Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 105 IA 385



105 Ia 385

68. Arrêt de la IIe Cour de droit public du 2 novembre 1979 dans la cause
Jacot contre Neuchâtel, Conseil d'Etat (recours de droit public) Regeste

    Finanzreferendum: gebundene oder neue Ausgabe.  Gewaltentrennung.

    1. Erwerb einer Liegenschaft, die Verwaltungsdienststellen aufnehmen
soll: als neue und nicht als gebundene Ausgabe betrachtet, insbesondere
weil zwischen mehreren Möglichkeiten gewählt werden kann (E. 2 und 3b).

    2. Konstante kantonale Übung: im konkreten Fall verneint (E. 3c).

    3. Ein Bürger kann die Verletzung des Gewaltentrennungsprinzips
geltend machen, wenn diese eine Beeinträchtigung seines Stimmrechts
bedeutet (E. 1a und 3d).

Sachverhalt

    A.- Selon l'art. 39 de la Constitution neuchâteloise (en abrégé:
Cst. neuch.), le Grand Conseil a notamment comme attribution de voter les
dépenses, les achats et aliénations du domaine public (al. 1); l'alinéa 3,
dans sa teneur du 24 septembre 1972, prévoit cependant que "les lois et
décrets entraînant une dépense non renouvelable supérieure à 3 millions
de francs ou une dépense renouvelable supérieure à 300'000 fr. par an,
sont soumis obligatoirement au vote du peuple". D'autre part, l'art. 77
de la loi cantonale du 23 juin 1924 sur l'organisation du Conseil d'Etat
(en abrégé: LCE) dispose que "le Conseil d'Etat est autorisé à conclure
définitivement, et sans réserver la ratification du Grand Conseil,
la vente d'immeubles appartenant au domaine public ou privé de l'Etat,
ainsi que l'achat pour le domaine public ou privé de l'Etat, toutes les
fois que le prix ne dépasse pas 5000 francs".

    Par arrêté du 5 janvier 1979, le Conseil d'Etat a décidé d'acquérir de
la maison Dubied à Couvet, pour le prix net de 4'750'000 fr., l'immeuble
bâti dont celle-ci était propriétaire à la rue du Musée à Neuchâtel.

    L'acte de vente a été passé devant notaire le 12 janvier 1979 et
le transfert de propriété inscrit au registre foncier le 19 janvier
1979. L'arrêté du 5 janvier 1979 n'a pas été publié dans la Feuille
officielle du canton, mais l'acquisition en cause a fait l'objet d'un
article dans le journal "La Feuille d'Avis de Neuchâtel" du 23 janvier
1979 et d'une interview du Conseiller d'Etat, directeur des finances,
diffusée par la radio romande le 8 février 1979. Il ressortait notamment
de ces deux informations que le bâtiment était destiné à loger différents
services de l'administration cantonale et que l'achat ne serait pas soumis
au référendum obligatoire.

    Après avoir obtenu du conservateur du registre foncier et de
la Chancellerie d'Etat, par lettres des 13 et 16 février 1979, des
renseignements sur cette acquisition, delle Fabienne Jacot a formé
un recours de droit public fondé sur l'art. 85 let. a OJ, demandant
au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêté du Conseil d'Etat du 5 janvier
1979, pour violation des "droits politiques garantis par la Constitution
neuchâteloise" et du principe de la séparation des pouvoirs.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours et annule l'arrêté attaqué.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) En tant que personne majeure domiciliée dans le canton de
Neuchâtel, où elle exerce ses droits politiques, la recourante a qualité
pour se plaindre, par la voie du recours fondé sur l'art. 85 lettre a OJ,
de ce que la décision prise par un organe de l'Etat n a pas été soumise
au vote populaire alors que, selon son opinion, elle aurait dû l'être.
Elle a également qualité pour se plaindre de la violation du principe de la
séparation des pouvoirs, dans la mesure où cette violation aurait entraîné
la violation de son droit de vote, ce qu'elle prétend effectivement. Mais
le second grief se confond pratiquement avec le premier, car si l'on
arrive à la conclusion que le corps électoral devait être appelé à se
prononcer sur l'achat en question, en vertu de l'art. 39 al. 3 Cst. neuch.,
il appartenait au Grand Conseil et non au Conseil d'Etat de voter cette
dépense, seules les décisions du Grand Conseil pouvant être soumises
au référendum.

    b) Adopté le 5 janvier 1979, l'arrêté attaqué n'a pas fait l'objet
d'une publication officielle; la recourante devait néanmoins agir dans
les trente jours dès celui où elle a été en possession des éléments
nécessaires à la sauvegarde de ses droits (cf. ATF 102 Ib 94). Il est
possible qu'elle ait eu connaissance de l'achat en cause au plus tôt
par l'article paru dans la "Feuille d'Avis de Neuchâtel" du 23 janvier
1979; elle en a eu connaissance en tout cas par les lettres du registre
foncier et de la Chancellerie d'Etat des 13 et 16 février 1979. Ayant
déposé son recours dans un bureau de poste suisse le 22 février 1979,
elle a de toute façon sauvegardé le délai de l'art. 89 OJ.

    c) Saisi d'un recours pour violation du droit de vote par une autorité
cantonale, le Tribunal fédéral examine librement l'interprétation du droit
constitutionnel cantonal et des dispositions légales étroitement liées au
droit de vote lui-même, à son contenu et à son étendue, tandis qu'il ne
revoit que sous l'angle restreint de l'arbitraire l'interprétation des
autres dispositions cantonales, légales ou réglementaires (ATF 97 I 27
consid. 1a).

