Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 101 IA 46



101 Ia 46

10. Extrait de l'arrêt du 22 janvier 1975 en la cause X contre Chambre
d'accusation du canton de Genève Regeste

    Art. 4 BV; persönliche Freiheit und strenge Einzelhaft (mise
au secret); Art. 152 Genfer StPO vom 7. Dezember 1940; Europäische
Menschenrechtskonvention.

    1. Die aus Art. 4 BV fliessende Pflicht zur Begründung der Urteile
und Verfügungen (E. 3).

    2. Die sich aus einer Zwangsmassnahme wie der Untersuchungshaft
ergebenden Beschränkungen dürfen nicht weiter gehen, als ihr Zweck es
verlangt; Verhältnismässigkeitsprinzip (E. 4).

    3. Die Versetzung in strenge Einzelhaft als Druckmittel auf den
Angeschuldigten (E. 5).

    4. Die Versetzung in strenge Einzelhaft stellt einen schweren Eingriff
in die von Bund und Kanton Genf gewährleistete persönliche Freiheit dar
(E. 6). Prüfungsbefugnis des Bundesgerichts. Die in Art. 152 StPO
genannten Voraussetzungen der Versetzung in strenge Einzelhaft sind
kumulativ (E. 7).

    5. Eine Behörde, die ihre Kognition - obschon diese ihr voll zusteht -
auf Willkür beschränkt, verletzt Art. 4 BV (E. 8).

    6. Konvention zum Schutze der Menschenrechte und Grundfreiheiten;
von ihr erfasste Tatbestände.

Sachverhalt

    A.- X. a été appréhendé par la police le 28 mai 1974 à Genève à la
suite de l'arrestation d'un nommé Y., qui a déclaré avoir effectué avec lui
un certain nombre de cambriolages et de tentatives de cambriolages. X.,
qui a été inculpé de vols et de tentatives de vol au sens de l'art. 137
CP, et contre lequel le juge d'instruction a décerné un mandat d'arrêt,
a contesté avoir commis les infractions qui lui sont reprochées; il a
maintenu ses dénégations après avoir été confronté le 31 mai avec Y. et
un témoin. A la suite d'une nouvelle audition de X., qui a eu lieu le 4
juin, le juge d'instruction a ordonné sa mise immédiate au secret.

    B.- La Chambre d'accusation, siégeant en Chambre du conseil, a rejeté
le recours formé par X. contre la décision du juge d'instruction. Après
avoir entendu séparément le conseil de X., celui-ci, puis le représentant
du Ministère public, elle a rendu le 5 juin 1974 une ordonnance non
motivée ainsi conçue:

    "La Chambre:

    Déboute l'inculpé de ses conclusions tendant à la levée du
   secret."

    C.- Au cours de la même audience, la Chambre d'accusation a décerné
contre l'inculpé un mandat de dépôt et a ordonné sa mise en liberté
provisoire sous caution de 5'000 fr.

    Le 7 juin, le juge d'instruction a entendu l'amie de X., ainsi que
Y. X. a encore été interrogé le 10 juin; il a nié une fois de plus avoir
participé aux infractions qui ont motivé son inculpation. Le lendemain,
la mise au secret a été levée par le juge d'instruction. Le 10 juillet
1974, X. a été mis en liberté provisoire.

    D.- Le 5 juin 1974, X. a formé un recours de droit public contre
l'ordonnance du même jour rendue par la Chambre d'accusation. Il affirme
que la décision entreprise est entachée d'arbitraire et que les procédés
utilisés à son endroit sont "contraires à la garantie de la liberté
personnelle et à l'esprit, voire à la lettre de la Convention européenne
des droits de l'homme".

    Le Tribunal fédéral a admis le recours et annulé la décision
entreprise.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 3

    3.- Le recourant soutient que l'autorité cantonale qui prend une
décision comportant une restriction importante de la liberté personnelle
d'un détenu sans la motiver tombe dans l'arbitraire. Il ne soutient
toutefois pas que l'ordonnance entreprise constitue un jugement au
sens de l'art. 103 de la loi genevoise d'organisation judiciaire, du 22
novembre 1941 (OJG), qui prescrit que "tous les jugements sont motivés";
le Tribunal fédéral n'a donc pas à examiner si cette disposition légale
a été violée. Certes, dans son mémoire complétif, le recourant déclare
"se demander" si l'obligation de motiver ne résulte pas du droit cantonal
et notamment de l'art. 103 OJG, mais il ne l'affirme pas; il s'agit au
surplus d'un grief qu'il aurait pu faire valoir dans son acte de recours,
et qui est donc irrecevable lorsqu'il n'est formé que dans un mémoire
complétif (RO 98 Ia 494 consid. 1b).

