Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 101 IA 213



101 Ia 213

38. Extrait de l'arrêt du 21 mai 1975 dans la cause Cordey c. Commission de
recours en matière de police des constructions du canton de Vaud. Regeste

    Art. 22ter BV; Art. 57 des waadtländischen Gesetzes vom 5.  Februar
1941 über Bauten und Landerschliessung (LCAT).

    1. Tragweite der im waadtländischem Baurecht vorgesehenen vorgängigen
Bebauungsbewilligung (E. 3).

    2. Einschränkungen der Eigentumsgarantie: Voraussetzungen und
Überprüfungsbefugnis des Bundesgerichts (E. 4).

    3. Art. 57 LCAT strebt den Schutz von Landschaften, Örtlichkeiten,
Stadtteilen und Strassen an. Er enthält eine besonders weit gefasste
Regel mit dem doppelten Gesichtspunkt der geschützten Objekte
und der den staatlichen Eingriff rechtfertigenden Beeinträchtigung
(E. 5). Bei der Abwägung der in Frage stehenden Interessen und in der
Prüfung der Verhältnismässigkeit des Eingriffs ist ein strenger Masstab
anzulegen. Fehlen eines genügenden öffentlichen Interesses im beurteilten
Fall (E. 6).

Sachverhalt

    A.- Emile Cordey est propriétaire d'une parcelle sise à Morges en
amont du chemin du Petit-Dézaley, entre cette voie publique et l'avenue
de Beausobre. Cette parcelle est située en dehors du périmètre des plans
des quartiers dits "Sus le Moulin" et "Petit Dézaley", mais dans la
zone urbaine de l'ordre non contigu, au sens des art. 28 ss du règlement
communal sur le plan d'extension et la police des constructions, du 20
novembre 1969 (RPE).

    La zone comprise entre le chemin du Petit-Dézaley et l'avenue de
Beausobre comprend plusieurs bâtiments. A l'est, un petit bâtiment
locatif à quatre niveaux; de là, vers l'ouest, cinq villas de faibles
dimensions. Puis vient la parcelle non bâtie propriété d'Emile
Cordey. Au-delà se trouvent deux petites villas d'un ou deux niveaux
et d'un seul logement. Plus loin encore, l'avenue de Beausobre marque
un angle vers le sud pour rejoindre le chemin du Petit-Dézaley; enfin,
à l'ouest de cette avenue, il y a encore une petite villa et, implanté
plus bas, étant donné la configuration du sol, un petit bâtiment à usage
locatif de quatre niveaux.

    En avril 1972, Emile Cordey déposa, en vue de la mise à l'enquête
préalable, un dossier de plans relatifs à l'implantation et au volume
d'un bâtiment locatif qu'il se proposait de construire sur sa parcelle
et qui devait comprendre quatre niveaux, de deux appartements chacun,
ainsi que des combles sous le toit et des caves avec garage en sous-sol.
L'enquête publique suscita de nombreuses oppositions. La Commission
consultative du plan d'extension de la commune de Morges déclara que le
projet, en principe conforme au RPE, ne s'intégrait pas à l'ensemble des
constructions existantes.

    En juin 1972, la Municipalité de Morges décida d'admettre
l'implantation du bâtiment projeté, sous certaines conditions qu'elle
précisa dans le permis d'implantation notifié au requérant. Cordey fit
alors déposer le dossier de plans dans le but d'obtenir le permis de
construire. Au cours de l'enquête publique, plusieurs personnes firent
opposition en alléguant que le projet ne répondait pas à l'implantation
prescrite par la Municipalité dans sa décision de juin 1972, qu'il
n'offrait pas un aspect architectural satisfaisant et que le bâtiment
projeté ne s'intégrait pas aux alentours.

    La Municipalité de Morges a délivré le permis de construire. Plusieurs
opposants ont recouru contre cette décision auprès de la Commission
cantonale de recours en matière de police des constructions (CCR). Par
décision du 20 juin 1974, celle-ci a admis le recours et annulé
l'autorisation de construire délivrée par la Municipalité.

