens de l'art. 7 CP, le dommage à cause duquel le
législateur a rendu un acte punissable. Un tel dommage ne se produit
pas seulement dans les infractions qui sont constituées par un résultat,
au sens technique du terme (délit matériel; Erfolgsdelikt), mais aussi
dans celles qui sont constituées par une simple activité (délit formel;
schlichtes Tätigkeitsdelikt), même si la loi ne fait pas état du dommage;
la seule différence entre les deux cas est que, dans le premier, le
résultat peut être distingué de l'acte, alors que, dans le second,
en tant qu'effet nécessaire de l'acte, il est inclus dans celui-ci,
comme en découlant nécessairement et sans qu'il ait été nécessaire d'en
faire un élément constitutif de l'infraction; la théorie de l'ubiquité,
consacrée à l'art. 7 CP, ne saurait avoir pour conséquence que le droit
suisse n'est applicable que si le résultat est un élément nécessaire de
l'infraction et non pas lorsqu'il est implicitement contenu dans celle-ci
comme conséquence nécessaire de l'acte (ATF 91 IV 231/232; 87 IV 154).

    En dépit des critiques qu'elle a soulevées, cette jurisprudence a été
maintenue, mais avec une réserve concernant les délits de mise en danger:
pour les délits formels qui sont en même temps des délits de mise en
danger abstraite, on ne pourra prendre en considération, pour appliquer
les art. 3 et 7 CP, que le lieu où l'auteur a agi (ATF 97 IV 209/210).

    d) Si l'on se réfère à la jurisprudence qui vient d'être rappelée,
on devrait in casu, puisqu'il ne s'agit pas d'un délit de mise en danger
abstraite, rechercher quel est le dommage à cause duquel le législateur
a entendu réprimer la bigamie, considérer ensuite ce dommage comme
le résultat de l'acte, au sens de l'art. 7 CP, sans se préoccuper de
la distinction entre délit formel et délit matériel et en abandonnant
notamment l'idée que le résultat doit être nécessairement l'un des éléments
constitutifs de l'infraction. Or, le dommage à raison duquel la bigamie a
été érigée en infraction est défini comme l'atteinte portée au principe
du mariage monogamique, qui est à la base de l'institution du mariage
telle qu'elle est conçue dans notre pays (cf. notamment HAFTER, Bes.
Teil, p. 414; SCHWANDER, n. 655; LOGOZ, n. 1 ad art. 215; GAUTSCHI,
op. cit., p. 69-72), si bien que le résultat au sens de l'art. 7 CP se
confondrait dans ce cas avec l'atteinte portée au bien juridiquement
protégée (geschütztes Rechtsgut), même s'agissant d'un bien purement
abstrait. Un tel raisonnement conduirait logiquement à considérer que
toute personne étrangère mariée, vivant en Suisse ou dont le conjoint
vivrait en Suisse, et qui contracterait où que ce soit un nouveau mariage
serait punissable au regard de l'art. 215 CP. Il en résulterait de telles
conséquences tant sur le plan théorique que pratique, qu'aucun des auteurs
qui ont traité de la bigamie n'a même envisagé une telle possibilité; bien
au contraire, tous ceux qui ont abordé le cas du second mariage conclu à
l'étranger ont considéré que l'infraction était commise à l'étranger et
que c'était l'art. 6 CP qui devait s'appliquer (THORMANN-VON OVERBECK,
Bes. Teil, n. 12 ad art. 215; LOGOZ, n. 5 ad art. 215; GAUTSCHI, op.
cit., p. 81; PFENNINGER, op. cit., p. 372). Tel est également l'avis de
la Division de la justice (JAAC 1978, n. 46, ch. 4 et 5).

    e) Dans une affaire comme la présente espèce, les critiques formulées
par SCHULTZ de manière répétée à l'encontre de la jurisprudence précitée
se révèlent comme particulièrement pertinentes et doivent conduire à un
nouvel examen du contenu de la notion de résultat au sens de l'art. 7 CP
(cf. SCHULTZ, in textes suivants: RPS 72 (1957), p. 313 ss.; FJS 1210,
p. 3 ss.; Annuaire suisse de droit international XX (1963), p. 192/193;
RSJ 60 (1964) p. 84/85; RJB 99 (1963), p. 42 ss.; 102 (1966), p. 331/332;
108 (1972), p. 336; Einführung in den allg. Teil, I, 3e éd., p. 114/115).