Erwägung 2

    2.- L'art. 39 al. 3 Cst. neuch., tel qu'il a été adopté en votation
populaire du 24 septembre 1972, donne au citoyen le droit de participer
à la décision sur une dépense non renouvelable supérieure à 3 millions
de francs.

    Cette disposition constitutionnelle ne fait pas de distinction entre
les dépenses liées et les dépenses nouvelles. Mais la jurisprudence du
Tribunal fédéral admet que seules les dépenses nouvelles soient soumises
au référendum financier - facultatif ou obligatoire - à l'exclusion
des dépenses liées, même si la constitution ou la loi cantonales ne le
prévoient pas expressément (ATF 103 Ia 285, 100 Ia 370 consid. 3a et les
arrêts cités).

    Il n'y a pas de notion fédérale de la dépense nouvelle et de la
dépense liée. Le Tribunal fédéral a cependant établi certains principes
généraux qui permettent de déterminer ces notions. Selon ces principes,
sont considérées comme liées - et, partant, non soumises au référendum
financier - notamment les dépenses dont le principe et l'étendue sont
fixés par une norme légale (comme par exemple les traitements et certaines
subventions) ou qui sont absolument indispensables à l'accomplissement
des tâches administratives ordonnées par la loi. Une dépense est également
liée s'il faut admettre que le peuple, en adoptant précédemment le texte
de base, a aussi approuvé la dépense qui en découlait, lorsque la nécessité
en était prévisible ou lorsqu'il est indifférent que tel moyen soit choisi
plutôt que tel autre. Il en va autrement - et la dépense est alors nouvelle
- lorsque les divers moyens permettant d'atteindre le but visé diffèrent
sensiblement les uns des autres, par les frais qu'ils entraînent ou par
les autres conséquences qu'ils peuvent avoir (ATF 102 Ia 459 consid. 3a,
101 Ia 133 consid. 4, 95 I 529 consid. 3a).

    Mais les cantons peuvent évidemment régler autrement la question des
dépenses à soumettre au référendum. Une délimitation différente de ces
dépenses pourrait aussi découler d'une pratique cantonale constante;
mais il faut alors que l'existence d'une telle pratique soit prouvée
(cf. ATF 100 Ia 372 ss. consid. 3d).

Erwägung 3

    3.- Pour justifier l'arrêté attaqué, le Conseil d'Etat développe
différents arguments, qu'il s'agit d'examiner à la lumière des principes
ci-dessus.

    a) Le Conseil d'Etat soutient tout d'abord que l'acquisition litigieuse
a un caractère transitoire et que l'Etat récupérera le prix payé le jour
où l'immeuble sera retransféré à un tiers.

    Mais le caractère transitoire ou provisoire de la mesure critiquée
ne ressort ni de l'arrêté du 5 janvier 1979, ni de l'information donnée à
la presse par la Chancellerie d'Etat le 19 janvier 1979, ni de l'article
paru dans la "Feuille d'Avis de Neuchâtel"; le Conseil d'Etat ne prétend
pas non plus qu'il en ait été question dans l'interview donnée à la radio
par le Conseiller d'Etat Schläppy. Il en est fait mention pour la première
fois dans la lettre adressée à la recourante par la Chancellerie d'Etat
le 16 février 1979, puis dans la réponse du Conseil d'Etat au recours
de droit public. On peut donc douter que l'intention première n'ait été
qu'une acquisition à caractère transitoire. D'ailleurs, le Conseil d'Etat
n'a nullement demandé que l'instruction du recours soit suspendue jusqu'à
ce que les démarches en vue d'un transfert à une institution autonome de
l'Etat aboutissent.

    Quoi qu'il en soit, la recourante devait s'en prendre directement à
l'arrêté du 5 janvier 1979 dans le délai utile si elle ne voulait pas
risquer d'être déchue de son droit de recours. En effet, il n'est pas
certain que les démarches annoncées par l'Etat en vue de retransférer
l'immeuble aboutissent; et si finalement l'immeuble en cause reste
propriété de l'Etat, il n'y aura aucune nouvelle décision contre laquelle
un citoyen pourrait recourir, de sorte que l'arrêté du 5 janvier 1979 ne
pourrait plus être attaqué.

