Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 102 II 85



102 II 85

15. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 2 mars 1976 dans la cause
Conrad Zschokke S.A. contre Baumgartner Papiers S.A. et consort. Regeste

    Art. 41, 55 OR, unerlaubte Handlung.

    Bruch eines elektrischen Kabels, das einem Versorgungsbetrieb
gehört. Haftung des Verursachers für den Schaden, der vorübergehend vom
Stromunterbruch betroffenen Unternehmen zugefügt worden ist.

Sachverhalt

    A.- Le 26 février 1973, un employé de Conrad Zschokke S.A. a provoqué
la rupture d'un câble à haute tension en utilisant une pelleteuse
lors de travaux de fouille à Crissier. Ce câble, propriété du Service
intercommunal de l'électricité de Chavannes, Crissier, Ecublens et Renens
(ci-après: SIE), alimente des stations dans lesquelles le courant fort
est transformé en courant utilisable par les abonnés, dont font partie les
sociétés Baumgartner Papiers S.A. et Zinguerie de Renens S.A. La rupture
du câble à haute tension a eu pour effet de priver ces deux entreprises
d'énergie électrique durant quelques heures.

    Avant d'entreprendre les travaux, Conrad Zschokke S.A. n'avait pris
aucun renseignement auprès du SIE sur le tracé des câbles électriques
pouvant se situer dans le secteur de la fouille.

    B.- Baumgartner Papiers S.A. et Zinguerie de Renens S.A. ont ouvert
action contre Conrad Zschokke S.A., la première en paiement de 23'100
fr. avec intérêt, la seconde en paiement de 6'526 fr. avec intérêt. A la
suite de conventions de procédure, les deux causes ont été jointes devant
la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois, qui a décidé d'instruire
et de juger séparément la question de la responsabilité de principe de
la défenderesse.

    Par jugement du 3 novembre 1975, la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois a prononcé que la défenderesse répond en principe du dommage subi
par les demanderesses.

    C.- Conrad Zschokke S.A. recourt en réforme au Tribunal fédéral en
concluant à ce que le jugement déféré soit réformé en ce sens qu'elle
"ne répond pas en principe du dommage subi par les demanderesses".

    Les intimées proposent le rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                  Extrait des considérants:

Erwägung 3

    3.- Examinant au regard de l'art. 55 CO si les conditions de la
responsabilité de la défenderesse sont remplies, le Tribunal cantonal
admet par hypothèse l'existence d'un dommage découlant de l'arrêt de
la production dans les usines des demanderesses. Il tient en outre pour
évident le rapport de causalité naturelle entre cet arrêt et la rupture
du câble à haute tension. Enfin, il constate que la défenderesse n'a
pas cherché à entreprendre la preuve libératoire réservée par l'art. 55
CO. Le jugement déféré n'est pas remis en cause sur ces trois points.

Erwägung 4

    4.- Le Tribunal cantonal estime que l'acte illicite, condition
d'application de l'art. 55 CO, est établi. En effet, dit-il, "rompre
un câble électrique alimentant un réseau de distribution viole des
prescriptions de l'ordre juridique; les art. 145 (dommages à la propriété)
et 239 CPS (entrave aux services d'intérêt général) en particulier seraient
applicables à un auteur agissant par dol".

    a) La défenderesse conteste l'existence d'un acte illicite au sens de
l'art. 41 CO. Pour elle, l'art. 145 CP, qui implique une atteinte portée
à la chose d'autrui, ne protège que le propriétaire de l'objet endommagé,
détruit ou mis hors d'usage. Le câble rompu étant propriété du SIE, les
demanderesses ne peuvent se prévaloir de la violation de cette disposition.

