Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 101 IA 575



101 Ia 575

89. Extrait de l'arrêt du 5 novembre 1975 en la cause S. contre Conseil
d'Etat du canton de Neuchâtel. Regeste

    Legale Schwangerschaftsunterbrechung: Wohnsitzklausel.

    1. Eine kantonale Bestimmung, die von einer um Abbruch der
Schwangerschaft ersuchenden Schwangeren verlangt, dass sie seit mindestens
zwei Monaten im Kanton Wohnsitz hat, schränkt deren persönliche Freiheit
ein. Eine solche Beschränkung bedarf zu ihrer Zulässigkeit einer
gesetzlichen Grundlage, die in casu fehlt (E. 3).

    2. Die genannte kantonale Bestimmung widerspricht überdies Art. 120
StGB (E. 4).

Sachverhalt

    A.- Le 11 septembre 1968, le département de l'Intérieur du canton de
Neuchâtel a adopté, sur la base des art. 120 CP et 94 du code de procédure
pénale neuchâtelois (CPPN), un arrêté dont l'art. 2 a la teneur suivante:

    "Art 2. - Toute personne enceinte qui demande une interruption de
   grossesse doit être domiciliée dans le canton depuis deux mois au
   moins."

    Cet arrêté, entré en vigueur le 1er octobre 1968, n'a pas été publié;
il a été en revanche communiqué à l'ensemble du corps médical neuchâtelois
par circulaire du 17 septembre 1968.

    Le 18 juin 1974, le docteur G. a présenté une demande d'interruption de
grossesse pour dame S. Le médecin cantonal a refusé de désigner le médecin
spécialiste chargé d'examiner le cas de la requérante et de délivrer ou
de refuser l'avis conforme prévu à l'art. 120 CP, Dame S. n'étant pas
domiciliée dans le canton de Neuchâtel.

    Les recours formés contre cette décision auprès du chef du département
de l'Intérieur, puis du Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel, ont été
rejetés.

    Dans son recours de droit public, Dame S. soutient notamment que
l'art 2 de l'arrêté du 11 septembre 1968 est contraire au droit fédéral
et qu'il est dénué de toute base légale.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 3

    3.- a) L'art. 120 CP énonce les conditions auxquelles une interruption
de grossesse n'est pas punissable. Il faut que la grossesse soit
interrompue par un médecin diplômé, avec le consentement de la personne
enceinte et sur avis conforme d'un second médecin diplômé, en vue d'écarter
un danger impossible à détourner autrement et menaçant la vie de la mère
ou menaçant sérieusement sa santé d'une atteinte grave et permanente. Selon
l'alinéa premier, chiffre 2 de cette disposition, l'avis conforme doit être
donné par un médecin qualifié comme spécialiste en raison de l'état de
la personne enceinte et autorisé d'une façon générale ou dans chaque cas
particulier par l'autorité compétente du canton où la personne enceinte
a son domicile ou de celui dans lequel l'opération aura lieu.

    C'est en application de cette disposition que le département de
l'Intérieur du canton de Neuchâtel a pris l'arrêté du 11 septembre
1968. Celui-ci ne se borne toutefois pas à désigner l'autorité
compétente au sens de l'art. 120 al. 1 ch. 2 CP; il exige en outre que
la personne enceinte qui demande une interruption légale de grossesse soit
domiciliée dans le canton depuis deux mois au moins. Cette réglementation
a pour effet d'exclure pratiquement, dans la grande majorité des cas,
l'interruption de la grossesse de personnes domiciliées hors du canton
de Neuchâtel. Elle prive ces personnes de la possibilité de s'adresser,
pour de telles opérations, à un médecin pratiquant dans le canton de
Neuchâtel et d'y obtenir l'avis conforme sans lequel l'interruption est
punissable. C'est la raison pour laquelle la recourante soutient que la
décision entreprise viole sa liberté personnelle.

    La liberté personnelle garantit le droit de disposer librement
de son corps (RO 99 Ia 749). Le droit d'aller et de venir constitue
un élément de cette liberté; de celle-ci dérive également le droit à
l'intégrité corporelle. Le droit de disposer librement de son corps
implique aussi celui de la personne atteinte dans sa santé de choisir
librement son médecin; la personne enceinte, qui considère que son état
menace sérieusement sa santé d'une atteinte grave et permanente, a donc
le droit de s'adresser au médecin de son choix et d'obtenir, le cas
échéant, l'avis conforme prévu à l'art. 120 CP. La décision entreprise
a dès lors limité la liberté personnelle de la recourante, en mettant
obstacle à ce que cette dernière puisse recourir aux services du médecin
neuchâtelois auquel elle s'était adressée pour faire interrompre légalement
sa grossesse. Pour être admissible, une telle restriction doit se fonder
sur une base légale, respecter le principe de la proportionnalité et ne
pas aller jusqu'à vider la liberté personnelle de sa substance (RO 99 Ia
749, consid. 2 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine librement
l'existence de la base légale de la restriction contestée, lorsque, comme
en l'espèce, l'atteinte à la liberté personnelle est grave (RO 97 I 51/52).

    b) Selon le Conseil d'Etat, l'art. 2 de l'arrêté du 11 septembre
1968 aurait pour base légale les art. 120 CP et 94 du code de procédure
pénale neuchâtelois, du 19 avril 1945 (CPPN). Aux termes de cette dernière
disposition, il appartient au département de l'Intérieur de pourvoir à
la désignation des spécialistes visés par l'art. 120 CP. Cet article ne
donne donc pas expressément à ce département la compétence d'exiger de
toute personne enceinte qui présente une demande d'interruption légale
de grossesse qu'elle soit domiciliée dans le canton depuis deux mois au
moins; et l'on ne peut manifestement pas l'interpréter en ce sens qu'il
lui conférerait un tel pouvoir.

    c) L'autorité cantonale laisse entendre que l'art. 3 de la loi sur
la police sanitaire, du 17 novembre 1959, constituerait la base légale de
l'arrêté litigieux. Cette loi régit la police et la protection de la santé
et de l'hygiène publiques. L'art. 2 donne au Conseil d'Etat le pouvoir
d'édicter les règlements relatifs à la sauvegarde et à la protection de
la santé et de l'hygiène publiques, à la police sanitaire, à l'exercice
des professions médicales auxiliaires et paramédicales, ainsi qu'à la
police des pharmacies et des drogueries, alors que l'art. 3 charge le
département de l'Intérieur de la direction des affaires sanitaires. Il
est dès lors pour le moins douteux que le Conseil d'Etat puisse déléguer
au département de l'Intérieur la compétence d'édicter des règlements en
matière de police sanitaire. Cette question n'a toutefois pas à être
examinée en l'espèce, car il est évident que l'art. 3 de la loi sur
la police sanitaire ne peut en aucun cas constituer la base légale de
l'art. 2 de l'arrêté du 11 septembre 1968.
   d) Le Conseil d'Etat invoque enfin la clause générale de
police, qui l'autoriserait à prendre, même en l'absence de toute base
légale, les mesures propres à protéger l'ordre public, les biens de
l'Etat et ceux des particuliers, contre des atteintes graves, directes
et imminentes.

    A cet égard, il expose que l'art. 2 de l'arrêté du 11 septembre
1968 "constitue une mesure de police sanitaire qui tend à répondre
à un état de nécessité en sauvegardant le bon fonctionnement des
établissements hospitaliers neuchâtelois auprès desquels les cas
d'avortements sont, pour la plupart, acheminés". Dans sa réponse au
recours, le Conseil d'Etat relève que cette disposition réglementaire a
été proposée par la commission de déontologie de la société neuchâteloise
de médecine. L'augmentation massive des avortements en 1967 et en 1968,
due à l'afflux de personnes étrangères au canton, a jeté un grand trouble
au sein du corps médical. Plusieurs médecins se sont élevés contre la
réputation qu'acquérait le canton de Neuchâtel en matière d'avortements
et dont ils étaient les victimes, directes ou indirectes. Une comparaison
du nombre des avortements autorisés en 1967 dans le canton de Neuchâtel
avec celui des interruptions légales de grossesse pratiquées à la même
époque dans d'autres cantons démontrait que le seuil de tolérance avait été
dépassé de beaucoup. L'introduction de la clause de domiciliation devait
éviter la désorganisation des hôpitaux et des cliniques et préserver la
considération que mérite le corps médical.

    Il appartient certes aux cantons de prendre les mesures propres à
assurer le bon fonctionnement des établissements hospitaliers publics et
privés. Mais il ne ressort pas des documents produits en l'espèce par le
Conseil d'Etat que le fonctionnement du système hospitalier neuchâtelois
ait été véritablement mis en péril par l'augmentation du nombre des
interruptions de grossesse. Il apparaît plutôt que l'art. 2 de l'arrêté du
11 septembre 1968 a été adopté en vue de sauvegarder la bonne réputation
du corps médical neuchâtelois, que mettait en cause, à l'avis de certains
médecins, la pratique trop libérale de plusieurs de leurs confrères. Quoi
qu'il en soit, le Tribunal fédéral peut se dispenser d'examiner si l'art. 2
de l'arrêté du 11 septembre 1968 répondait à un état de nécessité lorsqu'il
fut adopté et si le maintien de la règle alors établie se justifiait pour
les motifs invoqués par le Conseil d'Etat. Si l'on admettait en effet
que tel ait été le cas, il faudrait alors constater que, depuis 1968,
le législateur cantonal aurait disposé de tout le temps nécessaire pour
donner à la réglementation litigieuse la base légale qui lui fait défaut.

    La décision attaquée, qui a pour fondement une disposition
réglementaire dénuée de toute base légale, restreint de manière
inadmissible la liberté personnelle de la recourante et doit être annulée.

Erwägung 4

    4.- a) La recourante considère en outre que l'art. 2 de l'arrêté
du 11 septembre 1968 est contraire au droit fédéral, en particulier à
l'art. 120 CP. Les relations entre le droit public cantonal et le droit
pénal fédéral doivent être réglées comme le sont, en vertu de l'art. 6 CC,
celles du droit public cantonal et du droit civil fédéral. Dans la mesure
où le droit pénal fédéral pose des règles de droit administratif, celles-ci
l'emportent sur toute disposition de droit public cantonal contraire. Pour
le surplus, le code pénal suisse ne porte pas atteinte au droit public
cantonal; il laisse aux cantons la compétence de protéger l'intérêt
public en édictant des dispositions de droit administratif, même s'il
s'agit de rapports juridiques pour lesquels la Confédération a légiféré
sur le plan pénal. Cette compétence n'est cependant pas illimitée. Le
droit public cantonal ne doit pas paralyser le droit pénal fédéral ni
en contredire l'esprit; il doit être en harmonie avec lui (RO 74 I 143;
cf. RO 100 Ia 108, 99 Ia 508).

    b) L'art. 120 CP n'a été adopté qu'après de longues discussions;
il consacre une solution de compromis qui, d'après la doctrine et la
jurisprudence, doit régler exhaustivement la question, en ce qui concerne
tant les motifs de droit matériel justifiant la non-punissabilité
de l'interruption de grossesse que les mesures d'ordre administratif
à prendre en vue d'éviter d'éventuels abus (cf. FF 1974 II 730 ss;
HAFTER, Meldepflicht bei strafloser Unterbrechung der Schwangerschaft,
in RPS 63/1948, p. 483 et 485/486; DIEM, Die straflose Unterbrechung
der Schwangerschaft und ihre Ausgestaltung in der schweizerischen
Praxis, thèse Zurich 1952, p. 96; STUCKI-LANZREIN, Die legale
Schwangerschaftsunterbrechung, thèse Berne 1971, p. 50; RO 74 I 141). Au
nombre des mesures d'ordre administratif se trouve l'avis conforme.

    Aux termes de l'art. 120 al. 1 ch. 2 CP, cet avis doit être délivré par
un médecin qualifié comme spécialiste en raison de l'état de la personne
enceinte et autorisé de façon générale ou dans chaque cas particulier par
l'autorité compétente du canton où la personne enceinte a son domicile
ou de celui dans lequel l'opération aura lieu. Il convient de déterminer
en l'espèce quelle place cette disposition de droit fédéral laisse à
l'application du droit public cantonal. Il s'agit en particulier de dire
si le législateur neuchâtelois a édicté une disposition en harmonie avec
le droit pénal fédéral lorsqu'il a exigé des personnes enceintes qui
demandent à l'autorité de désigner le médecin chargé de délivrer ou de
refuser l'avis conforme qu'elles soient domiciliées dans le canton depuis
deux mois au moins.

