Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 105 II 297



105 II 297

49. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 27 novembre 1979 dans la
cause Van Cleef et Arpels S.A. contre Sarcar S.A. (recours en réforme)
Regeste

    Urheberrechtlicher Schutz von Modellen. Unlauterer Wettbewerb.

    1. Nur ein Modell, das origineller Schöpfung entspringt, vermag als
Werk der angewandten Kunst urheberrechtlichen Schutz zu erlangen (E.3).

    2. Die Nachahmung eines Modells, welches nicht gültig hinterlegt
worden ist, stellt grundsätzlich keinen unlauteren Wettbewerb dar (E. 4).

Sachverhalt

    A.- Pierre Arpels, joaillier à Paris, a conçu en 1949 une
montre-bracelet caractérisée par une attache centrale en forme de
plot sphérique, au travers de laquelle passe la barrette de fixation
du bracelet. Aux extrémités de la barrette sont soudés deux autres
plots semblables, indépendants de la boîte. Les deux lanières de cuir du
bracelet sont fixées entre les plots et masquent la barrette. La finesse
de l'attache au boîtier par le plot central, le volume restreint des
plots et leur apparente indépendance doivent donner à la montre élégance
et légèreté.

    Pierre Arpels n'a pas déposé de modèle pour sa montre. En 1950, il
a cédé ses droits à Van Cleef et Arpels S.A., à Paris. Les sociétés Van
Cleef et Arpels S.A., à Paris, et Van Cleef et Arpels S.A., à Genève, ont
commercialisé la montre de Pierre Arpels sous le nom de "Monsieur Pierre"
ou "P.A. 49". Le 9 octobre 1972 et le 4 novembre 1975, elles ont déposé
un modèle sous pli cacheté.

    Sarcar S.A. a mis sur le marché une montre qui, à quelques détails
près, est pareille au modèle "Monsieur Pierre". Ce modèle lui avait été
proposé par la société Pierre Nardin et Cie qui le fabriquait pour Van
Cleef et Arpels.

    B.- Le 5 octobre 1977, les sociétés Van Cleef et Arpels S.A., à Paris
et Genève, ont ouvert action contre Sarcar S.A. devant la Cour de justice
du canton de Genève. Elles ont demandé qu'interdiction fût faite à Sarcar
S.A. de fabriquer, de faire fabriquer ou de commercialiser des contrefaçons
du modèle "Monsieur Pierre". Elles ont conclu au paiement de 200'000
fr. de dommages et intérêts et ont requis la publication du jugement.

    En cours d'instance, Sarcar S.A. a cessé la fabrication de montres
pourvues des attaches litigieuses; les demanderesses ont alors réduit à
100'000 fr. leur action en dommages et intérêts.

    Sarcar S.A. a conclu au rejet de l'action.

    Par arrêt du 25 mai 1979, la Cour de justice a débouté les
demanderesses.

    C.- Les demanderesses ont interjeté un recours en réforme. Elles
reprennent leurs conclusions de première instance et demandent le renvoi
de la cause à la Cour de justice pour instruction et nouveau jugement
sur leur action en dommages et intérêts.

    La défenderesse conclut au rejet du recours.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                   Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- Les demanderesses n'ont à juste titre pas invoqué les droits
que la loi sur les dessins et modèles industriels attache au dépôt d'un
modèle. Elles ont elles-mêmes allégué avoir, depuis 1950, commercialisé
la montre "Monsieur Pierre" dans le monde entier, à grand renfort de
publicité. A la date des dépôts, le 9 octobre 1972 et le 4 novembre
1975, le modèle était connu du public et des milieux industriels et
commerciaux. Les dépôts sont donc nuls et de nul effet (art. 12 ch. 1
LDMI).