    Sans doute peut-il être utile que le Conseil d'Etat, pour ne pas
laisser échapper une occasion favorable, puisse s'assurer l'acquisition
d'un immeuble destiné à passer dans la propriété d'un établissement ou
d'une institution autonomes de l'Etat. Mais il faut alors que la question
soit réglée de façon à sauvegarder le droit de vote des citoyens: que par
exemple un délai soit fixé pour procéder au transfert définitif, délai
à l'expiration duquel l'acquisition devrait être ratifiée par le Grand
Conseil, si les démarches en vue d'un tel transfert n'ont pas abouti;
la décision du Grand Conseil ferait alors courir le délai d'un éventuel
recours de droit public, si le décret est soustrait au référendum alors
qu'un citoyen soutient qu'il devrait y être soumis.

    b) Le Conseil d'Etat soutient que, même s'il s'agissait d'une opération
définitive, on ne serait pas en présence d'une dépense nouvelle, car
la décision attaquée tend à permettre la réalisation de l'activité
administrative déjà prévue par la législation.

    Il est vrai que l'Etat doit se préoccuper de loger le personnel
nécessaire à l'accomplissement des nombreuses tâches voulues par
le législateur. Mais il va de soi qu'il jouit dans ce domaine d'une
large possibilité de choix, soit quant au nombre de magistrats et de
fonctionnaires nécessaires à la bonne marche des différents services,
soit quant aux modalités de la mise à disposition des locaux pour loger
ces services; il peut à cet effet soit utiliser des bâtiments dont il est
déjà propriétaire, au besoin en les transformant ou en les agrandissant,
soit construire lui-même de nouveaux bâtiments ou en faire construire
par des établissements ou institutions étatiques autonomes qui les lui
loueraient, soit acquéreur lui-même - ou en faire acquéreur par de tels
établissements ou institutions - des bâtiments existants, soit prendre en
location des locaux dans des bâtiments privés. En raison de cette large
possibilité de choix, on ne saurait donc dire que l'achat de l'immeuble
en cause constitue une dépense liée soustraite au référendum, ni que le
peuple, en adoptant expressément ou tacitement les nombreuses lois dont
l'exécution nécessite du personnel, ait voulu en même temps autoriser la
dépense pour l'achat de bâtiments destinés à l'administration.

    c) Le Conseil d'Etat relève encore que l'art. 77 LCE n'est en réalité
plus appliqué et il fait état d'une pratique cantonale selon laquelle
c'est lui qui a toujours procédé, avec l'accord tacite du Grand Conseil,
à l'acquisition des bâtiments pour loger le personnel; il mentionne à cet
effet, dans sa réponse au recours, trois acquisitions d'immeubles et une
promesse d'acquisition auxquelles il a lui-même procédé en 1977 et 1978,
mais il n'indique pas quels montants étaient alors en jeu. Il ressort
cependant des photocopies versées au dossier que, sur les trois actes de
vente, un seul porte sur un immeuble de plus de 3'000'000 de francs. Ce
fait ne suffit évidemment pas à démontrer l'existence d'une pratique
constante qui permettrait de déroger aux principes généraux établis par
la jurisprudence et de soustraire au référendum obligatoire les dépenses
de plus de 3'000'000 de francs pour l'acquisition d'immeubles destinés
à l'administration.

    D'ailleurs, il ne saurait être question d'un accord tacite du Grand
Conseil - et, partant, d'une éventuelle pratique constante sur ce point -
que pour les dépenses allant jusqu'à 3'000'000 de francs, c'est-à-dire pour
les dépenses que le Grand Conseil pourrait décider lui-même définitivement,
sans la participation du peuple. Un tel accord tacite ne serait évidemment
d'aucun effet pour les dépenses dépassant ce montant, lesquelles sont de
la compétence définitive du corps électoral et non du Grand Conseil. Or
le Conseil d'Etat ne prétend pas qu'il y ait accord tacite du peuple sur
ce point; il ne prétend pas non plus que les acquisitions faites par lui
et dépassant 3'000'000 de francs aient été portées à la connaissance des
citoyens pour que ceux-ci puissent éventuellement faire valoir leurs
droits et contester la compétence du Conseil d'Etat, dont la décision
soustrait une telle dépense au référendum financier obligatoire, lequel
n'est ouvert que contre les décisions du Grand Conseil.

    d) On doit donc retenir en conclusion que le Conseil d'Etat, en
procédant lui-même à une acquisition d'immeuble dont le prix dépasse non
seulement les 5000 fr. prévus par l'art. 77 LCE, mais aussi les 3'000'000
de francs prévus par l'art. 39 al. 3 Cst. neuch., a violé le principe de
la séparation des pouvoirs d'une façon qui porte directement atteinte au
droit de vote des citoyens, puisqu'il a de la sorte soustrait au référendum
obligatoire (ouvert uniquement contre les décisions du Grand Conseil),
une dépense qui y est soumise en vertu de l'art. 39 al. 3 Cst. neuch. et
des principes établis par la jurisprudence. C'est pourquoi le recours
doit être admis et la décision attaquée annulée.

    Il va de soi que l'annulation ne porte que sur la décision attaquée
et non sur l'acte de vente sous seing privé. Il appartiendra aux autorités
neuchâteloises de tirer les conséquences découlant du présent arrêt.