    Agissant par la voie du recours de droit public, Cordey requiert
le Tribunal fédéral d'annuler la décision de la CCR; il invoque
essentiellement la violation des art. 4 et 22ter Cst.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours et annulé la décision attaquée.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 3

    3.- Le recourant soutient en premier lieu que l'autorité cantonale
a violé l'art. 4 Cst. en remettant en cause le permis d'implantation
délivré le 10 juillet 1972.

    a) En droit vaudois, le propriétaire peut, avant de déposer le dossier
complet des plans nécessaire à l'obtention du permis de construire,
former une demande préalable relative à l'implantation du bâtiment qu'il
se propose de construire (art. 72 al. 2 LCAT).

    Il appartient alors à l'autorité communale de trancher les questions
de base (droit de construire, emplacement, type d'ouvrage, rapport de
surfaces) et de délivrer un "permis d'implantation". Celui-ci est
périmé s'il n'est pas suivi, dans les trois mois dès sa délivrance,
d'une demande de permis de construire (art. 87 al. 2 LCAT). L'octroi du
permis d'implantation a les mêmes effets juridiques, en ce qui concerne
les éléments contenus dans cette autorisation, que celui du permis de
construire. Ce dernier doit donc être délivré si la demande en est faite
dans le délai de trois mois précité et si le projet de construction
est conforme aux conditions fixées par le permis d'implantation
(cf. PIERRE-ANDRE BOVARD, Le permis de construire, guide pratique
élémentaire du droit vaudois, Morges 1966, p. 52/53).

    En revanche, si le propriétaire laisse son permis d'implantation se
périmer ou s'il présente un projet qui ne respecte pas les conditions
fixées par cette autorisation, l'autorité communale et, le cas échéant,
l'autorité de recours examinent librement toutes les questions que soulève
le projet, sans être liées par le permis d'implantation.

    b) En l'espèce, l'autorité cantonale de recours n'a pas ignoré les
principes qui viennent d'être rappelés. Le recourant admet d'ailleurs
lui-même que cette autorité a défini de manière parfaitement raisonnable
la portée de l'institution du permis d'implantation. Mais il lui reproche
d'avoir violé l'art. 4 Cst. en considérant qu'elle était en droit
d'examiner le projet litigieux sous tous ses aspects, dès lors que le
recourant n'avait pas respecté plusieurs des conditions auxquelles était
subordonné l'octroi du permis d'implantation. Délivré le 10 juillet 1972,
celui-ci stipulait en effet que:

    "a) Les dimensions en plan du bâtiment ne pourront pas excéder

    18,12 m pour la longueur et 11,00 pour la largeur.

    b) Les distances respectivement aux limites Est et Ouest ne seront
   pas inférieures à 7,72 m.

    c) Des places de jeux pour les enfants devront être prévues
conformément
   à l'art. 85 RPE; leur surface ne pourra pas être inférieure à

    12 m2 pour 65 m2 de plancher habitable.

    d) L'implantation du bâtiment projeté ne peut être qu'autorisée
   sous réserve toutefois que la construction, lors de l'enquête
   définitive,

    "présente le meilleur aspect architectural" (art. 67 RPE) afin de nuire
   le moins possible aux villas voisines."

    L'autorité cantonale a constaté que les conditions posées sous lettres
a et b du permis d'implantation n'avaient pas été observées. Elle a par
ailleurs retenu que le bâtiment projeté ne remplissait pas la condition
mentionnée sous lettre d, en raison du contraste qu'il formerait avec
les villas voisines.

    c) Ainsi que l'a relevé la décision entreprise, le permis
d'implantation tend à procurer, après enquête publique, une autorisation
réglant en principe non seulement les questions de l'implantation
proprement dite, mais aussi celles de volume, de hauteur, voire
d'affectation de l'ouvrage projeté. En l'espèce, le dossier d'enquête
préalable portait sur la construction d'un bâtiment à usage locatif de
trois étages sur rez. Dans sa décision accordant le permis d'implantation,
la Municipalité s'est prononcée sur l'implantation, le volume, les
dimensions et l'affectation de l'ouvrage. Elle relevait en particulier
que l'implantation de cet immeuble à usage locatif posait un problème
d'intégration à l'ensemble avoisinant; elle rappelait l'opinion émise à cet
égard par la Commission consultative du plan d'extension, mais l'écartait
"eu égard aux problèmes d'aménagement du quartier selon le périmètre
défini par la Morges, l'avenue de Marcelin et le chemin de Grassey". Elle
soulignait qu'elle ne disposait d'aucun moyen pour imposer la construction
d'une villa plutôt que celle d'un bâtiment à usage locatif, et que seule
une solution architecturale différente pouvait être envisagée, mais avec
la même surface de plancher. Elle invitait en conséquence le requérant
à présenter une architecture adaptée à la situation particulière de la
parcelle, conformément à l'art. 67 RPE.