    Il ne résulte ni du texte, ni du sens de la législation fédérale
relative à l'interruption légale de la grossesse que le législateur
fédéral a voulu laisser aux cantons la compétence d'aggraver les
conditions dans lesquelles l'avis conforme doit être délivré, voire
de rendre impossible pour un certain nombre de femmes, en introduisant
une clause de domiciliation, toute interruption légale de grossesse. Au
contraire, l'art. 120 CP parle expressément de l'autorité du canton "où la
personne enceinte a son domicile ou de celui dans lequel l'opération aura
lieu". Lorsqu'il adopta cette disposition, le législateur fédéral était
conscient des divergences qui existaient entre cantons en ce qui concerne
l'admissibilité des interruptions de grossesse et qui devaient inciter des
personnes enceintes à demander une telle intervention dans un autre canton
que celui de leur domicile. Dans son message relatif à une loi fédérale sur
la protection de la grossesse, ainsi qu'au nouveau régime de répression de
l'interruption de la grossesse, du 30 septembre 1974, le Conseil fédéral
a d'ailleurs relevé "que le régime légal, qui ne limite pas uniquement au
domicile de la personne enceinte l'interruption autorisée, a préparé les
voies de l'interruption pratiquée en d'autres lieux" (FF 1974 II 734). Il
a également rappelé que dix cantons suisses ne connaissent pratiquement
aucun cas d'interruption de grossesse, alors que, dans d'autres cantons,
les interruptions autorisées ne cessent d'augmenter (op.cit., p. 734).
En adoptant l'art. 120 CP, le législateur fédéral a également tenu compte
du désir légitime de personnes enceintes de s'entourer d'une certaine
discrétion. Il ne pouvait pas non plus ignorer que certains cantons ne
disposaient pas d'un équipement hospitalier suffisant (LOGOZ, Commentaire,
n. 4 e ad art. 120 CP).

    S'il a ainsi admis que les personnes enceintes puissent faire
interrompre leur grossesse dans un autre canton que celui de leur domicile,
le législateur fédéral a également pris les mesures utiles en vue d'éviter
d'éventuels abus. Il a en particulier posé l'exigence de l'avis conforme
délivré par le médecin qualifié de spécialiste en raison de l'état de la
personne enceinte et autorisé par l'autorité du canton où l'opération aura
lieu (GERMANN, Das Verbrechen im neuen Strafrecht, p. 236; THORMANN et
VON OVERBECK, Schweiz. Strafgesetzbuch, n. 7 ad. art. 120; STRATENWERTH,
Schweizerisches Strafrecht, Bes. Teil I, p. 47/48; SCHWANDER, Das
schweiz. Strafgesetzbuch, 2e éd., p. 312/313). Bien qu'elles aient été
envisagées lors de la revision du CP en 1950, d'autres restrictions
furent écartées (cf. GRAVEN, l'avortement licite ou la réglementation
de l'interruption non punissable de la grossesse, en droit pénal suisse,
in RPS 67/1952, p. 182 ss).

    Le Conseil d'Etat soutient toutefois que l'art. 2 de l'arrêté du
11 septembre 1968 ne fait que garantir le sérieux de chaque examen. La
majorité des femmes enceintes invoquant des troubles de nature psychique
ou sociale, le bien-fondé de telles allégations ne pourrait être attesté
que par le médecin traitant, qui connaît la patiente, le milieu dans
lequel elle vit, et qui, de ce fait, se trouve à proximité de son
lieu de domicile. L'autorité cantonale considère donc que la clause de
domiciliation, qui n'a pour but que d'assurer le respect des dispositions
de droit fédéral sur l'interruption de grossesse, est en harmonie avec
elles. Cette opinion n'est pas fondée, car elle méconnaît le fait que le
législateur fédéral a pris en compte cet intérêt public au respect de la
loi et qu'il a posé les règles propres à le sauvegarder.

    Il convient dès lors d'admettre que l'art. 2 de l'arrêté du 11
septembre 1968 viole le droit fédéral. Le Tribunal fédéral était d'ailleurs
arrivé à cette même conclusion dans son arrêt non publié en la cause de
Kalbermatten et consorts, du 1er juillet 1975, et dans lequel il a relevé
que les prescriptions posées par les chiffres 1 et 2 de l'art. 120 al. 1 CP
sont des dispositions de droit matériel instituant une clause d'exclusion
de la peine, que cette réglementation est complète et que les cantons ne
peuvent ni en restreindre ni en étendre la portée.

    La décision entreprise, qui a ainsi pour fondement une disposition
de droit cantonal contraire au droit fédéral, doit être annulée pour ce
motif également.

Erwägung 5

    5.- Le recours devant être admis, il n'y a pas lieu d'examiner
les conséquences juridiques découlant du fait que, "pour des raisons
de pudeur", l'arrêté du 11 septembre 1968 n'a pas fait l'objet d'une
publication.

Entscheid:

            Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet le recours et annule l'arrêté attaqué.