Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 102 II 232



102 II 232

34. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 6 juillet 1976 dans la
cause Taulemesse contre Badoux. Regeste

    Haftung des Tierhalters (Art. 56 OR). Natur der Haftung,
Entlastungsbeweis (Erw. 1). Adäquater Kausalzusammenhang (Erw. 2),
Mitverschulden des Verletzten (Erw. 3).

    Art. 46 Abs. 1 OR. Erschwerung des wirtschaftlichen Fortkommens
bejaht, obschon das vom Verletzten geleitete Unternehmen sich nach dem
Unfall normal weiterentwickelte (Erw. 6).

    Genugtuung (Erw. 7).

Sachverhalt

    A.- Robert Taulemesse, ressortissant français né le 24 février
1935, est négociant indépendant en grains, vins en gros, matériaux de
construction et de charbon à Landos (Haute-Loire, France). En novembre
1969, il a effectué un voyage en Suisse romande. Le 10 novembre 1969,
dans la matinée, alors qu'il marchait dans les bois du Jorat avec sa
femme et des amis, il a décidé de se rendre au Chalet-des-Enfants, dont
un promeneur lui avait signalé la proximité. Le Chalet-des-Enfants est
un domaine agricole isolé qui comporte plusieurs bâtiments - dont un
petit café-restaurant - qui appartient à la commune de Lausanne et qui
est exploité par Adrien Badoux.

    Après avoir suivi la route qui relie le Chalet-à-Gobet au
Chalet-des-Enfants, Taulemesse et ses amis ont emprunté sur leur gauche un
sentier qui montait en oblique vers les bâtiments du domaine. Ce sentier,
bien marqué, constituait un raccourci conduisant au café-restaurant depuis
la route, et était habituellement utilisé par le fermier pour se rendre à
une grange sise en contrebas du terre-plein où sont implantés les autres
bâtiments de l'exploitation agricole. L'accès normal au café-restaurant
du Chalet-des-Enfants se fait par la route, qui décrit un arc de cercle
à gauche. Lorsque Taulemesse et ses amis se sont engagés sur ce sentier,
d'autres personnes venant du café-restaurant le parcouraient en sens
inverse. Il n'y avait pas d'avis d'interdiction de passer, ni aucune
clôture ou pancarte marquant la limite entre la partie du terre-plein
accessible aux clients du café-restaurant et celle réservée à l'agriculteur
et à ses ouvriers.

    Arrivés en haut du sentier, Taulemesse et ses amis ont débouché sur
le terre-plein qui forme une vaste cour, bordée d'immeubles de trois
côtés. Ils voyaient à leur gauche, un peu en retrait, une grange avec
une porte au milieu; devant la grange, à droite de la porte, soit tout à
l'extrémité du terre-plein par rapport à leur sens de marche, il y avait
un silo en construction. A la droite de Taulemesse, légèrement en arrière,
se trouvait un long bâtiment comportant les écuries et la porcherie; en
avant, l'habitation du fermier était prolongée par le café-restaurant
et la terrasse de celui-ci. Taulemesse s'est dirigé vers le silo en
construction, qui était implanté dans une fosse en ciment de 4 à 5 m
de profondeur, bordée sur deux côtés (côté grange et côté restaurant)
par un muret d'environ 40-50 cm de hauteur. Ce muret, visible depuis le
terre-plein, était très proche de la paroi arrondie du silo à l'endroit
où se trouvaient fixés des échelons donnant accès à une porte. Il y avait
à proximité une latte rouge et blanche telle que celles que l'on utilise
pour signaler les chantiers.

