Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 104 IA 343



104 Ia 343

53. Extrait de l'arrêt du 5 juillet 1978 en la cause Annen et consorts
contre Grand Conseil du canton de Neuchâtel Regeste

    Art. 85 lit. a OG; Ungültigerklärung einer Initiative.

    1. Natur einer Initiative nach neuenburgischem Recht, die
auf Erweiterung der Volksrechte gerichtet ist (Verfassungs- oder
Gesetzesinitiative) (E. 2 und 3).

    2. Grundsätze der Auslegung eines Initiativtextes; Anwendung derselben
auf den konkreten Fall (E. 4).

Sachverhalt

    A.- Le 7 juillet 1975, un groupe de citoyens a annoncé à la
Chancellerie d'Etat du canton de Neuchâtel le lancement d'une initiative
populaire pour la sauvegarde des droits du peuple dans le domaine de
l'énergie atomique.

    Le Conseil d'Etat neuchâtelois a constaté, par arrêté du 20 février
1976, que le nombre de signatures valables se montait à 10674, et que le
minimum légal requis était atteint. Le texte de l'initiative déposée est
le suivant:

    "Initiative populaire pour la sauvegarde des droits du peuple dans le
   domaine de l'énergie atomique.

    Vu l'article 7 al. 2 de la loi fédérale sur l'utilisation pacifique de
   l'énergie atomique et la protection contre les radiations, du 23
   décembre

    1959.

    Considérant la nécessité pour le peuple de pouvoir se prononcer
   expressément au cas où l'édification d'une installation atomique sur
   le territoire neuchâtelois serait envisagée.

    Les soussignés, citoyens et citoyennes exerçant leurs droits civiques
   dans le canton de Neuchâtel, demandent par voie d'initiative populaire
   que la législation cantonale soit complétée par le décret suivant:

    Décret concernant l'application de la loi fédérale sur l'utilisation
   pacifique de l'énergie atomique et la protection contre les radiations.

    Article premier. - Si le canton de Neuchâtel est requis de donner son
   avis à l'autorité fédérale compétente à propos de l'implantation d'une
   installation atomique, le Grand Conseil prend position.

    Sa décision est soumise obligatoirement au vote du peuple.

    Le résultat de ce vote constitue l'avis du canton.

    Art. 2.- Le Conseil d'Etat est chargé de pourvoir, s'il y a lieu, à la
   promulgation et à l'exécution du présent décret.

    Si le Grand Conseil adopte des dispositions correspondant aux voeux
   de l'initiative, ou si la loi fédérale était amendée dans un sens
   analogue, les soussignés autorisent les personnes suivantes, agissant
   collectivement, à retirer ladite initiative au profit des nouvelles
   dispositions."

    Suivent les noms de ces personnes.

    Le Conseil d'Etat transmit cette initiative au Grand Conseil,
en lui proposant, dans son rapport, de la soumettre au peuple et de
recommander son rejet. Le Grand Conseil ayant renvoyé ce rapport à sa
Commission législative, celle-ci a proposé de déclarer l'initiative
irrecevable. Elle a considéré que l'extension des droits populaires
proposée par les initiants ne pouvait se faire que par une revision de la
constitution. L'initiative déposée étant du niveau législatif, elle aurait
dû avoir la forme d'une initiative constitutionnelle pour être recevable.

    Le Grand Conseil s'est rallié à la proposition de la Commission
législative et, dans sa séance du 20 juin 1977, a adopté le décret suivant:

    "Article premier. L'initiative populaire pour la sauvegarde des droits
   du peuple dans le domaine de l'énergie atomique est déclarée
   irrecevable.

    Art. 2. L'autorité compétente pour donner le préavis prévu à l'art. 7
   al. 2 de la loi fédérale sur l'utilisation de l'énergie atomique
   et la protection contre les radiations, du 23 décembre 1959, est le
   Conseil d'Etat."