    Il résulte de ce qui précède qu'en réservant "un meilleur aspect
architectural", l'autorité communale ne visait ni l'implantation du
bâtiment, ni son volume, ni son affectation. Il s'agissait là de questions
que le permis d'implantation tranchait définitivement, et il eût appartenu
aux opposants d'attaquer sur ces points l'autorisation délivrée, s'ils
estimaient avoir les moyens de le faire.

    L'autorité cantonale de recours a considéré que le projet présenté
en vue de l'obtention du permis de construire ne respectait pas la
condition énoncée sous lettre d du permis d'implantation, en raison
du contraste qu'il formerait par son volume, ses dimensions et son
affectation, avec les villas voisines. Cette décision ne résiste pas
au grief d'arbitraire. En réservant le "meilleur aspect architectural",
le permis d'implantation ne visait pas les points précisément examinés
par la CCR. Il ne se rapportait qu'à l'aspect architectural du bâtiment,
question sur laquelle l'autorité de recours ne s'est pas prononcée.

    d) Il est vrai toutefois que l'autorité cantonale de recours a retenu
que le projet litigieux ne satisfaisait pas non plus aux conditions
relatives aux distances, posées par le permis d'implantation (lettres
a et b). Mais elle a relevé que les différences existantes, de quelques
centimètres, étaient peu importantes. Elle a par ailleurs constaté que
les exigences émises à cet égard par le permis d'implantation reposaient
sur une interprétation erronée des textes applicables et que le projet
tel que présenté était conforme au règlement. Elle ne pouvait dès lors,
sans violer l'art. 4 Cst., alléguer l'inobservation de ces conditions
pour revoir, dans son ensemble, le projet litigieux.

    Le recours doit donc être admis en tant qu'il se fonde sur une
violation de l'art. 4 Cst. Mais son admission s'impose aussi en raison
d'une violation de la garantie constitutionnelle de la propriété.

Erwägung 4

    4.- L'autorité cantonale de recours s'est fondée sur l'art. 5 LCAT pour
annuler le permis de construire accordé par la Municipalité. Elle a ainsi
limité le recourant dans l'exercice de ses droits de propriétaire. Selon
la jurisprudence, une telle limitation est compatible avec la garantie
constitutionnelle de la propriété (art. 22ter Cst.) en tant qu'elle repose
sur une base légale, qu'elle est justifiée par l'intérêt public et qu'elle
est accompagnée d'une indemnité si elle équivaut à une expropriation
(RO 98 Ia 32 consid. 3; 98 Ia 376 consid. 4 et les arrêts cités).

    Le recourant ne prétend pas que le refus de permis de construire
équivaudrait à une expropriation; la question d'une indemnité ne se
pose donc pas. Par ailleurs, il ne conteste pas la constitutionnalité
de l'art. 57 LCAT, question que le Tribunal fédéral a déjà tranchée par
l'affirmative (cf. notamment RO 97 I 642 consid. 6b et l'arrêt Zosso,
du 17 février 1971, partiellement publié in RDAF 1972, 336 ss). En outre,
s'il qualifie de grave l'atteinte portée à son droit de propriété, il ne
prétend pas, avec raison, qu'elle soit "particulièrement grave".

    Le recourant reproche en revanche à l'autorité cantonale de recours
d'avoir violé l'art. 57 LCAT en assimilant à une rue, au sens de cet
article, une simple rangée de quelques villas, isolées dans un quartier
destiné aux habitations collectives et, de surcroît, toutes situées
d'un seul côté d'un chemin privé. Outre cette violation de l'art. 22ter
Cst. pour défaut de base légale, le recourant allègue également le
défaut d'un intérêt public suffisant pour justifier, au regard de cette
disposition constitutionnelle, la décision entreprise.

