Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 102 IA 1



102 Ia 1

1. Arrêt de la Cour de cassation pénale du 16 janvier 1976, dans la
cause D. contre Procureur général du canton de Genève. Regeste

    Art. 4 BV: Gesetzeslücke, Willkür.

    Ein kantonales Kassationsgericht handelt nicht willkürlich, wenn es -
mangels einer ausdrücklichen Bestimmung im kantonalen Prozessrecht - selber
Entscheidungen begründet, die Gegenstand einer Nichtigkeitsbeschwerde an
das Bundesgerichts sein können (Erw. 2 lit. d und e); Voraussetzung ist
jedoch, dass das rechtliche Gehör gewährt wird (Erw. 2 lit. f).

Sachverhalt

    A.- Le 10 octobre 1974, la Cour correctionnelle de Genève (sans
jury) a reconnu D. coupable du crime de souteneur commis par cupidité.
Elle l'a condamné à la peine de 24 mois d'emprisonnement, sous déduction
de la préventive, et à une amende de 10'000 fr.

    Le 18 février 1975, la Cour de cassation de Genève a rejeté un recours
du condamné.

    Par arrêt du 23 mai 1975, le Tribunal fédéral a admis partiellement un
pourvoi en nullité de D., annulé l'arrêt de la Cour de cassation cantonale
et renvoyé la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le
sens des considérants. Les motifs de l'arrêt étaient en bref les suivants:
l'arrêt cantonal n'étant pas motivé quant à la peine infligée au recourant,
le Tribunal fédéral n'est pas en mesure de vérifier si l'art. 63 CP a
été correctement appliqué; l'arrêt cantonal doit dès lors être annulé en
vertu de l'art. 277 PPF (arrêt publié au RO 101 IV 132).

    B.- Statuant derechef le 7 octobre 1975, à la suite de cette
annulation, la Cour de cassation genevoise a confirmé son arrêt du 18
février 1975, rejeté le recours de D. et prononcé que la peine infligée par
les premiers juges le 10 octobre 1974 était justifiée eu égard notamment
aux mobiles et à la situation personnelle du condamné, tels qu'elle les
a elle-même résumés dans ses considérants.

    Dans ses considérants, la cour cantonale complète en effet son arrêt
du 18 février 1975. Elle constate qu'il résulte du dossier pénal que
le recourant a reçu de sa femme, pendant près de six mois, plusieurs
milliers de francs provenant du métier de proxénète qu'elle exerçait;
qu'il a menti en prétendant avoir gagné sa vie normalement en Espagne;
que sa conduite est d'autant plus répréhensible qu'il aurait parfaitement
pu exercer un métier honnête eu égard à sa formation; que son comportement
ne peut s'expliquer que par le fait que l'on se trouve en présence d'un
individu dont les traits essentiels sont la paresse, l'absence de scrupules
et la bassesse de caractère. L'arrêt se réfère en outre à une condamnation
à cinq jours de prison avec sursis datant de 1945 et au comportement du
recourant durant l'enquête. En conclusion, l'autorité cantonale estime
que la Cour correctionnelle, en fixant la peine, est non seulement restée
dans les limites prévues par la loi, mais qu'elle a équitablement apprécié
la gravité des actes en fonction aussi bien du caractère répréhensible du
délit que du mobile et de la situation personnelle du condamné. De plus,
la Cour de cassation cantonale a rejeté une requête du recourant tendant
au renvoi de la cause à la Cour correctionnelle, considérant qu'elle
disposait des compétences nécessaires pour motiver la condamnation.

    C.- En même temps qu'il formait un pourvoi en nullité, D. a interjeté
un recours de droit public au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal du
7 octobre 1975. Il invoque une violation de l'art. 4 Cst. résultant selon
lui de l'application arbitraire des dispositions cantonales de procédure.

    La Cour de cassation genevoise et le Procureur général de Genève
concluent au rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Le recourant soutient qu'en décidant de motiver elle-même la
condamnation, la cour cantonale s'est arrogé une compétence que la loi de
procédure ne lui donne pas. Une telle décision serait arbitraire, parce
que manifestement contraire au sens et au but de la loi de procédure
et parce qu'elle aboutit à un résultat que le législateur ne peut avoir
voulu. Il fait valoir que l'art. 437 PP délimite d'une manière exhaustive
les pouvoirs de la Cour de cassation genevoise en matière de recours en
cassation; que cette Cour ne fait que contrôler la juste application de
la loi fédérale ou de la procédure, et cela du point de vue juridique
seulement, n'étant pas une Cour d'appel suprême; que ses pouvoirs sont
comparables à ceux de la Cour de cassation du Tribunal fédéral statuant
sur un pourvoi en nullité; qu'elle ne saurait dès lors se prononcer sur
les faits, ni les revoir ni, a fortiori, rechercher dans le dossier la
justification de telle appréciation des preuves à laquelle s'est livrée la
juridiction inférieure. Selon le recourant, il résulterait des art. 343 et
383 PP que, dans la présente cause, seule la Cour correctionnelle aurait
eu le pouvoir de fixer la peine; certes, en l'absence d'une disposition
expresse de la procédure pénale genevoise quant à la motivation de la
peine, un usage s'est établi à Genève, selon lequel le juge du fond
fixe la peine sans la motiver, mais comme le Tribunal fédéral a jugé
qu'une condamnation sans motivation de la peine empêchait le contrôle de
l'application de l'art. 63 CP, la peine devait désormais être motivée. Or
cette motivation impliquant une appréciation en fait et en droit, seule la
juridiction qui a le pouvoir de se prononcer aussi bien sur les faits que
sur le droit, c'est-à-dire ici la Cour correctionnelle, à l'exclusion de
la Cour de cassation, serait compétente pour motiver. Enfin, le recourant
s'en prend à deux arguments que la Cour de cassation cantonale a cru bon
de développer pour asseoir sa compétence.

Erwägung 2

    2.- a) Selon une jurisprudence constante, une décision est arbitraire
lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et
indiscuté ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment
de la justice et de l'équité (RO 100 Ia 6; 97 I 24, 352 et arrêts
cités). Arbitraire et violation de la loi ne sauraient cependant être
confondus. Pour être taxée d'arbitraire, la violation incriminée doit être
manifeste et reconnue d'emblée (RO 96 I 627 consid. 4 et citations).
Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution serait
concevable ou même préférable (RO 99 Ia 346 consid. 1). Le Tribunal
fédéral ne s'écarte de la solution adoptée par l'autorité cantonale de
dernière instance que si pareille solution apparaît comme insoutenable,
en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs
objectifs et en violation d'un droit certain (RO 96 I 627 consid. 4).

    b) La procédure pénale genevoise est dominée, en première instance,
par l'institution du jury. Le système instauré par le législateur prévoit
des débats oraux suivis d'une double délibération: dans la première
délibération, le jury statue seul sur la culpabilité de l'accusé et répond
par oui ou par non aux questions touchant aux faits de la cause (art. 318
ss PP); en cas de verdict de culpabilité et après nouvelles plaidoiries, le
jury, cette fois-ci avec la cour, délibère sur l'application de la peine
(art. 339 ss PP applicable en vertu d'un renvoi figurant à l'art. 383
PP). En dehors des réponses aux questions sur les faits, la loi de
procédure genevoise ne prévoit aucune motivation des arrêts.

    Ce système est applicable également à la Cour correctionnelle
sans jury, quand bien même elle n'est composée que de magistrats
professionnels. En effet, la procédure devant cette cour est réglée par
simple renvoi à la procédure avec jury (art. 384 à 388 PP). La comparution
devant cette cour dépendant de la volonté de l'accusé, qui renonce à
son droit de comparaître devant un jury (art. 384 PP), le législateur
s'est contenté de sanctionner l'absence de jury sans rien changer
par ailleurs à la procédure. Faute de dispositions sur la motivation,
la jurisprudence genevoise a considéré qu'une certaine liberté pouvait
exister à cet égard pour la Cour correctionnelle sans jury, puisque ni
la motivation ni l'absence de motivation ne sont contraires à la loi (SJ
1953 p. 9/10). L'usage général est toutefois de considérer que le code de
procédure genevois exclut la motivation des arrêts de la Cour d'assises
et de la Cour correctionnelle avec ou sans jury (cf. SJ 1957 p. 393/394).

    Contre les arrêts de la Cour d'assises et de la Cour correctionnelle,
le législateur genevois a instauré un recours en cassation devant la Cour
de cassation genevoise. A côté des violations de règles de procédure,
ce recours est ouvert lorsque la décision attaquée a violé la loi pénale
(art. 437 litt. a PP).

    En présence de jugements non motivés et d'états de faits constitués
par les réponses du jury au questionnaire, le pouvoir d'examen de la
Cour de cassation cantonale est forcément limité. Sur le fond, la Cour de
cassation est chargée de décider si la juridiction de première instance a
fait une erreur en appliquant la loi aux faits retenus. Elle doit accepter
les faits qui ont été admis par l'autorité compétente et uniquement dire,
sur la base de ceux-ci, si la juridiction inférieure a violé la loi ou
jugé arbitrairement, de manière manifestement contraire à l'intention du
législateur, en les interprétant, en les qualifiant ou en punissant comme
elle l'a fait (cf. J. GRAVEN, in "Le centenaire de la Cour de cassation
de Genève", p. 35/36, 40/41).