    Selon la jurisprudence, approuvée par la doctrine (LOGOZ, n. 3a
ad art. 145 CP; SCHWANDER, 2e éd., n. 555 p. 343 s.), est lésé et a
partant qualité pour porter plainte au sens des art. 145 al. 1 et 28 CP
non seulement le propriétaire, mais aussi le locataire à qui un acte
réprimé par l'art. 145 enlève l'usage de la chose; le droit personnel
du locataire d'user de la chose, qui constitue un bien juridique, est
en effet directement lésé par le délit, et son titulaire a dès lors
qualité pour porter plainte (RO 74 IV 7). En l'espèce, les demanderesses
n'ont cependant aucun droit, réel ou personnel, sur le câble rompu par
l'employé de la défenderesse. Le SIE ne leur a pas cédé un droit d'usage
sur ce câble. C'est lui qui s'en sert pour fournir l'énergie électrique
et l'amener jusqu'à leurs installations. Les demanderesses ne peuvent
donc pas fonder l'illicéité de l'acte incriminé sur l'art. 145 CP.

    b) La défenderesse conteste aussi que les demanderesses puissent
invoquer l'art. 239 CP, leurs intérêts privés n'étant garantis selon elle
que par les dispositions relatives aux infractions contre le patrimoine
(art. 137 ss CP). Or l'art. 239 figure au titre neuvième, parmi les
crimes ou délits contre les communications publiques; il a pour objet
non pas de protéger les intérêts des particuliers, mais de préserver,
dans l'intérêt général, le bon fonctionnement des services publics.

    Cette interprétation est erronée. L'art. 239 ch. 1 al. 2 et ch. 2
CP réprime les actes qui empêchent, troublent ou mettent en danger,
intentionnellement ou par négligence, l'exploitation d'un établissement
ou d'une installation servant à distribuer au public l'eau, la lumière,
l'énergie ou la chaleur. Il a pour but de protéger, outre les intérêts de
ces entreprises, ceux des abonnés, qui font précisément partie du public
visé par la disposition légale (RO 101 Ib 256). Celui qui provoque la
rupture d'une conduite d'eau, d'un câble électrique, d'une canalisation
de gaz ou de chauffage à distance et interrompt par là l'exploitation du
service de distribution porte atteinte aux intérêts de l'entreprise chargée
de ce service, mais aussi à ceux des abonnés que cette exploitation permet
d'approvisionner en eau, électricité, gaz ou chaleur. Le droit personnel
de l'abonné à cet approvisionnement, issu du contrat avec l'entreprise de
distribution, est directement lésé par l'infraction que réprime l'art. 239
ch. 1 al. 2 et ch. 2 CP, de même que le droit personnel du locataire à
l'usage de la chose louée est lésé par les actes visés à l'art. 145 CP
(RO 74 IV 7). En l'espèce, le droit personnel des demanderesses d'être
alimentées en énergie électrique a été lésé par l'interruption de
l'exploitation du service de distribution.

Erwägung 5

    5.- Selon la jurisprudence, l'acte illicite ne consiste pas
nécessairement dans une atteinte portée à un droit subjectif; l'art. 41
al. 1 CO oblige celui qui, par sa faute, transgresse une injonction
juridique à réparer le dommage qu'il cause ainsi à autrui, même s'il
ne peut être question d'un droit subjectif de la victime; il suffit
que la prescription violée ait pour but de protéger le lésé dans les
droits atteints par l'acte incriminé (RO 30 II 571, 41 II 685, 75 II
212 s. consid. 3, 90 II 279 consid. 4 et les arrêts cités, 94 I 642
s. consid. 5, RO 101 Ib 255 s., consid. 2c et d). Commet donc un acte
illicite celui qui lèse un intérêt privé protégé implicitement par une
norme pénale édictée dans un but d'intérêt général (DESCHENAUX/TERCIER,
La responsabilité civile, p. 73 ch. 2.1.2; DESCHENAUX, Norme et causalité
en responsabilité civile, dans Stabilité et dynamisme du droit dans la
jurisprudence du Tribunal fédéral suisse, p. 418-420).

    L'art. 239 ch. 1 al. 2 et ch. 2 CP tend aussi, on l'a vu, à protéger
les intérêts des abonnés contre les atteintes que leur portent les actes
tombant sous le coup de cette disposition. Celui qui empêche, trouble
ou met en danger l'exploitation d'un établissement ou d'une installation
servant à distribuer au public l'eau, la lumière, l'énergie ou la chaleur
commet un acte illicite à l'égard des abonnés qui sont privés de leur
approvisionnement à la suite de cet acte et subissent par là un dommage. La
rupture du câble du SIE assurant la fourniture d'énergie électrique aux
demanderesses constitue dès lors un acte illicite.