    Alors que Taulemesse et son ami Legrand passaient, en se dirigeant
vers le silo, devant la porte de la grange restée ouverte, un gros chien
de garde en est brusquement sorti. Ce chien, qui appartenait à Badoux,
était attaché dans la grange par une chaîne lui permettant d'en sortir
sur une distance de 3 à 4 m. Il s'est précipité sur Legrand et lui a
déchiré son manteau. Pris de peur, Taulemesse s'est sauvé en courant
en direction du silo, a franchi le muret et cherché à s'agripper aux
échelons de l'échelle du silo, qu'il a manqués de justesse, tombant au
fond de la fosse. Il en a été retiré par ses amis et un ouvrier de Badoux,
puis porté dans la cuisine du restaurant du Chalet-des-Enfants.

    Atteint d'une fracture par tassement de la première vertèbre lombaire
avec troubles neurologiques, Taulemesse a été hospitalisé à Lausanne
jusqu'au 27 novembre 1969. Il a ensuite subi en France une opération et,
durant quatre mois, un plâtrage de la racine des cuisses aux épaules,
suivi d'une rééducation musculaire.

    B.- Après un commandement de payer notifié au début de novembre 1970,
pour la somme de 52'000 fr., et frappé d'opposition totale, Taulemesse
a ouvert action contre Badoux par demande du 11 mars 1971, en paiement
de 59'210 fr. 02 avec intérêt à 5% dès le 1er janvier 1970, à titre de
dommages-intérêts et d'indemnité pour tort moral.

    Le défendeur a conclu à libération. Il a évoqué en garantie la commune
de Lausanne, en demandant qu'elle le relevât de toute condamnation qui
pourrait être prononcée contre lui.

    Le demandeur a augmenté ses conclusions le 17 avril 1973, réclamant
le paiement de 188'928 fr. avec intérêt à 5% dès le 1er janvier 1970 en
plus des 59'210 fr. 02.

    Le défendeur a excipé de prescription en ce qui concerne la somme de
188'928 fr.

    Par jugement du 3 février 1976, la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois a condamné le défendeur à payer au demandeur la somme de 19'092
fr. 96 avec intérêt à 5% l'an dès le 1er juillet 1970 sur 2'233 fr. 63,
dès le 1er juillet 1970 sur 9'231 fr. 62 et dès le 1er avril 1972 sur
7'626 fr. 80. Elle a rejeté toutes autres conclusions, notamment celles
du défendeur contre la commune de Lausanne.

    C.- Le demandeur recourt en réforme au Tribunal fédéral en reprenant
les conclusions qu'il avait formulées en instance cantonale (paiement
par le défendeur de 59'210 fr. 02 et 188'928 fr., avec intérêt à 5% dès
le 1er janvier 1970 sur chacune de ces sommes; main-levée définitive de
l'opposition faite par le défendeur au commandement de payer No 199659
de l'Office des poursuites de Lausanne-Est).

    Le défendeur a formé un recours joint, concluant au rejet de la
demande.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Selon l'art. 56 CO, en cas de dommage causé par un animal,
la personne qui le détient est responsable, si elle ne prouve qu'elle
l'a gardé et surveillé avec toute l'attention commandée par les
circonstances ou que sa diligence n'eût pas empêché le dommage de se
produire. Cette disposition institue une responsabilité causale ordinaire
(ATF 85 II 246 s. consid. 2). Le détenteur est responsable dès qu'il a
objectivement violé son devoir de diligence, même si subjectivement on ne
peut lui faire de reproche. Il s'agit d'une responsabilité pour défaut de
surveillance (OFTINGER, Schweizerisches Haftpflichtrecht, II/1, 2e éd.,
p. 182; DESCHENAUX/TERCIER, La responsabilité civile, p. 113, 1.1). La
responsabilité du détenteur est en outre fondée sur des considérations
d'équité: il serait trop rigoureux d'imposer à la victime la preuve d'une
faute du détenteur, alors que celui-ci tire le plus souvent profit de
l'animal; on a peut-être aussi tenu compte d'un certain risque lié à
l'animal (DESCHENAUX/TERCIER, loc.cit.; cf. ATF 67 II 28).

    Le détenteur peut échapper à sa responsabilité en rapportant la preuve
libératoire réservée par l'art. 56 CO: cette exception vise l'ensemble
des mesures propres à empêcher l'animal de causer un dommage et que le
détenteur pouvait être tenu de prendre (ATF 39 II 539, 85 II 245). Le
détenteur ne saurait se contenter d'établir qu'il s'est conformé à un
usage. Le juge doit au contraire exiger la preuve stricte de l'exception
libératoire (ATF 41 II 242, 58 II 377, 67 II 28 s., 86 II 245).

    a) Les premiers juges considèrent avec raison qu'il faut déterminer
si le défendeur a pris les mesures adéquates, en tenant compte de toutes
les circonstances, et notamment du caractère mixte de son entreprise,
qui comporte non seulement une exploitation agricole, mais aussi un
café-restaurant ouvert au public. S'il était en soi légitime que le
défendeur eût un chien de garde, vu que sa ferme est isolée, il devait
prendre les mesures propres à écarter tout danger à l'égard des personnes
fréquentant son établissement.

    aa) Le chien était attaché par une chaîne longue de plusieurs
mètres. Cette précaution n'était cependant pas de nature à écarter
tout danger. Le jugement déféré retient comme un fait notoire qu'un
chien de garde est plus enclin à l'agressivité quand il est attaché que
lorsqu'il est en liberté, l'instinct de défense de son territoire étant
plus impérieux du fait de la limitation de son rayon d'action. En raison
de la longueur de la chaîne, le chien pouvait se tenir à l'intérieur
de la grange et n'être pas visible pour les clients se rendant au
café-restaurant. En l'espèce, il se trouvait précisément dans la grange;
le demandeur et Legrand ne l'ont pas vu. Les premiers juges estiment avec
raison que l'accident ne se serait vraisemblablement pas produit si le
chien du défendeur avait été attaché plus court.

    bb) La plaque portant "Attention au chien", fixée sur une paroi de
la grange, était très étroite, de petite dimension et était peu visible
pour les personnes débouchant du sentier emprunté par le demandeur. Ni lui
ni Legrand ne l'ont d'ailleurs aperçue. Cette plaque ne constituait dès
lors pas une mise en garde suffisante, propre à préserver les personnes
se rendant au café-restaurant du danger d'être attaquées par le chien. La
Cour cantonale estime que le défendeur aurait pu sans grands frais poser
un écriteau plus grand ou en placer encore un autre de l'autre côté de
la porte de la grange, pour indiquer d'une manière efficace aux clients
de son établissement de faire attention au chien. Une telle indication
aurait certes été utile en l'espèce. Mais l'opinion des premiers juges ne
saurait être comprise en ce sens qu'il suffirait au détenteur de placer à
l'endroit voulu une plaque "Attention au chien", d'une grandeur appropriée,
pour échapper en toutes circonstances à la responsabilité instituée par
l'art. 56 CO.

    cc) Selon le jugement déféré, on ne pouvait exiger du défendeur qu'il
interdise aux piétons d'utiliser le sentier emprunté par le demandeur
et les personnes qui l'accompagnaient ou qu'il clôture la partie du
terrain où le chien avait accès; mais il aurait été prudent, en raison du
caractère mixte du domaine, de marquer la limite entre le terrain librement
accessible au public et l'exploitation agricole où se trouvait le chien;
à cet effet, un écriteau placé en haut du sentier indiquant la direction
à suivre pour arriver au restaurant, ou un avis indiquant qu'il s'agissait
d'une exploitation agricole privée, aurait pu limiter le risque; de telles
mesures auraient suffi à fonder l'exception libératoire de l'art. 56 CO.