    Le recourant invoque ainsi l'obligation de motiver les jugements en
tant qu'elle découle directement de l'art. 4 Cst. D'une façon générale,
les lois cantonales exigent que les jugements rendus en matière civile
et pénale soient motivés; le Tribunal fédéral a dès lors rarement eu à
se prononcer sur l'obligation de motiver les jugements en ces matières,
fondée sur l'art. 4 Cst. Il a néanmoins admis que les tribunaux doivent
mentionner, au moins brièvement, les motifs qui les ont guidés et sur
lesquels leur sentence se base: "C'est là une garantie dont le défaut
absolu de motifs frustre les citoyens, en ouvrant la porte à l'arbitraire"
et crée un déni de justice (RO 19 p. 470). En matière administrative,
où les règles de droit cantonal ne sont pas toujours aussi formelles,
la jurisprudence a admis que si la Constitution fédérale n'impose pas
aux autorités l'obligation de motiver par écrit leurs décisions, il
n'en demeure pas moins que les motifs de ces dernières doivent être,
d'une manière quelconque, portés à la connaissance des justiciables. Si
les parties ne connaissent pas les faits déterminants et les règles
juridiques qui ont été appliquées pour la solution du litige, elles ne
peuvent pas attaquer la décision à bon escient; son bien-fondé est alors
soustrait à leur contrôle et à celui de l'autorité de recours (RO 98 Ia
464 consid. 5a).

    La Chambre d'accusation explique en l'espèce l'absence de motivation
par la nécessité de respecter la disposition légale selon laquelle le
détenu mis au secret ne peut communiquer avec personne. Il importait de
ne pas révéler, même indirectement, le contenu de la procédure et les
intentions du juge d'instruction au recourant et à son avocat.

    On peut comprendre que le juge d'instruction ordonne le cas échéant la
mise au secret de l'inculpé sans être obligé de la motiver sur-le-champ. En
revanche, on ne saurait admettre qu'un recours étant formé devant la
Chambre d'accusation et la cause ayant été plaidée devant cette autorité,
celle-ci puisse prendre une décision de rejet sans fournir aucune
motivation. Certes, la Chambre d'accusation n'a pas besoin de dévoiler
les intentions du juge d'instruction quant à la suite de la procédure,
mais il sied, lorsqu'elle écarte le recours, qu'elle justifie la mise
au secret tout au moins au regard de l'existence des conditions légales
qui permettent de l'ordonner. Le grief du recourant est ainsi fondé,
et le recours doit être admis sur ce point.

Erwägung 4

    4.- Le recourant se plaint d'une violation de sa liberté personnelle,
droit constitutionnel fédéral non écrit (RO 100 Ia 193 consid. 39, 99 Ia
266 consid. II et les arrêts cités). Dans la mesure où elles offrent à
l'individu une protection plus large que la garantie de droit fédéral
- fût-ce par des règles purement formelles - les dispositions de la
constitution cantonale s'appliquent concurremment avec elle (RO 98 Ia 100
consid. 2). La Constitution fédérale garantit notamment à l'individu le
droit d'aller et venir, le droit à ce que soit respectée son intégrité
corporelle, tout comme celui de choisir son mode de vie, d'organiser ses
loisirs et d'avoir des contacts avec autrui. Les personnes détenues,
qui peuvent également invoquer la garantie de la liberté personnelle,
ne sauraient toutefois prétendre jouir de toutes les formes de ce droit
constitutionnel. La mesure d'incarcération qui les frappe doit certes
reposer sur une base légale, être prise dans l'intérêt public et être
conforme au principe de la proportionnalité. Mais une fois incarcérés,
les intéressés sont soumis aux restrictions qui découlent de la mesure
de contrainte qui leur est imposée et du rapport spécial qui les lie
à l'Etat (RO 99 Ia 266). Si toutes ces restrictions ne doivent pas
nécessairement résulter de dispositions spéciales et précises de la loi,
il n'en. demeure pas moins qu'elles n'ont pas à aller au-delà de ce
qu'exige le but de l'incarcération; elles doivent respecter le principe
de la proportionnalité.