Erwägung 6

    6.- La défenderesse fait valoir que le dommage allégué n'a touché les
demanderesses qu'indirectement, par réflexe, et qu'il n'engage partant
pas sa responsabilité.

    a) Pour réfuter ce point de vue, le Tribunal cantonal se réfère
notamment à l'arrêt RO 97 II 221 ss, où la cour de céans a admis la
responsabilité de l'entrepreneur qui avait endommagé lors de travaux
de fouilles le câble électrique alimentant l'entreprise demanderesse,
dont l'approvisionnement en électricité avait été interrompu pendant
plusieurs heures. La recourante conteste avec raison la pertinence de
cette référence, par rapport au problème du dommage direct ou indirect:
il ne résulte pas de l'état de fait que le câble touché appartenait à
Nordostschweizerische Kraftwerke AG, et non pas à la demanderesse, et
le Tribunal fédéral examine uniquement si l'entrepreneur avait fourni la
preuve des moyens libératoires prévus par l'art. 55 CO, si le comportement
d'un tiers avait interrompu le lien de causalité et s'il y avait lieu à
réduction des dommages-intérêts.

    b) On doit admettre que les demanderesses sont des lésées directes,
considère le jugement déféré, parce que le débiteur de l'obligation de
leur fournir du courant électrique a toujours été à même de s'exécuter,
la réserve d'énergie nécessaire ne faisant pas défaut au SIE.

    La recourante critique à juste titre cette argumentation. Ce qui est
déterminant, c'est qu'en dépit de la réserve d'énergie dont il disposait,
le SIE a été empêché d'approvisionner les demanderesses en électricité,
du fait de la rupture du câble provoquée par l'employé de la défenderesse.

    c) La défenderesse estime que les demanderesses ne sont
qu'indirectement lésées, parce qu'elles n'ont simplement pas obtenu
l'énergie électrique que devait leur fournir le SIE, lésé direct, qui
n'a pu exécuter son obligation contractuelle en raison du dommage qu'il
a lui-même subi.

    Cette argumentation ne vaudrait cependant que si l'on considérait
que l'art. 239 ch. 1 al. 2 et ch. 2 CP n'a pas pour but, à côté d'autres
fins, de protéger les intérêts privés des abonnés d'une entreprise de
distribution au public d'énergie électrique. La question de savoir si les
demanderesses sont lésées directement ou indirectement se recouvre ainsi
avec celle de l'illicéité de l'acte incriminé. Or on a vu que contrairement
à l'opinion de la recourante, l'art. 239 ch. 1 al. 2 et ch. 2 CP, qui est
certes édicté dans un but d'intérêt général, vise en outre à protéger
l'intérêt privé des abonnés à être approvisionnés en électricité.
La rupture du câble du SIE ayant atteint les demanderesses dans cet
intérêt, elles sont les victimes directes d'un acte illicite et peuvent
demander à la défenderesse réparation du dommage qu'elles ont subi. Cette
conclusion s'impose, que l'on examine l'exigence du but de protection de
l'injonction juridique transgressée sous l'angle du rapport de causalité
adéquate ou de la relation d'illicéité (RO 101 Ib 256; cf. les arrêts
RO 75 II 212 s. consid. 3 et 94 I 643, critiqués par MERZ, RJB 106/1970
p. 85 s. et par DESCHENAUX, op.cit. p. 413 ss). En tant qu'elles invoquent
l'art. 239 ch. 1 al. 2 et ch. 2 CP, la situation des demanderesses diffère
ainsi totalement de celle du créancier qui, sans pouvoir se prévaloir de
la protection d'une norme pénale, n'obtient simplement pas l'exécution
d'une obligation contractuelle à la suite d'un acte illicite dont son
débiteur est victime. Seul le débiteur, directement lésé par cet acte,
peut exiger réparation de son auteur, à l'exclusion du créancier victime
d'un dommage consécutif à l'inexécution de la prestation qui lui était due
(cf. RO 57 II 181, 63 II 21 consid. 5, 82 II 38 consid. 4a).

Entscheid:

            Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette le recours et confirme le jugement rendu le 3 novembre 1975
par la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois.