Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 102 II 18



102 II 18

4. Arrêt de la Ire Cour civile du 19 janvier 1976 dans la cause Favre
contre Roncin. Regeste

    Art. 328 Abs. 2, 47 OR.

    Haftung des Arbeitgebers, der es unterlässt, vom Arbeitnehmer den
Gebrauch der gesetzlich vorgeschriebenen Sicherheitsvorrichtungen zu
verlangen (Erw. 1).

    Bestimmung der Genugtuungssumme unter Berücksichtung des Verschuldens
des Haftpflichtigen und des Opfers (Erw. 2).

Sachverhalt

    A.- Gérard Roncin travaillait comme Plâtrier, rémunéré à la tâche,
au service de la société en nom collectif E. Favre et Fils. Le 25 avril
1972, il a reçu un éclat dans l'oeil gauche alors qu'il posait un plafond
suspendu sur un chantier à Chardonne, en enfonçant des clous au moyen d'un
pistolet à explosifs. Selon l'art. 13 de l'ordonnance du Conseil fédéral
concernant la prévention des accidents lors de l'utilisation d'appareils
de fixation instantanée actionnés par une charge explosive, il aurait dû
porter pour ce travail des lunettes de protection avec verres de sécurité,
ainsi qu'un casque de sécurité. Il ne les portait cependant pas, quand
bien même des lunettes se trouvaient dans le coffret où l'on rangeait le
pistolet. En général, Roncin n'employait pas ces moyens de protection,
qui le gênent pour travailler. A la suite de l'accident du 25 avril 1972,
il a été hospitalisé durant trois semaines et a suivi un traitement médical
de plus d'une année. Il a repris son travail à 100% le 10 janvier 1973.

    Le 26 juillet 1973, le médecin a diagnostiqué "une perte fonctionnelle
de l'oeil gauche certaine". Le 26 octobre, la Caisse nationale suisse
d'assurance en cas d'accidents a accordé à Roncin une rente mensuelle de
285 fr., à partir du 10 janvier 1973, correspondant à une incapacité de
travail permanente de 25%.

    B.- Roncin a ouvert action contre la société E. Favre et Fils en
paiement de 12'000 fr. avec intérêt, à titre de réparation du tort moral.

    La défenderesse a conclu à libération.

    Par jugement du 28 octobre 1975, la Cour civile du Tribunal cantonal
vaudois a condamné la défenderesse à payer au demandeur 4'000 fr. avec
intérêt à 5% dès le 25 avril 1972. Elle a estimé à 8'000 fr. l'indemnité
pour tort moral, mais elle a réduit cette somme de moitié pour faute
concurrente du demandeur.

    C.- La défenderesse recourt en réforme au Tribunal fédéral en reprenant
ses conclusions libératoires.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- L'art. 328 al. 2 CO astreint l'employeur à prendre, pour protéger
la vie et la santé du travailleur, les mesures commandées par l'expérience,
applicables en l'état de la technique, et adaptées aux conditions de
l'exploitation ou du ménage, dans la mesure où les rapports de travail
et la nature du travail permettent équitablement de l'exiger de lui. Pour
satisfaire à cette obligation, l'employeur doit informer le travailleur des
risques inhabituels, que celui-ci ne connaît pas, ainsi que des mesures
à prendre pour les éviter, et veiller à l'application scrupuleuse de ces
mesures (RO 83 II 29 consid. 2, 89 II 225, 95 II 137 ss, 100 II 354).

    La défenderesse n'a pas violé l'obligation d'instruire le demandeur:
il ressort du jugement déféré que celui-ci n'a pas contesté avoir connu la
disposition prescrivant l'emploi de lunettes et d'un casque de protection.

    En revanche, elle n'a pas suffisamment surveillé le demandeur ni
insisté pour qu'il se conformât à cette prescription. Les premiers juges
constatent de manière à lier le Tribunal fédéral qu'"elle connaissait
le comportement habituel du demandeur, qui travaillait sans lunettes de
protection", et qu'elle tolérait ce comportement. Cela ressort également
du témoignage - cité dans le recours en réforme - du chef de chantier
Denis Favre, qui a constaté sur le chantier de Chardonne que Roncin
et son collègue Galifier n'utilisaient pas le casque et les lunettes,
mais qui déclare n'avoir pas insisté pour l'usage de ces appareils de
sécurité. Christian Favre, associé de la défenderesse, a fait la même
constatation sur d'autres chantiers.