    Les principes qui viennent d'être rappelés s'appliquent tout
particulièrement à la détention préventive, qui est imposée à un individu
prévenu d'une infraction et dont l'incarcération est destinée à assurer le
déroulement normal de l'instruction d'une affaire pénale. La loi fédérale
sur la procédure pénale dispose dans ce sens que l'inculpé ne doit pas être
entravé dans sa liberté plus que ne l'exigent le but de la détention et
le maintien de l'ordre dans la prison (art. 48 al. 1 PPF). D'autre part,
lorsque le législateur a prévu certaines garanties en faveur des détenus,
les restrictions à la liberté individuelle de ceux-ci trouvent leurs
limites dans les principes posés par la loi.

Erwägung 5

    5.- La mise au secret est une mesure, reprise du droit français,
qui est prévue par la plupart des codes romands d'instruction pénale et
par laquelle l'inculpé qui en est l'objet est isolé du monde extérieur
et privé de toute communication avec qui que ce soit. D'après la pratique
anciennement applicable à Genève, cet inculpé n'avait non seulement plus
le droit de recevoir des visites, d'écrire ou recevoir des lettres,
de recevoir des paquets, de communiquer avec son défenseur, mais il
n'avait pas non plus le droit de lire, de fumer, de se promener dans la
cour de la prison, de se faire livrer de l'extérieur des aliments (HANS
WALDER, Die Vernehmung des Beschuldigten, Hambourg 1965, p. 155, note
36). Selon de nombreux auteurs, la mise au secret a pour but d'exercer
une pression sur l'inculpé pour l'amener à avouer l'infraction qui lui
est reprochée; elle serait même un "succédané de la torture" (CLERC,
La détention préventive, in Revue pénale suisse, 1968, p. 166). Le
recours à cette mesure, notamment dans la procédure pénale genevoise,
a fait l'objet de vives critiques dans la doctrine (WALDER, loc.cit.;
WAIBLINGER, La protection de la liberté individuelle durant l'instruction,
in Revue internationale de droit pénal 1953, p. 250/251; MARKUS MEYER,
Der Schutz der persönlichen Freiheit im rechtsstaatlichen Strafprozess,
thèse Zurich 1962, p. 145; SCHULTZ, La sauvegarde des droits des détenus,
in Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, supplément
juillet-septembre 1967, p. 101; PFENNINGER, Probleme des schweizerischen
Strafprozessrechtes, p. 119; SCHUBARTH, Die Rechte des Beschuldigten im
Untersuchungsverfahren, p. 182). La critique porte essentiellement sur
le fait que la mise au secret est en réalité utilisée lorsque l'inculpé
n'avoue pas et que le juge d'instruction entend exercer sur lui une
pression, la mesure étant levée dès l'aveu (PFENNINGER, loc.cit.;
CLERC, Le procès pénal en Suisse romande, p. 86; PONCET, L'instruction
contradictoire, p. 143).