    Georges Annen et consorts, agissant par la voie du recours de droit
public, demandent au Tribunal fédéral d'annuler le décret du 20 juin
1977. Ils invoquent la violation de leurs droits politiques (art. 85
OJ), d'une part, et celle de l'art. 4 Cst. pour formalisme excessif,
d'autre part.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 2

    2.- En l'espèce, le Grand Conseil du canton de Neuchâtel a qualifié
de législative l'initiative populaire pour la sauvegarde des droits du
peuple dans le domaine de l'énergie atomique; il l'a déclarée irrecevable,
considérant qu'il était exclu d'introduire, par une telle initiative,
un droit populaire que la constitution cantonale ne prévoit pas. Les
recourants admettent que les dispositions dont ils proposent l'adoption
sont de rang constitutionnel; ils affirment que c'est à tort que l'autorité
cantonale qualifie de législative l'initiative précitée.

    L'examen du Tribunal fédéral doit ainsi porter sur deux points. Il
s'agit en premier lieu de dire si l'initiative populaire pour la
sauvegarde des droits du peuple dans le domaine de l'énergie atomique
tend à l'introduction, dans le droit neuchâtelois, de normes de rang
constitutionnel. Dans l'affirmative, il faut alors examiner si c'est
à juste titre que cette initiative, telle qu'elle a été déposée, a été
qualifiée de législative par le Grand Conseil.

Erwägung 3

    3.- a) La constitution neuchâteloise traite de l'initiative
constitutionnelle à ses art. 83 à 85, et de l'initiative législative à
son art. 38.

    Aux termes de l'art. 84 Cst. cant., le droit d'initiative en matière de
revision partielle de la constitution appartient au peuple, à tout membre
du Grand Conseil et au Conseil d'Etat. L'initiative constitutionnelle
populaire est le droit qu'ont 6000 électeurs au moins de proposer au Grand
Conseil l'adoption d'un nouvel article constitutionnel, l'abrogation ou
la modification d'articles en vigueur.

    L'initiative populaire législative est le droit qu'ont 6000 électeurs
au moins de proposer au Grand Conseil l'adoption, l'élaboration, la
modification ou l'abrogation d'une loi ou d'un décret (art. 38 Cst. cant.).

    La loi sur l'exercice des droits politiques, du 21 novembre 1944, telle
qu'elle a été revisée par la loi du 21 décembre 1959 (LEDP), règle, à son
chapitre VII, l'exercice du droit d'initiative populaire. Les art. 118
à 132 ont trait à l'initiative constitutionnelle, alors que les art. 133
et 134 se rapportent à l'initiative législative.

    Les art. 85 Cst. cant. et 128 LEDP précisent que la constitution
revisée ou la partie revisée de la constitution sera soumise à la sanction
populaire et qu'elle devra, pour être acceptée, réunir la majorité
absolue des électeurs ayant valablement pris part à la votation. Qu'elle
soit conçue en termes généraux ou présentée sous la forme d'un projet
rédigé de toutes pièces, l'initiative constitutionnelle doit toujours
être soumise au peuple. En revanche, l'initiative législative n'est
obligatoirement soumise à la sanction populaire que si le Grand Conseil
rejette la proposition des initiants ou s'il modifie le texte du projet
(art. 38 Cst. cant. et 133 LEDP). Si le Parlement cantonal adopte le
projet présenté, celui-ci ne sera soumis au peuple que si la demande en
est faite par 6000 électeurs (art. 39 al. 2 Cst. cant. et 138 LEDP).

    Il y a ainsi un réel intérêt à déterminer si une initiative est de rang
constitutionnel ou de rang législatif. Si la proposition faite par les
initiants concerne des règles de rang constitutionnel, elle ne peut être
soumise au peuple que sous la forme d'une initiative constitutionnelle. Si
elle tend en revanche à la modification d'une loi ou d'un décret, elle
doit alors être présentée dans le cadre d'une initiative législative. Au
surplus, les normes adoptées, si elles sont de rang constitutionnel,
doivent recevoir la garantie de la Confédération.