    c) Ce système a été ébranlé par l'institution du pourvoi en nullité
au Tribunal fédéral et par l'obligation faite aux autorités cantonales
de motiver en fait et en droit les décisions pouvant faire l'objet
de ce recours (cf. art. 277 PPF). Indépendamment de la question de
sursis, qui fait l'objet d'une règle fédérale particulière quant à la
motivation (art. 41 ch. 2 al. 2 CP), l'obligation de motiver n'a pu
poser véritablement de problème aux autorités judiciaires genevoises
ou au législateur cantonal qu'en matière de fixation de la peine ou
des mesures à prendre à l'égard du condamné. En effet, alors qu'elle
dispose en principe, quant aux faits constitutifs de l'infraction ou
aux éventuelles circonstances atténuantes, des éléments de faits devant
ressortir du questionnaire auquel il est répondu en première instance,
elle ne peut trouver dans celui-ci d'éléments semblables à propos des
mobiles, des antécédents et de la situation personnelle de l'accusé,
aucune question n'étant posée sur ces points aux premiers juges.

    Les exigences de la loi et de la jurisprudence fédérales en matière
de motivation de la peine, telles qu'elles ressortent des art. 277
PPF et 63 CP ainsi que de leur interprétation, se limitent à demander
aux autorités cantonales de dernière instance un résumé des éléments
essentiels de la culpabilité du condamné (RO 95 IV 62/63; 93 IV 58,
No 14, consid. c). L'arrêt rendu le 23 mai 1975 à l'égard du recourant
(RO 101 IV 132) ne constitue pas autre chose qu'un cas d'application de
ces règles. Or ces exigences, aussi modestes soient-elles, ont contraint
les juges genevois à trouver une solution de procédure leur permettant
de les satisfaire. La loi de procédure étant muette, il leur incombait,
et plus particulièrement à la Cour de cassation, de combler cette lacune
par voie jurisprudentielle. C'est ce que cette dernière a fait en décidant
de motiver elle-même la peine.

    d) Cette décision ne peut pas être qualifiée d'arbitraire. En présence
d'une situation non prévue par le législateur cantonal, face à une lacune
de la loi et à des principes contradictoires, la cour cantonale a choisi
une solution qui ne donne certes pas entièrement satisfaction - il ne
pouvait du reste en être autrement -, mais qui ne viole gravement aucune
norme ni aucun principe juridique clair et indiscuté.

    Aucune norme juridique cantonale précise n'empêche en effet la Cour
de cassation de motiver la peine en fait et en droit. Aucune règle de
procédure cantonale précise - qui correspondrait sur le plan cantonal à
l'art. 277 PPF sur le plan fédéral - n'impose à l'autorité de première
instance de fournir une motivation de la peine. La cour cantonale avait
donc à choisir entre deux solutions, motiver elle-même la peine ou charger
de cette tâche la juridiction de première instance. Il n'appartient
pas au Tribunal fédéral, statuant sur un recours de droit public, de
se prononcer sur le système qui, à ses yeux, eût été préférable; il
lui suffit de constater que celui qui a été choisi n'apparaît ni comme
insoutenable, ni en contradiction manifeste avec la situation effective,
ni adopté sans motifs objectifs, ni en violation d'un droit certain.

    e) Si la solution adoptée ne heurte donc gravement aucune norme de
droit cantonal claire et indiscutée, elle n'est par ailleurs contraire
à aucun principe du droit fédéral. En effet, les règles déduites de
l'art. 4 Cst. quant à la motivation des décisions obligent seulement
les tribunaux à mentionner, au moins brièvement, les motifs qui les ont
guidés et sur lesquels ils ont fondé leur sentence (RO 101 Ia 48); à cet
égard, les réponses fournies au questionnaire dressé sur les faits de la
cause peuvent être considérées comme suffisantes. En outre, d'une façon
générale, l'obligation de motiver, qui relève de la procédure, dépend au
premier chef du droit cantonal (art. 64bis Cst.; RO 98 Ib 195 consid. 2;
96 I 723; 93 I 120 et 702).

    Quant à la jurisprudence dégagée de l'art. 277 PPF par la Cour de
cassation du Tribunal fédéral à propos des jugements rendus par les jurys
(arrêt Schürch, BGE 78 IV 134), bien que ce domaine échappe à l'examen
de la Cour de droit public, il y a lieu de relever qu'elle ne vise et ne
peut viser que les jurys statuant en unique ou dernière instance cantonale.

    f) Certes par la solution qu'elle a adoptée la Cour de cassation
genevoise s'arroge, dans le domaine de la motivation de la peine, une
certaine cognition en matière de fait. Il lui incombe alors évidemment
de veiller à adapter sa procédure de façon à respecter le droit d'être
entendu découlant notamment de l'art. 4 Cst. Il n'y a toutefois pas lieu
d'examiner ce point plus avant, dès lors qu'il n'a pas été soulevé.

Entscheid:

             Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette le recours.