    La défenderesse ne cherche d'ailleurs pas à nier cette omission, mais
elle croit pouvoir la justifier. Elle se trompe cependant lorsqu'elle
prétend avoir satisfait à son obligation en mettant les appareils de
sécurité à la disposition de ses ouvriers, et lorsqu'elle entend rendre
le demandeur seul responsable du fait qu'ils n'ont pas été utilisés. Elle
fait valoir en vain qu'"en période de haute conjoncture surtout, le patron
gypsier ne peut intervenir avec trop de vigueur à l'égard des tâcherons,
au risque de compromettre l'exécution du travail", et que "s'il se montre
trop strict dans la surveillance de l'emploi des appareils de sécurité,
il s'expose à voir le tâcheron quitter le chantier où il ne gagne pas
suffisamment à son gré", les tâcherons étant très réticents à l'égard des
mesures de sécurité "qui leur font perdre du temps et les gênent dans leur
travail". La santé et l'intégrité corporelle du travailleur - y compris
le travailleur à la tâche - ne sauraient être sacrifiées à son confort et
à son désir de réaliser un gain plus élevé, ni au voeu de l'employeur de
garder son employé. Rien au dossier ne permet d'ailleurs d'admettre que le
demandeur aurait quitté sa place si la défenderesse avait exigé l'emploi
des appareils de sécurité. Au contraire, la défenderesse elle-même cite la
déclaration du témoin Galifier, selon laquelle certains ouvriers auraient
été congédiés pour n'avoir pas suivi les instructions relatives aux mesures
de sécurité, ainsi que celle du témoin Vuffray, qui pense qu'il se serait
exposé à être congédié s'il avait "refusé d'obéir à MM. Favre en ce qui
concerne la façon de travailler". Quoi qu'il en soit, la défenderesse
aurait dû s'accommoder d'une résiliation du contrat de travail par l'une
ou l'autre partie si, en dépit d'une surveillance et d'avertissements
appropriés, elle n'avait pu obtenir l'emploi strict des lunettes et du
casque de sécurité. Par sa passivité, elle a contrevenu, de façon fautive,
à ses obligations contractuelles. Peu importe l'accord du demandeur, voire
son désir de travailler sans lunettes ni casque; l'art. 362 CO interdit
de déroger au détriment du travailleur aux prescriptions de l'art. 328.

Erwägung 2

    2.- Il appartient au juge d'apprécier, compte tenu des circonstances
particulières de l'espèce, si et dans quelle mesure une indemnité est
due à titre de réparation morale (art. 47 CO).

    La défenderesse connaissait l'obligation de porter les lunettes et
le casque de protection lors de l'emploi du pistolet à explosifs. Elle
savait aussi que le demandeur ne se conformait pas toujours à cette
obligation. Elle s'est sciemment abstenue d'intervenir. Il n'est
pas nécessaire de rechercher si elle l'a fait par égard pour le
demandeur, qui préférait travailler sans ces appareils de sécurité,
ou dans son propre intérêt. Dans l'une et l'autre hypothèse, elle a
contrevenu intentionnellement à son obligation. Elle aurait dû prendre
en considération la possibilité d'un accident. Elle a ainsi commis une
faute en relation de causalité avec l'accident, qui ne peut être qualifiée
de légère.

    De son côté, le demandeur répond d'une faute concurrente, d'importance
à peu près équivalente. Selon l'art 7 de la loi sur le travail, il devait
utiliser correctement les dispositifs de sécurité mis à sa disposition. Il
était conscient de cette obligation et aurait dû envisager les conséquences
possibles de son comportement. Les motifs qui l'ont poussé à s'abstenir
d'utiliser les lunettes de protection n'aggravent pas notablement sa
faute. L'expérience montre que la tentation est forte pour l'ouvrier de
travailler le plus commodément possible et de réaliser un gain élevé. Cette
tentation s'est trouvée accrue, du fait de la passivité de la défenderesse.

    Le tort subi par le demandeur est grave: il a été incapable de
travailler durant plusieurs mois et il a subi une perte fonctionnelle
permanente d'un oeil; le jugement déféré constate de surcroît qu'il est
préoccupé par la crainte de devenir aveugle et que, depuis son accident,
il se montre moins gai et plus nerveux. La défenderesse soutient à
tort que la rente de la Caisse nationale, allouée au demandeur bien
qu'il gagne sa vie "sans subir une perte de salaire quelconque", couvre
"précisément les éléments constitutifs du tort moral". Il n'est pas établi
et il est même peu probable que le demandeur, qui travaille à la tâche,
gagne autant que s'il n'avait pas perdu l'usage de l'oeil gauche. Il n'est
pas non plus prouvé qu'il puisse toujours garder son emploi et qu'en cas
de changement de place, il ne soit pas handicapé du fait qu'il n'a plus
qu'un oeil. Au surplus, la réparation du tort moral est due indépendamment
des conséquences économiques de l'accident, puisqu'elle est destinée à
compenser non pas ces conséquences, mais une atteinte au bien-être moral.

    En arrêtant à 8'000 fr. l'indemnité pour tort moral que pourrait
réclamer le demandeur, mais en réduisant cette somme de moitié pour
faute concurrente, l'autorité cantonale n'a pas excédé son pouvoir
d'appréciation. Son jugement doit partant être confirmé.

Entscheid:

            Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette le recours et confirme le jugement attaqué.