    dd) Il n'est pas nécessaire de juger si les précautions mentionnées
par la Cour cantonale auraient permis au détenteur du chien d'échapper à sa
responsabilité selon l'art. 56 CO. Quoi qu'il en soit, le défendeur n'a pas
établi qu'il a usé de toute l'attention commandée par les circonstances. Il
était tenu de prendre les mesures propres à empêcher que les clients se
rendant à son café-restaurant, sis à proximité immédiate de ses bâtiments
ruraux, ne soient exposés au danger d'être attaqués par son chien de
garde. L'accès aux bâtiments ruraux devait être interdit au public par
un écriteau bien lisible, indiquant le chemin à suivre pour parvenir au
café-restaurant sans passer par le terrain situé devant ces bâtiments. Le
chien devait en outre être attaché de manière qu'il lui fût impossible
d'attaquer des clients se trouvant dans un secteur où ils pouvaient
accéder. La prudence commandait aussi qu'un écriteau de dimensions
suffisantes et visible à une distance appropriée signalât au public de
faire attention au chien. Le défendeur n'a dès lors pas rapporté la preuve
stricte de l'exception libératoire, exigée selon la jurisprudence.

Erwägung 2

    2.- Constitue la cause adéquate d'un dommage tout fait qui, d'après le
cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, était propre en soi
à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, en sorte que la
survenance de ce résultat apparaît d'une manière générale favorisée par le
fait en question (ATF 96 II 396 consid. 2 et les arrêts cités; ATF 91 II
190 consid. 3, 93 II 337). Un fait peut, suivant les circonstances, être
la cause adéquate de conséquences même extraordinaires (ATF 93 II 338).

    En l'espèce, l'attaque du chien était propre, d'après le cours
ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à provoquer la frayeur
du demandeur, sa fuite et sa chute dans la fosse du silo qui était toute
proche, et partant les lésions corporelles qu'il a subies et le dommage
qui en est résulté. Les premiers juges ont dès lors admis avec raison
l'existence d'un rapport de causalité adéquate entre l'attaque du chien
et le dommage.

    Le défendeur prétend que, si le demandeur et ses compagnons s'étaient
dirigés non pas vers le silo mais vers le café-restaurant, le chien
n'aurait pas été surpris et ne se serait pas élancé hors de la grange;
la preuve en serait fournie par les personnes qui, sorties du café,
avaient croisé le demandeur après avoir parcouru le terre-plein du café
au sentier sans être inquiétées le moins du monde. Ce sentier, allègue
encore le défendeur, a été emprunté maintes fois avant et après l'accident
sans que jamais le chien ne trouble les personnes allant au café ou en
revenant. Sur ces points, le jugement déféré ne contient cependant aucune
constatation. Les faits invoqués par le recourant ne peuvent dès lors
pas être pris en considération.

    Le défendeur voit dans le fait que le demandeur et Legrand se sont
dirigés non vers le café-restaurant mais vers le silo en construction la
"cause initiale" de l'accident. Selon lui, "ce fait explique aussi, en
partie tout au moins, la fâcheuse résolution du demandeur de se jeter
sur les échelons de la porte du silo alors que le simple bon sens lui
commandait de s'écarter dans la direction du restaurant".

    Il est vrai que le demandeur, qui venait du sentier débouchant sur le
terre-plein, aurait pu se rendre au café sans aller vers le silo ni passer
devant la grange où se trouvait le chien. Mais rien ne lui indiquait qu'il
ne devait pas s'approcher de ces constructions. Il pouvait dès lors se
croire autorisé à circuler librement, sans danger, sur le terre-plein
pour parvenir au café-restaurant, notamment à passer devant la grange
et à proximité du silo, puis à longer le bâtiment à l'extrémité duquel
se trouvaient l'auberge et la terrasse garnie de chaises et de tables. La
petite plaque "Attention au chien" placée sur la paroi de la grange n'était
en particulier guère visible, et il ne l'a pas aperçue. Rien ne permettait
au demandeur et à ses amis de prévoir qu'un chien surgirait tout à coup de
l'un des bâtiments entourant le terre-plein accessible au public et les
attaquerait subrepticement. Or c'est cette attaque qui est à l'origine
de l'accident. Le fait que le chien, qui se trouvait à l'intérieur de la
grange et n'était pas visible, s'est précipité sur Legrand et a déchiré
le manteau de celui-ci était propre, selon le cours ordinaire des choses
et l'expérience de la vie, à effrayer le demandeur, à le pousser à fuir
en courant et à chercher à échapper à l'animal en grimpant à l'échelle
du silo. Les lésions corporelles consécutives à sa chute dans la fosse
sont ainsi en relation de causalité adéquate avec l'attaque du chien.