    Selon la jurisprudence, le Tribunal fédéral examine librement si
la base légale invoquée par l'autorité cantonale est suffisante lorsque
l'atteinte à la propriété est "particulièrement grave". Dans les autres
cas, il ne se livre à cet examen que sous l'angle restreint de l'arbitraire
(RO 99 Ia 250 consid. 2 et les arrêts cités), même lorsque la garantie
de la propriété est invoquée à côté de l'art. 4 Cst. (RO 99 Ia 119
consid. 2). La question de l'intérêt public et de la proportionnalité de
l'atteinte est soumise en principe au libre examen du tribunal de céans,
qui use toutefois d'une certaine retenue lorsqu'il s'agit d'apprécier des
circonstances locales, mieux connues des autorités cantonales et communales
(RO 99 Ia 583 consid. 2 et les arrêts cités).

Erwägung 5

    5.- a) L'art. 57 LCAT dispose que "sont interdites toutes constructions
de nature à compromettre l'aspect ou le caractère d'un site, d'une
localité, d'un quartier ou d'une rue, ou à nuire à l'aspect d'un édifice de
valeur historique, artistique ou pittoresque". Dans son arrêt publié au RO
97 I 642 consid. 6b, le Tribunal fédéral a relevé que cette disposition
contenait une règle particulièrement large du double point de vue des
objets protégés et de l'atteinte justifiant l'intervention du pouvoir
étatique. Il a admis, en ce qui concerne les objets protégés, que cet
article ne visait pas seulement les "sites" comme tels, c'est-à-dire
des portions limitées du territoire d'une valeur esthétique manifeste,
mais qu'il étendait la protection à des aspects du paysage auxquels on
n'attribuait dans le passé qu'une importance relative. Il a d'autre part
relevé que, tout en désignant une intervention préjudiciable, le terme
"compromettre" ne supposait pas une atteinte particulièrement grave,
étant plus large que les rédactions adoptées dans d'autres législations
cantonales qui exigent un sérieux enlaidissement (cf. également l'arrêt
non publié Confédération suisse, Entreprise des PTT, du 27 mars 1974).

    b) Ni l'autorité cantonale, ni les opposants au projet litigieux n'ont
soutenu que la zone de villas, située entre le chemin du Petit-Dézaley
et l'avenue de Beausobre, fût un site au sens de l'art. 57 LCAT.

    En revanche, Marthe Conod et consorts relèvent, dans leurs observations
au recours, que la zone ainsi délimitée par deux voies publiques répond à
la définition d'un "quartier" pouvant faire l'objet d'un plan de quartier
au sens de l'art. 42 al. 2 LCAT, ce que conteste le recourant. La CCR ne
s'est pas formellement prononcée sur cette question; dans ses observations
au recours, elle n'exclut pas que l'on puisse qualifier de "quartier" la
zone où est située la parcelle du recourant. Dans la décision entreprise,
elle a considéré qu'il s'agissait en l'espèce "d'une rangée de sept ou huit
villas de dimensions modestes et de volumes homogènes, qui confèrent à ce
côté de la rue une unité bien nette" et que le "bâtiment projeté serait
de nature à compromettre l'aspect et le caractère typiques de la rue".

    c) A l'avis du recourant, l'autorité cantonale de recours ne pouvait
admettre sans arbitraire que l'avenue de Beausobre constitue une rue
au sens de l'art. 57 LCAT. Il s'agit en effet d'un chemin privé, dont
le transfert au domaine public avait certes été prévu, mais n'a pas été
réalisé et ne se réalisera probablement pas, en raison de l'opposition
de plusieurs propriétaires.

    Cet argument n'est pas fondé. L'avenue de Beausobre est une voie
ouverte à la libre circulation du public. Selon la doctrine et la
jurisprudence, c'est là un élément caractéristique non seulement de la
notion de "route" au sens de la LCR (RO 92 IV 11/12), mais aussi de la
notion plus générale, en droit public et administratif, de voie publique
(RO 94 I 574 consid. 2a et la doctrine citée). Dans ce cas, il n'y a pas
lieu de tenir compte du régime de la propriété, publique ou privée, auquel
cette voie est soumise. Il faut donc reconnaître à l'avenue de Beausobre
la qualité de voie publique, située dans l'agglomération morgienne.