    En fait, depuis plusieurs années, la mise au secret ne revêt plus,
à Genève, le caractère qu'elle avait auparavant et qui est décrit par
Walder (cf. PONCET, op.cit., p. 148). Elle ne se traduit plus que par
l'interdiction de "communiquer avec personne" (art. 153 CPPG; art. 10
du règlement sur le régime intérieur de la prison, du 14 avril 1951),
ce qui entraîne l'application du régime cellulaire, l'interdiction de
communiquer avec le défenseur, de recevoir des visites, de communiquer
avec les codétenus, de correspondre, et ce qui rend aussi la procédure
secrète pour l'inculpé et son défenseur (art. 63 al. 2 et 70 CPPG). On
a observé cependant qu'en Suisse des lois qui ne connaissent pas la mise
au secret comme telle permettent au juge d'interdire toute communication
avec le prévenu (CLERC, Réflexions sur la détention préventive, in Etudes
pénologiques dédiées à la mémoire de Sir Lionel Fox, p. 56; La détention
préventive, loc.cit.; La détention avant jugement, in Recueil de travaux
suisses présentés au VIIIe Congrès international de droit comparé,
Pescara 1970, p. 404; PONCET, Le droit à l'assistance de l'avocat
dans la procédure, ibid., p. 421; KRÜMPELMANN, Die Untersuchungshaft
im deutschen, ausländischen und internationalen Recht, Bonn 1971,
p. 656/657). Sur le plan fédéral, l'art. 117 PPF permet au juge
d'instruction, exceptionnellement, de limiter ou de faire cesser pour un
temps déterminé les communications de l'inculpé détenu avec son défenseur,
"lorsque l'intérêt de l'instruction l'exige". Des réserves analogues sont
inscrites dans les art. 116 et 118 PPF en ce qui concerne le droit pour
le défenseur de consulter le dossier et d'être présent à l'interrogatoire
de l'inculpé et à l'administration des preuves. Le juge peut d'autre part
donner des instructions sur les conditions de la détention. Des règles
semblables existent dans d'autres cantons; elles peuvent aller même plus
loin, par exemple à Berne, où la libre communication avec le défenseur est
l'exception, la limitation de ce droit la règle (art. 97 du Code bernois
de procédure pénale, du 20 mai 1928; cf. KRÜMPELMANN, op.cit., p. 656).

    En France, la mise au secret, autorisée sous le régime du Code
d'instruction criminelle de 1808, a été très atténuée par la loi du 8
décembre 1897. Depuis lors, elle ne peut plus affecter les communications
de l'inculpé avec son défenseur; cette règle figure actuellement dans le
Code français de procédure pénale du 31 décembre 1957 (art. 116 al. 2 et 3
et D 56; cf. BOUZAT et PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie,
tome II, 2e éd., Paris 1970, No 1283, p. 1225; STEFANI et LEVASSEUR,
Procédure pénale, 7e éd., Paris 1973, No 504, p. 449). En Allemagne,
les libres communications avec le défenseur sont assurées à l'inculpé
détenu en vertu du § 148 du Code de procédure pénale (cf. KLEINKNECHT,
Strafprozessordnung, 31e éd., Munich 1974, ad § 148, p. 399).

Erwägung 6

    6.- La liberté individuelle est garantie à Genève par l'art.
3 al. 1 Cst. cant. Mais cette disposition, comme telle, n'accorde pas aux
citoyens une protection supérieure à celle qui découle de la garantie
constitutionnelle fédérale (cf. RO 100 Ia consid. 3a). La constitution
genevoise contient en outre, dans son titre III relatif à la liberté
individuelle et à l'inviolabilité du domicile, des dispositions touchant
la situation des détenus et qui peuvent être invoquées dans un recours de
droit public dans la mesure où elles accordent à l'intéressé une protection
plus précise que celle qui découle du principe constitutionnel fédéral.

    L'art. 24 Cst. cant. prévoit que "lorsque l'instruction d'une procédure
l'exige, le juge d'instruction a le droit de tenir un prévenu au secret,
pendant huit jours au plus". En pareil cas, le droit, garanti à toute
personne arrêtée en vertu d'un mandat, de choisir un défenseur et de
conférer avec lui n'existe plus (art. 26 lit. a Cst. cant.).

    Le recourant, qui invoque la garantie de la liberté personnelle,
ne se réfère pas expressément aux dispositions de la constitution
genevoise; il se fonde essentiellement sur les dispositions du Code
genevois de procédure pénale, et soutient notamment que les conditions
de l'application de l'art. 152 CPPG, disposition d'exécution de l'art. 24
Cst., ne sont pas remplies.

    Il ne prétend en revanche pas que l'institution même de la mise au
secret soit contraire à la garantie de la liberté personnelle; le Tribunal
fédéral n'a donc pas à examiner ce problème. Le recourant n'invoque
pas non plus, expressément en tout cas, la violation du principe de
l'art. 24 Cst. cant. comme tel. Toutefois, l'une des conditions exigées
par l'art. 152 CPPG, soit le fait que le secret n'est autorisé que "pour
les besoins de l'enquête", apparaît bien identique à celle qui figure
à l'art. 24 Cst. cant., lorsque celui-ci prévoit que le secret ne peut
être prononcé que "lorsque l'instruction d'une procédure l'exige".