Erwägung 3

    3.- Les demanderesses invoquent les dispositions de la loi fédérale
concernant le droit d'auteur sur les oeuvres littéraires et artistiques,
du 7 décembre 1922. Elles soutiennent que la montre "Monsieur Pierre"
est une oeuvre des arts appliqués au sens de l'art. 1 al. 2 LDA.

    a) Aux termes de l'art. 5 LDA, "le dépôt comme dessin ou modèle
industriel d'une oeuvre, achevée ou en projet, visée par la présente loi,
n'exclut pas la protection accordée par celle-ci ". Rien ne s'oppose donc
à ce que la protection de la loi sur le droit d'auteur soit attachée à
un dessin ou à un modèle industriel], c'est-à-dire à une " disposition de
lignes " ou à une " forme plastique, combinées ou non avec des couleurs,
devant servir de type pour la production industrielle d'un objet"
(art. 2 LDMI). Il ne s'ensuit pas que toute forme qui, après dépôt,
serait protégée comme modèle soit aussi protégée d'emblée par la loi sur
le droit d'auteur. Un modèle ne constitue une oeuvre des arts appliqués
que s'il répond à la notion générale de l'oeuvre d'art (ATF 75 II 358,
68 II 56 s. consid. 3).

    Pour être élevé au rang d'oeuvre d'art, un ouvrage doit être
une création originale, une oeuvre nouvelle de l'esprit; il doit
incorporer une idée créatrice ou contenir l'expression personnelle
d'une pensée. Le critère n'est pas la nouveauté, mais l'originalité de
la production. L'oeuvre doit avoir son cachet propre, porter la marque
de l'activité créatrice et de la personnalité de l'auteur. A cet égard,
il importe peu que la création corresponde au sentiment esthétique
de quelques-uns ou du grand nombre, qu'elle soit un chef-d'oeuvre ou
appartienne aux productions de second ordre (ATF 76 II 100, 75 II 359
s., 68 II 58 s., 59 II 402 ss). La nouveauté, condition de protection
du modèle déposé (art. 12 ch. 1 LDMI), ne suffit pas pour qu'il y ait
oeuvre d'art. L'oeuvre des arts appliqués doit s'imposer d'elle-même par
son originalité et être reconnaissable comme telle. Dans le doute sur la
qualification d'un objet comme oeuvre des arts appliqués ou simple modèle
industriel, on doit trancher dans ce dernier sens (ATF 68 II 61).

    Pour être considéré comme oeuvre d'art, le modèle industriel] doit
être original, c'est-à-dire porter la marque de l'activité créatrice et
de la personnalité de son auteur. La combinaison de lignes, de formes et
de couleurs qui caractérise le modèle ne doit donc pas être entièrement
dictée par des exigences techniques ou par la destination de l'objet,
mais être, dans une certaine mesure au moins, le fruit de l'imagination
créatrice de l'auteur. Il faut en outre que le modèle, ou les éléments
pour lesquels on invoque la propriété artistique, se distingue nettement
des formes connues. L'auteur doit avoir créé une forme nouvelle qui ne
soit pas la simple variation d'une forme préexistante. L'auteur peut
s'inspirer de formes connues ou travailler dans un style déterminé, mais
alors il ne doit pas se limiter à des transpositions que tout artisan
habile aurait pu réaliser de manière identique ou analogue (cf. TROLLER,
Immaterialgüterrecht, tome I, p. 490 s.).

    b) La Cour cantonale a constaté de manière qui lie le Tribunal fédéral
que le système d'attache centrale avec barrette tangente au boîtier était
connu depuis longtemps lorsque Pierre Arpels le reprit pour sa montre,
et qu'il est encore utilisé par de nombreux fabricants. Certes, l'attache
créée par Pierre Arpels ne peut guère être confondue avec celles utilisées
jusqu'alors, mais elle ne s'en distingue pas assez pour être plus que la
variation d'une forme déjà connue. Le boîtier et le cadran de la montre
"Monsieur Pierre" ne se différencient que peu de modèles couramment
utilisés. Les demanderesses ont d'ailleurs reconnu en procédure cantonale
qu'aucun des éléments de leur modèle ne constitue en soi une originalité.

    La montre "Monsieur Pierre", prise dans son ensemble, est certes une
oeuvre caractérisée par la légèreté et la sobriété. Toutefois, elle ne
se distingue pas assez des formes connues pour être l'expression unique
de l'activité créatrice et de la personnalité de son auteur.