Erwägung 3

    3.- Les premiers juges considèrent que le réflexe de fuite du demandeur
vers le silo avec l'intention d'en agripper l'échelle était évidemment
inadéquat du seul fait déjà qu'il restait ainsi dans le rayon d'action du
chien; ce comportement est constitutif d'une faute concurrente qui apparaît
prépondérante dans le processus ayant abouti à l'accident; d'une part, la
réaction du demandeur consistant à fuir dans la seule direction qui ne lui
permettait pas de prendre du champ par rapport au chien était inopportune,
voire absurde; d'autre part, il a fait preuve dans sa hâte de maladresse
lorsqu'il a tenté d'agripper l'échelle du silo aisément accessible; le
demandeur n'a pas établi que le chien lui ait coupé la route et l'ait
rabattu obligatoirement vers le silo, ni qu'il l'ait personnellement
attaqué ou poursuivi dans cette direction, le réflexe de fuite étant
intervenu chez lui alors que le chien s'en prenait à Legrand. Dans ces
conditions, conclut la Cour cantonale, il se justifie d'imputer le 75%
du dommage au demandeur lui-même.

    Dans son recours, le demandeur critique sur ce point le jugement déféré
et conteste qu'une faute concomitante puisse être retenue à sa charge.

    a) Selon l'art. 44 al. 1 CO, le juge peut réduire les dommages-intérêts
ou n'en point allouer lorsque des faits dont la partie lésée est
responsable ont contribué à créer le dommage, à l'augmenter, ou qu'ils
ont aggravé la situation du débiteur. Cette disposition parle de "faits"
dont la victime est responsable. Mais, en vertu du principe de la faute
qui prévaut en responsabilité aquilienne, ces faits doivent pouvoir être
imputés à faute à la victime; il faut que celle-ci ait eu subjectivement
un comportement répréhensible (DESCHENAUX/TERCIER, op.cit., p. 85, 4.1.1,
p. 86, 4.2.1). La faute concomitante suppose une négligence de la part du
lésé, le degré de la diligence que l'on pouvait exiger de lui s'appréciant
objectivement d'après les circonstances concrètes (cf. DESCHENAUX/TERCIER,
op.cit., p. 86, 4.2.1, p. 82, 2.2.2; OFTINGER, I, 4e éd., pp. 160, 162).

    Ne commet dès lors pas une telle faute la personne qui, pour échapper
à un danger auquel elle est subitement exposée, sans qu'il lui soit
imputable, effectue sous la pression de l'événement, dans le laps de
temps très court dont elle dispose, une manoeuvre qui se révèle après
coup inopportune, inadaptée à la situation ou maladroite (cf. OFTINGER,
I, 4e éd., p. 162). Vu les circonstances défavorables dans lesquelles se
trouve soudainement cette personne et la hâte dans laquelle elle doit agir,
on ne peut lui reprocher un manque de diligence si, pour se soustraire
au péril dont elle se sent brusquement menacée sans faute de sa part,
elle opère dans la précipitation un mouvement qui, à la réflexion,
apparaît avoir été inapproprié, voire contre-indiqué (cf. ATF 56 II 125).