    Le recourant relève par ailleurs la différence sensible existant
entre les deux côtés de l'avenue de Beausobre, bordée au sud par quelques
villas, au nord par plusieurs bâtiments à usage locatif. Il en conclut que
l'autorité cantonale ne pouvait pas faire application de l'art. 57 LCAT
pour protéger l'aspect ou le caractère d'un seul côté de la rue. Certes,
à cet égard, la décision attaquée est discutable. Le Tribunal fédéral
peut toutefois s'abstenir de se prononcer sur ce point, car l'autorité de
recours pouvait admettre sans arbitraire que l'ensemble de villas qu'elle a
entendu protéger formait un quartier au sens de l'art. 57 LCAT. L'art. 42
al. 2 LCAT précise en effet que "le quartier doit être limité sur deux de
ses côtés par une voie publique existante ou à projeter"; il ne prévoit
aucune condition relative à la dimension du territoire pouvant faire
l'objet d'un plan de quartier.

Erwägung 6

    6.- Il faut encore examiner si l'interdiction faite au recourant
de réaliser son projet repose sur un intérêt public qui l'emporte sur
l'intérêt des propriétaires touchés.

    a) Ainsi que l'a relevé le Tribunal fédéral dans son arrêt publié au
RO 97 I 642, l'étendue de la base légale que constitue l'art. 57 LCAT et
le large éventail des possibilités d'intervention des pouvoirs publics ne
peuvent justifier à priori n'importe quelle mesure. Une base légale large
exige en effet que l'on se montre particulièrement rigoureux dans la phase
successive de la pesée des intérêts en présence et dans l'examen de la
proportionnalité de la limitation par rapport au but poursuivi et à l'objet
de la protection. A ces conditions, une norme qui étend la protection à des
aspects du paysage auxquels on n'attribuait dans le passé qu'une importance
relative, peut néanmoins se justifier aujourd'hui, même s'imposer, par
rapport au déferlement des atteintes portées à l'environnement sous la
pression du développement technique. Une telle formule obéit d'ailleurs aux
tendances actuelles en matière de protection des paysages et des monuments,
conçue non seulement comme protection d'objets isolés de grande valeur,
mais comme protection d'ensembles.

    b) Avec l'autorité cantonale de recours, il convient par ailleurs
de rappeler que l'art. 57 LCAT constitue une disposition à caractère
et à but publics. En revanche, il n'est pas destiné à la protection
d'intérêts privés, car le propriétaire qui tient à se prémunir contre un
préjudice résultant de constructions voisines peut arriver à ses fins par
des voies privées (achat de terrains, servitudes, par exemple). Il peut
aussi acquérir la protection désirée par la voie d'un plan de quartier;
celui-ci le soumettra certes à des restrictions, mais il le protégera
en imposant des limitations identiques aux propriétaires voisins. Le
propriétaire ne bénéficiera donc de la protection de l'art. 57 LCAT que
dans la mesure où ses intérêts privés coïncident avec les buts d'intérêt
public recherchés par cette institution (RDAF 1957, 332).

    c) Un projet de construction peut être interdit sur la base
de l'art. 57 LCAT, quand bien même il satisferait à toutes les
autres dispositions cantonales et communales en matière de police des
constructions. Au considérant 7, non publié, de l'arrêt Commune de Pully,
du 17 mars 1971, le Tribunal fédéral avait soulevé la question de savoir
si l'art. 57 LCAT pouvait mettre obstacle à la construction d'un immeuble
réglementaire qui, par son volume, ne serait pas en harmonie avec les
constructions déjà édifiées. Constatant que la réglementation en vigueur
permettait la construction de bâtiments plus importants, par leur volume,
que ceux qui avaient été construits jusqu'alors, il relevait "qu'il
serait manifestement difficile, sinon exclu, d'empêcher leur édification
en invoquant l'art. 57 LCAT". C'est précisément la question qui doit
être tranchée en l'espèce. Il s'agit de savoir si l'autorité communale
ou cantonale peut interdire la construction d'un bâtiment conforme au
règlement en vigueur, pour le motif qu'il ne serait pas en harmonie,
par son volume, avec les constructions avoisinantes, de dimensions plus
modestes.

    Le but d'un règlement communal sur le plan d'extension et la police
des constructions, tel celui de Morges, est de fixer les règles destinées
à assurer un aménagement rationnel du territoire de la commune. Celui-ci
est divisé en différentes zones dont l'affectation est définie. A chacune
correspond ainsi un type de construction, dont les caractéristiques
essentielles sont fixées par le règlement. La LCAT poursuit des buts
semblables. Selon son art. 1er, cette loi fixe les règles destinées à
assurer notamment le développement des localités et de leurs voies de
communication, l'aménagement du territoire, la sauvegarde des beautés
et des curiosités naturelles du pays, l'esthétique, la sécurité et
la salubrité des localités et des constructions. Une intervention de
l'autorité communale ou cantonale sur la base de l'art. 57 LCAT ne peut
s'inscrire que dans la ligne tracée par la loi elle-même et par les
règlements communaux.

    Ce sont en effet ces textes qui définissent l'orientation que doit
suivre le développement des localités. Il faut certes admettre que les
plans de zones ont un caractère de généralité qui met obstacle à ce
qu'ils prennent en considération la situation particulière de telle ou
telle portion restreinte du territoire. Mais les buts qu'ils poursuivent
indiquent dans quelle mesure il peut être tenu compte de ces situations
de fait particulières. Ainsi, lorsqu'un plan de zones prévoit que des
constructions d'un certain volume peuvent être édifiées dans tel secteur
du territoire, une interdiction de construire basée sur l'art. 57 LCAT,
en raison du contraste que formerait par son volume le bâtiment projeté
avec les constructions existantes, ne peut se justifier que par un intérêt
public prépondérant. Il faut alors que l'utilisation des possibilités
de construire réglementaires apparaisse comme étant déraisonnable et
irrationnelle. Tel sera par exemple le cas s'il s'agit de protéger un
site, un bâtiment ou un ensemble de bâtiments présentant des qualités
esthétiques remarquables, qui font défaut à l'immeuble projeté ou que
mettrait en péril sa construction.

    d) En l'espèce, l'autorité cantonale de recours a constaté que la
construction litigieuse formerait avec les petites maisons dans la rangée
desquelles elle devait s'insérer un contraste frappant. Ce bâtiment
romprait l'équilibre de cette suite de modestes bâtisses, heureuse
transition entre les secteurs où les constructions ont une densité très
supérieure. Cette autorité a relevé en outre qu'il y avait d'autant
plus de raisons de sauvegarder cette harmonie que les propriétaires
avaient délibérément limité les dimensions de leurs habitations pour
ménager ce caractère et que seule la parcelle du recourant était encore
disponible. L'aspect de la rue serait ainsi marqué et défini; une seule
construction différente ne pouvait être l'amorce d'une orientation nouvelle
de ce secteur, car elle occuperait le dernier fonds bâti.

    L'autorité cantonale de recours n'a en revanche pas soutenu que
l'ensemble qu'elle entend sauvegarder présenterait une valeur esthétique
particulière. Elle admet par ailleurs que la rue qu'elle veut protéger
est bordée, au nord, d'immeubles à usage locatif importants et d'une
architecture banale. Des habitations massives sont prévues tant au nord-est
qu'au sud. La portion du territoire de la commune de Morges comprise
entre la rive gauche de la Morges et l'avenue Marcelin est destinée à la
construction d'habitations collectives. La rangée de maisons sise au sud
de l'avenue de Beausobre comprend d'ailleurs, à chacune de ses extrémités,
un bâtiment à usage locatif. L'affirmation de l'autorité cantonale,
selon laquelle une seule construction différente ne pourrait pas être
l'amorce d'une orientation nouvelle de ce secteur, paraît dès lors fort
discutable. Peu importe toutefois. Les quelques éléments d'appréciation
qui viennent d'être rappelés permettent dans tous les cas d'admettre
que l'on on ne saurait considérer comme déraisonnable ou irrationnelle
la construction, sur la parcelle du recourant, d'un bâtiment à usage
locatif réglementaire.

    Le refus du permis de construire apparaît donc en l'espèce comme une
restriction à la propriété que ne justifie pas un intérêt public suffisant.