    Il convient en effet d'admettre, avec SCHULTZ, que le résultat est
une notion technique fondée sur la seule atteinte portée à l'objet de
l'infraction; elle désigne alors une modification du monde extérieur,
imputable à l'auteur et faisant partie des éléments constitutifs de
l'infraction. Ainsi défini, il ne peut y avoir de résultat au sens
technique que pour une seule sorte d'actes punissables, à savoir les
délits matériels (Erfolgsdelikte); et cette notion doit alors être
clairement distinguée de celle d'atteinte au bien juridique protégé, qui
est commune à toutes les infractions. Ainsi, les délits formels (schlichte
Tätigkeitsdelikte) sont caractérisés en ceci que seul le comportement
de l'auteur, action ou omission, est à même de mettre en danger ou de
léser le bien juridique, tandis que, pour les délits matériels, c'est
l'avènement du résultat qui amène la mise en danger ou la lésion du bien
juridique protégé.

    Si, à l'exemple de la jurisprudence rendue jusqu'ici on persiste à
assimiler au résultat l'atteinte portée au bien juridique protégé, on
donne au champ d'application du Code pénal suisse et à la compétence des
tribunaux suisses une extension telle qu'elle apparaît comme inacceptable,
tant en regard du droit des gens que de la loi elle-même. Une telle
extension conduirait dans certains cas le juge à assurer la répression
en Suisse sans se préoccuper de savoir si l'acte en cause est réellement
punissable là où il a été commis. Par ailleurs on ne voit pas dans cette
éventualité quelle serait la raison d'être et la signification des art. 4
et 5 CP, puisque de toute manière il y aurait, lorsque leur hypothèse est
réalisée, un résultat en Suisse qui suffirait à justifier la compétence
des tribunaux suisses et l'application du Code pénal au regard des art. 3
et 7 al. 1 CP.

    f) Le législateur n'a pas voulu cela. Le Tribunal fédéral non plus
d'ailleurs. On doit en effet constater qu'en jugeant comme il l'a fait, le
Tribunal fédéral n'avait pas autre chose en vue que de résoudre le problème
qui lui était posé par les délits par omission (Unterlassungsdelikte),
notamment par la violation d'une obligation d'entretien (art. 217 CP) et
par l'enlèvement de mineur (art. 220 CP). Or on constate que la question
du lieu de commission de ce genre de délits par omission peut parfaitement
être résolue, en aboutissant probablement aux mêmes solutions pratiques,
par une interprétation de la notion de "lieu où l'auteur a agi" au sens
de l'art. 7 al. 1; dans de tels cas il s'agirait notamment du "lieu où
l'auteur aurait dû agir" (cf., à cet égard, les divers textes de SCHULTZ
déjà cités; WAIBLINGER, RJB 94 (1958), p. 169/170; ATF 98 IV 205; 82 IV
70; 69 IV 129).

    g) On doit donc admettre en définitive que la notion de résultat au
sens de l'art. 7 CP (et de l'art. 346 CP) recouvre la notion technique du
résultat, élément constitutif de l'infraction, qui caractérise les seuls
délits matériels (Erfolgsdelikte) et que c'est seulement le lieu de ce
résultat qui, à côté du lieu où l'auteur a agi, est propre à déterminer
le lieu de commission d'une infraction ou le for de la poursuite pénale.

    Si l'on s'en tient à cette interprétation dans le cas d'espèce,
on constate que la bigamie est un délit formel caractérisé par le seul
comportement de l'auteur consistant à conclure un second mariage. Une telle
infraction ne saurait comporter un résultat distinct de l'action même de
l'auteur, si bien que le lieu de commission de l'infraction ne peut être
ailleurs que là où l'auteur a agi, même si le bien juridiquement protégé,
soit l'institution suisse du mariage, est évidemment lésé en Suisse.

    Cela dit, l'intimé ayant agi au Cameroun, c'est dans ce pays seulement
qu'il a commis l'acte de bigamie qui lui est reproché. C'est ainsi l'art. 6
CP qui doit s'appliquer. Et comme la bigamie est admise au Cameroun et
n'est donc pas réprimée dans cet Etat, l'intimé ne peut pas être condamné
en application de l'art. 215 CP. C'est ainsi à juste titre qu'il a été
acquitté par les juges précédents, ce qui entraîne le rejet du pourvoi
du Ministère public.