    b) En l'espèce, on ne saurait faire grief au demandeur de s'être dirigé
vers le silo pour se rendre à l'auberge, puisqu'il n'y avait aucun avis
indiquant au public de ne pas s'approcher des bâtiments agricoles et que
les clients du café-restaurant avaient libre accès au terre-plein. Le
demandeur ne savait pas qu'un chien de garde se tenait dans la grange;
il ne connaissait pas les lieux et ignorait en particulier que derrière
le muret se trouvait une fosse en ciment de 4 à 5 m de profondeur,
dans laquelle le silo était construit. Le jugement déféré constate
qu'il fallait se pencher par-dessus le muret pour se rendre compte de
la profondeur de la fosse. Rien n'indique que le demandeur l'ait fait,
avant l'attaque du chien. Il ne voyait donc que le muret, le silo et
l'échelle qui y était installée.

    Lorsque le chien a bondi subrepticement hors de la grange et s'est jeté
sur Legrand dont il a déchiré le manteau, le demandeur a été pris de peur
et a cherché à échapper à l'attaque de l'animal en courant vers le silo et
en tentant de grimper à l'échelle. Cette réaction n'apparaît certes pas
la mieux appropriée à celui qui examine après coup les circonstances de
l'accident et réfléchit aux possibilités qui se présentaient au demandeur
pour se soustraire au péril dont il se sentait menacé. Mais il ne faut
pas perdre de vue qu'il n'avait pas le temps de la réflexion, qu'il
était sous le coup de la frayeur provoquée par l'attaque du chien contre
Legrand et qu'il devait agir très vite; au surplus, le jugement déféré
ne constate pas que le demandeur ait vu que le chien était attaché. Dans
ces conditions, il pouvait ne pas réaliser qu'en courant vers le silo,
il restait dans un rayon où le chien pouvait encore l'atteindre. Il a
fui dans cette direction pour grimper à l'échelle fixée au silo, pensant
se placer ainsi hors d'atteinte du chien, qui notoirement ne pouvait pas
gravir une échelle. La manoeuvre du demandeur n'était pas absurde, quand
bien même il se serait mis plus efficacement en sécurité en courant vers
le café-restaurant.

    c) Peu importe que le demandeur n'ait pas prouvé que le chien
l'empêchait d'aller dans une autre direction que celle du silo. Le fardeau
de la preuve d'une faute concomitante de la victime incombait au défendeur
(art. 8 CC). Il n'est pas non plus décisif que le demandeur n'ait pas
prouvé que le chien l'aurait attaqué ou poursuivi vers le silo. Du moment
que l'animal s'était jeté sur Legrand et lui avait arraché son manteau,
le demandeur avait tout lieu de se sentir en danger et de craindre d'être
lui aussi attaqué. Sa réaction de fuite, pour se soustraire à une telle
attaque, était dès lors instinctive et pleinement normale.

    d) Le fait que, dans sa hâte d'échapper au chien qui s'était jeté
soudainement sur Legrand, le demandeur a été malhabile et n'a pas
réussi à saisir les échelons fixés sur le silo ne peut lui être imputé
à faute. Cette maladresse ne constitue pas une négligence, vu la frayeur
et le désarroi provoqués par l'attaque du chien et la précipitation dans
laquelle le demandeur a dû faire sa manoeuvre.

    Aucune faute concomitante ne peut dès lors être retenue à la charge
du demandeur, ce qui entraîne le rejet du recours joint du défendeur.

Erwägung 6

    6.- Selon le jugement déféré, le demandeur n'a pas droit à une
indemnité pour atteinte à son avenir économique, car l'expert-comptable
conclut dans son rapport complémentaire que "toute incidence notable de
l'accident devrait cesser dès l'exercice 1973/1974"...

    c) Il n'est pas décisif que, malgré les séquelles permanentes de
l'accident dont le demandeur est atteint et l'invalidité qui en résulte,
le rendement de son entreprise n'ait pas baissé et qu'il ait même suivi
une progression jugée normale par l'expert-comptable.