Erwägung 7

    7.- La mesure de mise au secret constitue une atteinte grave à la
liberté personnelle. Dès lors, le Tribunal fédéral examine avec pouvoir de
libre examen l'application matérielle de la législation cantonale qui, de
même que l'art. 24 Cst. cant., accorde une garantie plus précise que celle
qui résulte du droit constitutionnel fédéral (RO 98 Ia 100 consid. 2).

    a) Les dispositions principales qui intéressent la mise au secret sont,
dans le Code genevois de procédure pénale, les suivantes:

    "Art. 70. - 1. Lorsque l'importance d'une procédure l'exige, le juge
   d'instruction a le droit de suspendre l'information contradictoire.

    2. Il peut même tenir un inculpé au secret, pendant huit jours au
   plus.

    3. La mesure du secret ne peut être prolongée au-delà de ce terme
   qu'avec l'autorisation de la Chambre d'accusation (art. 24 et 25 de
   la constitution genevoise).

    Art. 152. - Le secret ne doit être autorisé que dans les cas d'une
   gravité exceptionnelle et pour les besoins de l'enquête.

    Art. 153. - Le détenu mis au secret ne peut communiquer avec
   personne."

    b) Selon un auteur, l'art. 152 CPPG ne devrait s'appliquer que dans les
cas où le secret est prolongé au-delà de huit jours avec l'autorisation
de la Chambre d'accusation; pour la première période de huit jours, il
suffirait que soit remplie la condition à laquelle l'art. 70 al. 1 CPPG
subordonne la suspension de l'information contradictoire (cf. SCHUBARTH,
op.cit., p. 177 in fine). Cette opinion a sans doute son origine dans le
fait que l'art. 152 CPPG figure dans un chapitre (chapitre II: "Du secret")
du titre III de la première partie de la loi, ce titre étant intitulé:
"Chambre d'accusation", alors que l'art. 70 CPPG appartient au titre II
("Information") de la loi. Mais l'interprétation proposée par cet auteur
n'est soutenue par aucune des parties à la présente instance, et la
doctrine admet en général que les deux conditions prévues à l'art. 152
CPPG doivent être réalisées pour toute mise au secret (cf. JEAN GRAVEN,
La protection des droits de l'accusé dans le procès pénal en Suisse, in
Revue internationale de droit pénal, 1966, p. 263; PONCET, L'instruction
contradictoire, p. 141; WALDER, op.cit., p. 155, note 36; PFENNINGER,
op.cit., p. 118, note 16).

    La disposition de l'art. 152 CPPG se rapportait bien, dans le Code
genevois d'instruction pénale de 1884, à la prolongation du secret; elle
figurait à la suite de la disposition autorisant la Chambre d'accusation
à prolonger le secret et était libellée comme suit: "Cette mesure ne doit
être autorisée que dans les cas d'une gravité exceptionnelle". Lors de la
revision du Code et sa transformation en "Code de procédure pénale", en
1940, le Grand Conseil, tout en maintenant la disposition en cause dans le
même titre de la loi, l'a inscrite en tète des différentes dispositions
relatives au secret, qui sont groupées dans le chapitre II du titre
III, 1re partie CPPG, et lui a donné une teneur très générale. Cette
disposition qui, en bonne logique, n'aurait évidemment pas dû figurer
dans les dispositions relatives à la Chambre d'accusation, s'applique
cependant à la mise au secret en général, quelle que soit l'autorité qui
l'ait ordonnée; il en va de même de l'art. 153 CPPG.

    c) Il convient donc d'examiner si l'ordonnance entreprise respecte
la première condition prévue à l'art. 152 CPPG et selon laquelle le
secret ne peut être ordonné que s'il s'agit d'un cas d'une "gravité
exceptionnelle". Selon la Chambre d'accusation, la gravité du cas
résulterait de ce que X. est poursuivi pour vols et tentatives de vol,
infraction qualifiée de crime par le Code pénal; le caractère de gravité
exceptionnelle tiendrait au fait que le recourant avait déjà été inculpé
antérieurement pour des délits et une tentative de crime (soit de vol)
au cours de la période de quatre mois précédents et qu'il avait été
relaxé, "ce qui laissait supposer qu'il avait abusé de la clémence du
juge d'instruction".

    On peut se demander si la notion de délit grave, telle qu'elle a été
définie par le Tribunal fédéral aux fins de l'application de l'art. 45
Cst. (RO 98 Ia 304 et les arrêts cités), ne devrait pas également valoir
dans l'hypothèse de l'art. 152 CPPG. Ce ne semble pas être le cas, car
il s'agit ici d'apprécier la gravité plus ou moins grande d'infractions
reprochées à un individu placé en détention préventive et qui a été l'objet
d'un mandat d'arrêt, étant prévenu d'un crime ou d'un délit (art. 17
Cst. cant., art. 98 CPPG) et non d'une simple contravention. L'art. 152
CPPG n'aurait ainsi guère de sens s'il fallait l'interpréter de la même
manière que l'art. 45 Cst. Mais il n'est pas nécessaire de résoudre la
question de savoir si les infractions reprochées à X. peuvent être
qualifiées de graves. Il est évident en effet qu'il ne s'agit pas en
l'espèce d'un cas "d'une gravité exceptionnelle". L'infraction de vol,
qualifiée de crime par le Code pénal, est considérée en matière de
procédure pénale genevoise comme un "délit correctionnel" passible de la
Cour correctionnelle et non de la Cour d'assises, compétente en principe
pour juger les crimes au sens du Code genevois de procédure. X. pouvait
ainsi, en tout état de cause, obtenir sa mise en liberté provisoire
sous caution (art. 27 Cst. cant., art. 156 et 160 CPPG). Si, à défaut
de pouvoir verser lui-même une caution, il avait pu obtenir d'un tiers
l'avance du montant de 5'000 fr. fixé par la Chambre d'accusation à
l'audience du 5 juin 1974, il aurait pu quitter immédiatement la prison et
échapper ainsi au secret ordonné. Il y a donc une certaine contradiction
entre le fait de qualifier l'infraction d'exceptionnellement grave et de
maintenir son auteur supposé au secret, alors qu'en versant la caution
requise, celui-ci pouvait obtenir non seulement la levée du secret,
mais encore sa mise en liberté jusqu'à l'audience de jugement.

    Par ailleurs, l'inculpation antérieure du recourant en raison
d'infractions de même nature ne saurait donner à son cas un caractère
de gravité exceptionnelle; celui-ci doit de toute évidence se rapporter à
l'infraction en raison de laquelle l'inculpé est détenu, et non à d'autres
infractions qui ne revêtent apparemment pas un caractère particulier
de gravité, puisque le recourant avait alors été relaxé par le juge
d'instruction.

    d) Selon la seconde condition prévue à l'art. 152 CPPG, la mise
au secret n'est autorisée que si elle est effectuée "pour les besoins
de l'enquête". Cette condition paraît équivaloir à celle qui résulte
de l'art. 24 Cst. cant. C'est donc non seulement la loi, mais aussi
la Constitution qui limite dans cette mesure le pouvoir des autorités
judiciaires genevoises. Pour que cette condition soit réalisée, il
faut sans doute que la mesure soit justifiée par la crainte d'une
collusion possible entre l'inculpé et des tiers, dans une affaire
exceptionnellement grave. En revanche, il n'est pas conforme à cette
disposition constitutionnelle ni à la disposition légale qui est destinée
à en assurer l'exécution que la mesure vise à exercer une pression sur
l'inculpé pour l'obliger à l'aveu. D'après la doctrine quasiment unanime,
la mise au secret ne constitue pas seulement une pression, mais une
"sanction psycho-physique exercée afin d'obtenir un aveu" et qui,
dans le cas où elle est précisément ordonnée à cet effet, constitue
une contrainte inadmissible (PFENNINGER, op.cit., p. 120; cf. aussi
GÖLCÜKLÜ, L'interrogatoire en matière pénale, thèse Neuchâtel 1952, p. 80;
WAIBLINGER, loc.cit., p. 234, 250 et 257; WALDER, loc.cit., et les autres
auteurs cités plus haut). Le Tribunal fédéral n'a pas à se prononcer en
l'espèce sur la justification de la mise au secret comme telle, puisque le
recourant ne la critique pas. Il convient uniquement d'examiner si cette
mesure a bien été ordonnée pour les besoins de l'enquête. Selon la Chambre
d'accusation, la mise au secret se justifiait jusqu'à l'audition de l'amie
de X., et ce pour éviter toute collusion avec celle-ci. Mais il ne semble
pas que tel ait été en réalité le but de la mesure ordonnée, puisque,
après l'audition de l'intéressée et une nouvelle audition du coïnculpé Y.,
le 7 juin, le secret a été maintenu jusqu'au 11 juin, date de l'expiration
du délai légal. Le juge pouvait d'ailleurs, au lieu de mettre l'inculpé au
secret, ordonner simplement la suspension de l'information contradictoire
(art. 70 al. 1 CPPG) et entendre séparément l'inculpé et son amie. Il
a aussi le contrôle de la correspondance et des visites que reçoit le
détenu (art. 53 et 56 du règlement de la prison) et peut ordonner la
détention cellulaire (art. 32 dudit règlement), de sorte que la mise au
secret a surtout comme effet direct, au point de vue du déroulement de
la procédure, l'interruption des communications entre le détenu et son
avocat. Il apparaît donc pour le moins plausible que la mesure incriminée
en l'espèce n'a pas été nécessitée par les besoins de l'enquête. Mais la
question peut rester ouverte, puisque cette mesure ne pouvait être ordonnée
en raison de l'absence d'un caractère de gravité exceptionnelle du cas.

Erwägung 8

    8.- La décision entreprise n'était pas motivée. Dans sa réponse
au recours, la Chambre déclare s'être bornée à examiner "si la mise
au secret n'apparaît pas immédiatement comme entachée d'arbitraire",
car elle ne peut se mettre à la place du juge d'instruction. Elle
n'aurait soumis la demande à un examen plus approfondi que si le juge
d'instruction avait requis la prolongation de la mise au secret au-delà
de la durée de huit jours. C'est sans doute pour cette raison qu'elle
s'abstient d'affirmer que les conditions d'application de l'art. 152 CPPG
étaient bien réalisées. Elle déclare seulement que l'ordonnance entreprise
"laisse bien supposer que la Chambre a considéré que la décision du juge
d'instruction n'était pas contraire à la loi".

    La Chambre d'accusation n'indique pas sur quelles dispositions légales
ou sur quel principe juridique elle s'est fondée pour restreindre sa
compétence à un examen sous l'angle de l'arbitraire. L'art. 174 CPPG ouvre
à l'inculpé un recours auprès de cette autorité contre les décisions du
juge d'instruction; rien ne permet de dire que le pouvoir d'examen de
la Chambre soit limité dans l'examen de tels recours (voir à ce sujet
l'arrêt Munoz, du 18 juin 1973, consid. 2a, SJ 1973, 627). Si telle
avait été l'intention du législateur, il l'aurait dit expressément. La
seule disposition spéciale touchant les recours concernant la mise ou
le maintien de l'inculpé au secret est celle de l'art. 174 al. 3 CPPG,
aux termes de laquelle la Chambre d'accusation statue alors "en Chambre du
conseil"; cette particularité n'a évidemment pas pour effet de modifier son
pouvoir d'examen. Si la Chambre a limité son pouvoir d'examen comme elle
l'indique, elle a de ce seul fait violé l'art. 4 Cst. L'autorité qui, ayant
un plein pouvoir d'examen, restreint sa cognition à l'arbitraire viole
en effet cette disposition constitutionnelle (RO 99 Ia 502 consid. 5c).
La Chambre n'avait pas de raisons valables de restreindre de la sorte
son pouvoir d'examen (RO 84 I 228). Etant en possession du dossier de
la cause, il ne lui était pas difficile de savoir si on se trouvait ou
non en présence d'un cas d'une gravité exceptionnelle. Le législateur a
évidemment voulu que la Chambre d'accusation exerce un plein contrôle sur
l'activité du juge d'instruction, et la restriction du pouvoir d'examen
que la Chambre s'est imposée n'a donc aucun fondement juridique.