    b) Il faut dès lors examiner si, en droit neuchâtelois, la
détermination ou l'extension des droits populaires doit intervenir par
la modification de la constitution cantonale ou simplement par la voie
de l'initiative législative. A cet égard, il convient de relever qu'en
matière de votations et d'élections, les droits populaires - droit de
vote, droit d'initiative, droit de référendum - sont tous définis par
la constitution. Le peuple tient de cette dernière le droit d'élire
les députés au Conseil des Etats (art. 17bis), les députés au Grand
Conseil (art. 23 ss.) et les membres du Conseil d'Etat (art. 43 ss.).
C'est également la constitution qui l'habilite à participer à la formation
de la volonté étatique par l'exercice du droit d'initiative et du droit
de référendum. La loi sur l'exercice des droits politiques ne crée pas
elle-même ces droits ni n'en institue de nouveaux. Son rôle essentiel est
de fixer les règles de procédure nécessaires à l'exercice de ces droits
et à un déroulement normal des opérations de scrutin. On peut dès lors en
déduire qu'en l'état actuel du droit neuchâtelois, seule une initiative
constitutionnelle peut proposer la modification des droits populaires. Le
principe du parallélisme des formes exige en tout cas que les règles de
degré constitutionnel existantes ne soient modifiées que par la voie de
l'initiative constitutionnelle.

    En l'espèce, les initiants n'ont pas proposé la modification des droits
populaires, tels qu'ils sont établis par la constitution cantonale. Ils
demandent une extension de ces droits. Ils entendent en effet étendre
au préavis que le canton est appelé à donner à l'autorité fédérale en
application de l'art. 7 de la loi fédérale sur l'utilisation pacifique de
l'énergie atomique et la protection contre les radiations (LUA) le droit de
référendum obligatoire prévu aux art. 39 et 84 Cst. cant. Dans la mesure où
elles instituent un nouveau droit populaire, les règles dont l'adoption
est proposée par voie d'initiative sont de degré constitutionnel;
d'après la systématique adoptée par la constituante neuchâteloise, les
droits populaires sont en effet reconnus par la constitution, la loi sur
l'exercice des droits politiques ne contenant que des dispositions sur
l'exercice de ces droits. Telle est l'opinion soutenue par les autorités
cantonales compétentes et par les recourants. Certes, en mettant l'accent
sur d'autres éléments, la thèse contraire serait aussi défendable. S'il
est vrai que les droits populaires sont reconnus par la constitution,
cela ne signifie cependant pas qu'une extension de ces droits par la voie
de l'initiative législative soit absolument exclue. Il faut relever à
cet égard la nature particulière du préavis que le canton est appelé à
donner en application de l'art. 7 LUA; en outre, les dispositions dont
l'adoption est proposée constituent en quelque sorte des dispositions
d'exécution d'une loi fédérale, et leur application sera relativement
rare. Par ailleurs, l'art. 52 Cst. cant., aux termes duquel "le Conseil
d'Etat est chargé des relations fédérales et étrangères dans les limites
des constitutions fédérale et cantonale", ne devrait pas constituer un
obstacle à ce que les normes proposées par les initiants soient adoptées
par la voie de l'initiative législative. Cette disposition vise plutôt
une compétence de représentation qu'une compétence de décision. Elle
n'exclut pas qu'un autre organe puisse intervenir. A cet égard, on peut
relever que, dans son décret du 20 juin 1977, le Grand Conseil lui-même
a prévu que le préavis donné par le Conseil d'Etat devait être soumis à
la ratification du Parlement.

    L'opinion défendue par le Grand Conseil et par les recourants et
selon laquelle toute extension des droits populaires doit, d'après la
systématique du droit constitutionnel cantonal, être reconnue par des
normes de rang constitutionnel, repose cependant sur de sérieux arguments
et le Tribunal fédéral doit lui donner la préférence. C'est dès lors à
juste titre que le Grand Conseil a admis in casu que les dispositions que
l'initiative pour la sauvegarde des droits populaires dans le domaine de
l'énergie atomique tend à faire adopter, sont de rang constitutionnel, et
qu'il y a donc lieu d'agir par la voie de l'initiative constitutionnelle.