    Le demandeur n'est pas seul à travailler dans l'entreprise. Il a des
employés (au nombre de trois avant l'accident et de quatre pendant son
incapacité totale de travail) qui s'occupent des livraisons par camion et
de la manutention; sa femme accomplit des tâches administratives; depuis
l'accident, il a en outre une secrétaire. Mais le demandeur ne peut plus
conduire un camion en dehors d'un rayon de 20 km, ni soulever des charges
supérieures à 10 ou 20 kg. Il ne peut plus se déplacer en camion auprès de
ses fournisseurs, qui sont en même temps ses clients; or cette activité,
qu'il accomplissait avant l'accident, était selon l'expert-comptable
aussi importante pour la bonne marche de l'entreprise que les travaux
administratifs exécutés par le demandeur et que les contacts qu'il a
depuis son bureau avec d'autres catégories de clients.

    L'expert-comptable se borne à constater que, malgré l'invalidité
du demandeur, les affaires de son entreprise ont suivi une progression
linéaire qui n'a pas été influencée par les séquelles permanentes de
l'accident. Mais il ne dit pas que l'entreprise n'aurait pas été encore
plus prospère et de meilleur rendement si le demandeur avait conservé
sa pleine capacité de travail. Or il y a lieu d'admettre, selon le
cours normal des choses, que tel aurait été le cas. D'autre part, en cas
d'évolution défavorable des conditions économiques, l'entreprise pourrait
mieux faire face à la situation si la capacité de travail de son chef
n'était pas réduite dans une mesure notable. A l'époque de l'accident,
le demandeur avait 44 ans. L'activité physique qu'il déployait dans son
travail aurait pu, sans l'accident, continuer encore pendant bien des
années, même si elle était appelée à diminuer avec l'âge ainsi que le
relève le jugement déféré. Si les séquelles permanentes de l'accident n'ont
pas de répercussion sur les capacités intellectuelles du demandeur, il
reste que les douleurs quasi constantes dont il souffre - sauf en position
couchée - dans la région dorso-lombaire, de même que la méralgie droite,
constituent une gène qui est de nature à influer défavorablement sur son
activité commerciale et administrative. On doit enfin considérer que si le
demandeur devait changer de profession et s'adonner à une autre activité
lucrative, son invalidité constituerait un handicap certain. Compte tenu
de tous ces éléments, il y a lieu d'arrêter à 20% le degré de l'atteinte
portée à l'avenir économique du demandeur, résultant de l'invalidité
médicale fixée à 35% par le Dr Borel.

Erwägung 7

    7.- Du moment qu'aucune faute concomitante n'est retenue à la charge
du demandeur, le motif tiré d'une faute prépondérante, admis par la Cour
cantonale pour lui refuser une indemnité à titre de réparation morale,
tombe.

    La gravité de la faute de l'auteur du dommage n'est pas une
condition de l'allocation d'une indemnité pour tort moral à la victime
de lésions corporelles, selon l'art. 47 CO, lorsqu'on est en présence
d'une responsabilité causale (ATF 74 II 210 ss consid. 8, 81 II 518
consid. 5, 88 II 528 consid. 5). La responsabilité du défendeur comme
détenteur d'animal, en vertu de l'art. 56 CO, est une responsabilité
causale ordinaire. Au surplus, il a commis une faute qui justifie qu'une
indemnité pour tort moral soit allouée au demandeur.

    Vu les lésions graves subies par ce dernier, les douleurs qu'il a
endurées et celles dont il souffre d'une manière quasi constante, la
durée de ses hospitalisations, les traitements et l'opération auxquels
il a dû se soumettre et l'invalidité dont il est atteint, il y a lieu de
fixer à 8'000 fr. l'indemnité pour tort moral qui lui est due.

Entscheid:

            Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette le recours joint du défendeur. Admet le recours du demandeur,
annule le jugement attaqué et renvoie la cause à la Cour civile du
Tribunal cantonal du canton de Vaud pour nouveau jugement dans le sens
des considérants.