Erwägung 9

    9.- Le recourant fait enfin grief à la décision entreprise d'être
contraire "à l'esprit, voire à la lettre de la Convention européenne
des droits de l'homme". Au moment où la Chambre d'accusation a rendu sa
décision, comme au moment où le recours a été déposé, la Suisse n'était
pas liée par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, qui a été approuvée par arrêté fédéral du 14
octobre 1974 et dont l'instrument de ratification a été déposé par la
Suisse le 28 novembre 1974 (ROLF 1974, p. 2151). Cette ratification
n'a pas pour effet de modifier l'angle sous lequel doit être apprécié
le recours. Selon l'art. 66 al. 3 de la Convention, celle-ci entre en
vigueur, pour tout signataire qui l'a ratifiée après son entrée en
vigueur initiale, dès le dépôt de l'instrument de ratification. Or,
selon la jurisprudence constante de la Commission européenne des droits
de l'homme, la Convention ne régit pour chaque partie contractante que
les faits postérieurs à son entrée en vigueur à l'égard de cette partie
(cf. Conseil de l'Europe, Convention européenne des droits de l'homme,
Manuel, 1963, p. 102/103; Rec. de décisions No 8, p. 66; No 12, p. 113;
WIEBRINGHAUS, Die Rom-Konvention für Menschenrechte; Saarbrücken 1959,
ad art. 19, p. 101; GURADZE, Die Europäische Menschenrechtskonvention,
Kommentar, p. 8 § 3.1).

    Le recourant n'indique d'ailleurs pas à quelles dispositions de la
Convention il entend se référer. La décision de mise au secret pourrait,
le cas échéant, être considérée comme mettant en cause l'interprétation
de deux dispositions de cet instrument, soit de l'art. 3 et de l'art. 6 §
3, lettre b. Selon l'art. 3, "nul ne peut être soumis à la torture ni à
des peines ou traitements inhumains ou dégradants"; cette disposition
est interprétée en ce sens que l'autorité n'a pas le droit, dans le
procès pénal, de faire usage de méthodes d'interrogatoire ayant pour
effet de porter atteinte à la liberté de décision du prévenu (GURADZE,
cit., p. 53/54, ad art. 3, Nos 9 et 11). Selon l'art. 6 § 3 lettre b,
"tout accusé a droit notamment à: ...disposer du temps et des facilités
nécessaires à la préparation de sa défense", ce qui signifie qu'il
doit pouvoir librement communiquer avec son défenseur (GURADZE, ibid.,
p. 107, ad art. 6, No 31); dans son rapport du 9 décembre 1968, relatif
à la Convention, le Conseil fédéral a relevé à ce sujet que "le droit de
la défense entraîne normalement celui de communiquer librement avec son
défenseur". Il a ajouté, se référant tout spécialement à la législation
genevoise, que "les cantons qui autorisent le juge d'instruction à
ordonner, dans des cas exceptionnels et pour les besoins de l'enquête,
la mise au secret de l'inculpé pourraient dès lors rencontrer certaines
difficultés suivant l'usage que leurs autorités feront de cette faculté"
(FF 1968 II 1120, note 6). Certes, sans même que la présente cause doive
impliquer l'application directe de la Convention européenne, la Suisse
n'étant liée par elle que dès le 28 novembre 1974, il eût été opportun,
si le Tribunal fédéral n'était pas parvenu à la conclusion que l'ordonnance
entreprise viole la législation genevoise applicable, d'examiner, notamment
dans le cadre de l'examen de la proportionnalité de l'atteinte portée
à la liberté personnelle, la cause à la lumière des dispositions de la
Convention, comme des autres textes internationaux visant la matière,
tel l'Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus, approuvé
par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe le 19 janvier 1973,
et où il est dit notamment qu'un prévenu doit, dès son incarcération,
être autorisé à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense;
"il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions
confidentielles, et en recevoir. Sur sa demande, toute facilité doit lui
être accordée à cette fin" (principe No 93). La jurisprudence a en effet
admis qu'en cette matière, il faut prendre en considération des données
relevant du droit comparé et le cas échéant les principes établis par
les organisations internationales (RO 97 I 50).

    Mais l'ordonnance entreprise ayant été rendue en violation des
dispositions légales applicables, il y a lieu d'admettre le recours sans
qu'il soit besoin d'examiner, à la lumière des textes qui viennent d'être
rappelés, si elle viole le principe de la proportionnalité.