    La Cour cantonale a donc dénié à bon droit le caractère d'oeuvre
d'art à la montre "Monsieur Pierre", prise tant dans son ensemble que
dans chacun de ses éléments essentiels.

    c) La Cour cantonale a jugé que la forme de la montre "Monsieur
Pierre" n'a pas un caractère autonome, indépendant de son usage
industriel. L'oeuvre litigieuse perdrait son individualité esthétique pour
peu que l'on dissociât sa forme de l'objet industriel dans lequel elle
est incorporée. Le Tribunal fédéral n'a pas à déterminer si cet argument
utilisé par surabondance de droit est conforme aux principes du droit
fédéral. Lorsque le critère de l'originalité permet, comme en l'espèce,
de statuer nettement sur l'existence d'une oeuvre des arts appliqués, le
recours à la théorie dite de la dissociation est sans objet (ATF 68 II 60).

Erwägung 4

    4.- Les demanderesses reprochent à la défenderesse d'avoir commis
un acte de concurrence déloyale en commercialisant une copie servile,
une contrefaçon de la montre "Monsieur Pierre".

    a) Commet un acte de concurrence déloyale celui qui prend des mesures
destinées ou propres à faire naître une confusion avec les marchandises,
les oeuvres, l'activité ou l'entreprise d'autrui (art. 1er al. 2 lettre
d LCD).

    Lorsque la forme d'une marchandise n'est pas protégée par une règle du
droit de la propriété intellectuelle, elle peut en principe être librement
utilisée. L'art. 1er al. 2 lettre d LCD ne permet pas de repousser les
limites que la loi sur les dessins et modèles industriels assigne au droit
exclusif sur un modèle. Chacun peut donner à sa marchandise la forme
qui la rend la plus attrayante et permet de la vendre le mieux. Rien
n'interdit d'imiter même servilement la marchandise d'autrui, si sa
forme n est l'objet d'un droit exclusif (ATF 104 II 332, 103 II 215). Il
en va autrement lorsque la forme d'une marchandise sert à la distinguer
et que la contrefaçon crée un risque de confusion, parce qu'elle est de
nature à tromper l'acheteur sur la qualité ou la provenance du produit
(ATF 104 II 332, 103 II 215 s.).

    Les montres-bracelets ne sont pas des objets de consommation
courante. Pour en apprécier la qualité et en déterminer la provenance,
l'acheteur ne se fie pas à leur forme mais essentiellement à leur
marque. Dans l'esprit du consommateur, la montre qui porte la marque
Van Cleef et Arpels et celle qui est vendue sous le nom de Sarcar
sont, à tort ou à raison, des produits très différents. En l'espèce,
la défenderesse avait apposé sa marque sur ses montres, ce qui excluait
toute confusion. Elle n'a donc pas enfreint l'art. 1er al. 2 LCD.

    b) L'art. 1er al. 2 LCD qui énumère les actes de concurrence déloyale
n'est pas exhaustif. Tout abus de la concurrence économique résultant d'un
procédé contraire aux règles de la bonne foi est réputé acte de concurrence
déloyale (art. 1er al. 1 LCD). La clause générale de l'art. 1er al. 1 LCD
permet de considérer comme déloyaux des actes qui ne sont pas incriminés
de manière spéciale à l'art. 1er al. 2 (ATF 104 II 333, 102 II 294).

    La clause générale de la loi sur la concurrence déloyale ne peut
cependant être invoquée pour monopoliser des biens qui ne sont ou ne
peuvent être protégés par les lois sur la propriété littéraire, artistique
et industrielle. Une imitation n'est pas en soi un acte de concurrence
déloyale, même si la réalisation originale est le fruit de nombreux efforts
et a occasionné des frais importants (ATF 104 II 334, 95 II 468, 87 II
63). L'imitation de la marchandise d'autrui heurte toutefois les règles
de la bonne foi lorsque le contrefacteur y est parvenu par des procédés
astucieux ou incorrects (ATF 90 II 56 ss consid. 6), ou lorsqu'il cherche
de manière systématique et raffinée à tirer profit de la réputation de
son concurrent (ATF 104 II 334 s.).

    La défenderesse a apposé sa marque sur la montre litigieuse. La
marque joue un rôle décisif dans l'esprit de l'acheteur. La défenderesse
ne pouvait donc tirer profit du prestige attaché aux produits des
demanderesses. Le produit de la défenderesse est certes une copie presque
servile de la montre "Monsieur Pierre"; mais l'imitation n'avait pas
un caractère systématique, car le modèle litigieux n'est que l'un des
nombreux produits commercialisés par la défenderesse.