Erwägung 4

    4.- Il faut ainsi examiner si l'initiative formée par les recourants
répond aux exigences d'une initiative constitutionnelle. Le texte de cette
initiative est susceptible d'interprétation; d'après la jurisprudence,
l'inviolabilité du droit de vote exige que l'autorité qui se prononce
sur la recevabilité d'une initiative interprète cette dernière dans
le sens le plus favorable aux initiants. Lorsqu'une initiative peut,
d'après les règles générales d'interprétation des textes juridiques,
être comprise dans un sens qui ne permette pas de la considérer comme
étant manifestement et indubitablement inexécutable, il faut la déclarer
recevable et la soumettre au vote populaire (ATF 101 Ia 367).

    Dans ses observations sur le présent recours, le Grand Conseil énumère
les divers éléments qu'il a pris en considération et qui l'ont conduit à
qualifier de législative l'initiative en cause. Les initiants demandaient
que la "législation" cantonale soit complétée par un décret concernant
l'application d'une loi fédérale. Ce faisant, ils auraient eux-mêmes fixé
la nature législative de leur proposition, et il n'appartenait pas au
Parlement de prendre une décision qui aille à l'encontre de leur volonté.

    Certes, en règle générale, le terme de "législation cantonale"
se rapporte aux lois, règlements et arrêtés, alors que l'expression
"droit cantonal" a un sens plus large et vise l'ensemble des normes,
constitutionnelles et légales, en vigueur dans un canton. Toutefois,
l'utilisation d'un terme non approprié ou d'une expression imprécise ne
suffit pas pour conférer à l'initiative déposée un caractère législatif. Il
en va de même en ce qui concerne l'usage du terme "décret". L'art. 138 LEDP
met sur le même rang la loi et le décret; la loi "est une disposition
législative d'ordre général et sans limite de temps", alors que "le
décret est limité à un objet particulier ou dans le temps". Le décret
paraît dès lors bien être, en principe, de degré inférieur par rapport
à la constitution. Toutefois, l'autorité cantonale relève elle-même,
dans ses observations sur le recours, que "le mot décret ne présente pas
de caractère spécifique dont l'emploi serait déterminant pour apprécier
la question litigieuse". Elle soutient en revanche que les initiants,
en liant le décret proposé à l'application d'une loi, ont fixé la nature
législative de leur initiative, car "les dispositions d'application d'une
loi ne se conçoivent, selon les principes généraux du droit, que dans
le cadre législatif et non constitutionnel". On ne saurait cependant
la suivre sur ce point. Constatant que l'initiative tendait à étendre
les droits populaires, le Grand Conseil a admis que les normes dont
l'adoption était proposée étaient de rang constitutionnel. Il ne pouvait
dès lors se fonder sur le seul fait que l'initiative propose formellement
l'adoption d'un décret concernant l'application d'une loi fédérale pour
la qualifier de législative, en faisant abstraction du but poursuivi par
les initiants et de la nature des dispositions proposées. S'il eût suffi
que l'initiative tende à l'adoption d'un "décret concernant l'extension
des droits populaires dans le domaine de l'énergie atomique" pour qu'elle
soit alors qualifiée de constitutionnelle, la décision d'irrecevabilité,
qui se fonde sur les termes adoptés en réalité par les initiants pour
déterminer la nature de l'initiative, ne peut être approuvée.

    Certes, présentées sous forme de décret, les nouvelles dispositions de
rang constitutionnel proposées par l'initiative ne peuvent être insérées
dans le texte même de la constitution. Les initiants auraient effectivement
pu songer à la modification de dispositions constitutionnelles
existantes. Quoi qu'il en soit, c'est bien la nature des normes proposées
qui est déterminante. Ces dispositions ayant rang constitutionnel, elles
ont la même valeur juridique que les règles inscrites dans la constitution,
même si elles n'y sont pas d'emblée incluses.

    C'est dès lors à tort que le Grand Conseil a déclaré irrecevable
l'initiative populaire pour la sauvegarde des droits du peuple dans le
domaine de l'énergie atomique. Le recours doit ainsi être admis, et la
décision déférée doit être annulée.